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La Cour d’appel déclare que l’employé qui avait refusé un transfert a été implicitement congédié

Les lecteurs d’AU POINT savent qu’il est assez facile pour des décisions de gestion, par ailleurs raisonnables et défendables, de fonder des actions pour congédiement implicite : ce qui peut sembler purement un effort de restructuration, effectué de bonne foi (voir Farber v. Royal Trust Company : « La Cour supreme rend son premier jugement en matiere de congédiement implicite » sous la rubrique « Publications ») ou une réaffectation des tâches de l’employé (Schumacher v. Toronto-Dominion Bank : « L’inclusion d’un boni transforme en montant record les dommages-intérets accordés pour le congédiement implicite d’un cadre bancaire » sous la rubrique « Publications ») peut entraîner un changement suffisant dans le contrat de l’employé pour convaincre un tribunal que l’employé a fait l’objet d’un congédiement implicite. Comme l’a dit la Cour supreme dans l’arret Farber, pour déterminer si de tels changements unilatéraux dans le contrat équivalent a un congédiement implicite, le tribunal doit se demander si, au moment ou les nouvelles modalités ont été mises en place, une personne raisonnable dans la meme situation que l’employé aurait pensé que les modalités essentielles du contrat de travail étaient modifiées de façon significative. Meme si le litige tourne souvent autour de la caractérisation du départ de l’employé, a savoir s’il s’agit d’une démission ou d’un congédiement, le tribunal n’a pas besoin de conclure que l’employeur avait l’intention de forcer le départ de l’employé ou a agi de mauvaise foi pour conclure qu’un congédiement implicite a eu lieu.

Il s’agit donc, dans le cas d’un congédiement implicite, d’étudier dans le détail les conditions de travail avant et apres les événements en cause, pour voir si les différences sont significatives. Le résultat est souvent difficile a prédire : M. Farber a perdu en premiere instance et en appel avant d’avoir gain de cause grâce a une décision unanime de la Cour supreme. La Cour d’appel de l’Ontario a maintenant renversé une décision de tribunal inférieur dans une affaire concernant un cadre a l’emploi de l’homme d’affaires de Vancouver bien connu, Jim Pattison.

L’origine du litige dans l’affaire Reynolds v. Innopac Inc. (22 janvier 1998) est le refus de Robert Reynolds, vice-président aux ressources humaines, d’accepter d’etre muté a Vancouver. A l’emploi d’Innopac depuis 1989, M. Reynolds a vécu toute sa vie – il a 38 ans – dans le sud de l’Ontario. Innopac compte 17 établissements, situés dans l’est du Canada et aux États-Unis. Meme si dans le cadre de son travail M. Reynolds était appelé a se déplacer, il pouvait souvent rentrer chez lui a la fin de la journée. Au moment de son embauche, nulle mention n’a été faite d’un éventuel déménagement du siege social, situé a Mississauga.

PAS DE PONT D’OR

L’emplacement du siege social semblait bien établi, mais en fait la société allait changer de mains. Jim Pattison avait commencé a acheter des actions, et les dirigeants d’Innopac s’attendaient a une offre publique d’achat. Par conséquent, Reynolds, comme d’autres cadres de la compagnie, avait conclu une entente « de protection » avec Innopac au moment de son embauche, fort généreuse d’ailleurs : M. Reynolds recevrait deux ans de salaire comme préavis s’il était congédié, sauf en cas de renvoi justifié, dans les deux ans suivant le rachat de la compagnie. Le congédiement était défini pour inclure explicitement le congédiement implicite, et l’indemnisation ne serait nullement diminuée de tout salaire qu’il pourrait gagner ailleurs.

Dans l’année qui suit son embauche, l’acquisition d’Innopac se réalise. M. Pattison offre a M. Reynolds de garder son emploi, pourvu qu’il accepte de déménager a Vancouver, ou se trouve désormais le siege social d’Innopac. M. Reynolds répond qu’il envisagerait l’offre si elle s’accompagnait de quelque incitation monétaire, et commence a chercher un autre emploi dans le sud de l’Ontario. M. Pattison ayant refusé d’accéder aux conditions proposées par M. Reynolds, celui-ci accepte un poste mieux rémunéré chez Laidlaw Transit. Il informe alors M. Pattison qu’il n’a pas l’intention d’accepter la mutation, et Pattison indique qu’il considere ce geste une démission.

PREMIERE INSTANCE : L’EMPLOYÉ A DÉMISSIONNÉ

M. Reynolds poursuit, alléguant qu’il s’agit d’un congédiement implicite et qu’il a droit aux deux ans de salaire et avantages sociaux en vertu de l’entente conclue auparavant. Il perd en premiere instance, le juge ayant conclu qu’il a démissionné. D’apres le juge, le déménagement du siege social a Vancouver se fonde sur une décision d’affaires légitime, et l’exigence que Reynolds déménage dans l’Ouest est raisonnable; M. Reynolds n’a refusé que parce qu’il a trouvé mieux en Ontario. En outre, conclut le juge, les négociations de M. Reynolds avec M. Pattison portaient presque exclusivement sur des questions monétaires, et M. Pattison ne pouvait tout simplement pas payer le prix fixé par M. Reynolds. Le juge évalue ensuite les dommages-intérets en vertu de l’entente a plus de 265 000 dollars.

