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Cour d’appel de la Colombie-Britannique : l’offre d’un congé sans solde ne constitue pas un congédiement implicite

Les lecteurs des avis courriels d’AU POINT se rappelleront que la discipline progressive peut etre problématique dans les milieux de travail non syndiqués (voir « La Cour d’appel entrevoit la suspension d’employés non syndiqués » sous la rubrique « Publications »). La question est de savoir a quel moment la réaction discipline d’un employeur devient un congédiement implicite. La réponse peut tenir aux modalités du contrat de travail. Mais qu’arrive-t-il lorsque la mesure disciplinaire proposée ne se trouve pas dans le contrat de travail? Voila la question qui s’est posée récemment a la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arret Sinclaire v. Intrawest Resort Ownership Corp. (11 janvier 2005).

Laara Sinclaire travaillait a la vente de condominiums en multipropriétés a Whistler. En vertu de son contrat de travail, elle devait faire des ventes a au moins 11 p. 100 de ses clients a chaque mois. Apres avoir brillamment réussi pendant six ans dans ce milieu de ventes a haute pression, Mme Sinclaire a commencé a accuser un certain retard par rapport aux cibles.

RECOURS OFFERT

L’employeur a commencé a s’inquiéter du rendement de Mme Sinclaire et de trois autres employés qui travaillaient depuis longtemps pour l’employeur. Le contrat de travail prévoyait une lettre d’avertissement pour les employés dont le rendement était déficient, mais l’employeur a offert a Mme Sinclaire et aux autres employés deux options : un congé de trois mois et demi, ou une lettre d’avertissement qui leur donnait trois semaines pour atteindre un niveau de vente de 13 p. 100, a défaut de quoi ils seraient congédiés. Mme Sinclaire a décidé d’accepter le congé autorisé. Le congé était conçu de façon a permettre a l’employé d’éviter la période de l’automne, pendant laquelle les ventes ralentissent, pour revenir en décembre, lorsque les ventes reprennent.

Peu de temps apres avoir rencontré son employeur, Mme Sinclaire a avisé un agent des normes d’emploi qu’elle avait été mise a pied pendant trois mois et demi. Elle n’a pas mentionné l’option de la lettre d’avertissement. L’agent lui a indiqué qu’elle avait été congédiée. Lorsque Mme Sinclaire a rencontré l’employeur quelques semaines plus tard pour rendre officiel le congé autorisé, elle a refusé de signer la lettre qui donnait les détails du congé autorisé. Elle a quitté la rencontre et intenté une action pour congédiement abusif.

PREMIERE INSTANCE : LA MENACE DE CONGÉDIEMENT AUTOMATIQUE EST INJUSTE, LA MISE A PIED TEMPORAIRE EST UN CONGÉDIEMENT

Mme Sinclaire a eu gain de cause en premiere instance. Le juge a statué qu’elle avait été implicitement congédiée. Le juge de premiere instance a étudié les dispositions du contrat de travail relatives a la discipline progressives et a la résolution des conflits, qui se lisaient comme suit:

    « [traduction]

    Discipline progressive

    Nous avons établi des procédures qui prévoient un avis pour un rendement déficient ou inacceptable et pour l’inconduite. Selon les circonstances, une mesure disciplinaire peut etre prise a l’un ou l’utre des niveaux suivants :

    a) 1er avertissement

    b) 2e avertissement et exigences spécifiques

    c) Suspension

    d) Congédiement

    Chaque situation est traitée de façon individuelle, et selon la gravité de l’inconduite ou l’incapacité de satisfaire aux exigences de rendement, le superviseur ou directeur peut prendre l’une des mesures ci-dessus (a, b, c ou d) selon ce qu’il convient, et une note écrite au sujet de chaque mesure sera versée a votre dossier d’employé.

    Il incombe a tous les directeurs et superviseurs de la compagnie d’assurer un traitement juste et constant. Pour ce qui est de prendre une mesure disciplinaire, l’employé doit avoir l’occasion d’expliquer sa conduite. Si vous n’etes pas d’accord avec la mesure disciplinaire, veuillez consulter le systeme de résolution des conflits et problemes.

    Résolution des conflits et problemes

    Nous voulons assurer une communication ouverte avec les membres de notre équipe et assurer un traitement juste a tous. Si vous avez un probleme ou une préoccupation, nous voulons en etre informés. Vos questions, suggestions ou préoccupations devraient etre discutées ouvertement et franchement avec votre superviseur. Les questions ne devraient pas rester sans réponse ni les problemes sans solution. En adoptant une pratique de communication ouverte, la plupart des malentendus peuvent etre évités ou du moins etre résolus avant qu’ils ne causent des problemes inutiles. Lorsque vous voulez faire part d’une préoccupation ou d’une plainte, nous recommandons les voies de communication suivantes :

    • Toute plainte devrait d’abord etre portée a l’attention de votre superviseur immédiat. Le superviseur vous écoutera et tentera de résoudre le probleme.

    • Si votre superviseur ou supérieur est incapable de