COUR D’APPEL : L’OFFRE DE L’EMPLOYEUR CONSTITUE UN CHANGEMENT « UNILATÉRAL ET FONDAMENTAL »

Une majorité de la Cour d’appel déclare que M. Reynolds a été implicitement congédié, puisque son contrat de travail a été modifié de façon unilatérale et significative par l’offre de M. Pattison. La Cour note d’abord que le caractere justifié de la décision de gestion de déménager le siege social a Vancouver n’a rien a voir avec la question de savoir s’il y a eu ou non congédiement implicite. L’important ici, c’est l’exigence que M. Reynolds déménage aussi; la Cour a de la difficulté a accepter que cette exigence soit entierement raisonnable.

Le transfert, selon la Cour, était crucial pour M. Reynolds, [TRADUCTION] « tant du point de vue professionnel que personnel ». M. Reynolds avait vécu dans le sud de l’Ontario toute sa vie, le déménagement dans l’Ouest n’était pas prévu au moment de son embauche, d’autant plus que tous les établissements de la compagnie se trouvaient dans l’Est, a distance raisonnable pour des déplacements a partir de son domicile. Le fait de travailler a Vancouver aurait imposé plus de temps de déplacement a M. Reynolds, et aurait diminué le temps qu’il pourrait passer avec sa famille.

La Cour souligne qu’en retour pour le fait de renoncer a l’avantage d’une disposition qui valait 265 000$, M. Reynolds demandait entre 140 000 et 190 000 dollars pour passer a un avenir incertain, ou il serait le seul cadre restant d’Innopac travaillant sous la direction du Groupe Pattison a Vancouver. Le fait que M. Reynolds négociait sa sécurité financiere, et était disposé a prendre des risques pour ce travail, n’avait aucune conséquence pour déterminer si un congédiement explicite avait effectivement eu lieu :

[TRADUCTION] « Apres un changement unilatéral et fondamental dans son contrat de travail, aucun employé n’a a dire, ni a lui-meme ni a son employeur, « Je considere avoir été implicitement congédié ». Les faits parlent d’eux-memes. Il serait évidemment ridicule que la loi exige d’un employé qu’il dise a son employeur, avant de pouvoir discuter de nouvelles modalités d’emploi, « Je suis maintenant en bonne position pour vous poursuivre pour congédiement implicite ». Une telle déclaration mettrait presque certainement fin a des négociations de nouveaux arrangements qui s’averent souvent a l’avantage et de l’employeur et de l’employé. Les négociations qui font suite aux événements qui constituent un congédiement implicite … ne modifient en rien le fait que le congédiement implicite s’est produit, et elles n’empechent pas l’employé d’invoquer ce congédiement implicite si les nouvelles négociations s’averent infructueuses. »

La seule question a décider, selon la Cour, est de savoir si une personne raisonnable, dans la position de l’employé, considérerait que l’employeur avait changé de façon fondamentale le contrat de travail.

A la lumiere de la preuve, la Cour conclut que c’est effectivement ce qui s’est produit : M. Reynolds ne pouvait amener aucun employé avec lui, et serait le seul membre de l’ancienne équipe de gestion d’Innopac a rester a son poste, et ce dans une nouvelle ville. Il aurait a travailler plus d’heures par semaine, et aurait a accomplir « d’autres tâches » encore non spécifiées. Il aurait a consacrer beaucoup plus de temps aux déplacements, ce qui diminuerait son efficacité au travail. M. Reynolds avait raison de croire qu’il avait été implicitement congédié, et il avait droit aux avantages prévus dans l’entente de protection.

Notre point de vue

Bien sur, le résultat de cette affaire ne devrait pas etre interprété comme signifiant que tout transfert d’employé sans incitation monétaire est nécessairement perçu comme un congédiement implicite. La Cour a considéré que le fait de travailler sous les ordres de M. Pattison représentait aussi un changement majeur pour M. Reynolds, et a signalé la réticence de M. Pattison de préciser quelles autres responsabilités seraient attribuées a M. Reynolds.

Le cas illustre la nécessité pour les employeurs de planifier la réorganisation avec soin. Un tribunal qui cherche a déterminer s’il était raisonnable pour l’employé de voir le changement comme une violation fondamentale du contrat de travail examinera de pres la façon dont on communique ses nouvelles responsabilités a un employé.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Andrew Tremayne au (613) 563-7660, poste 236.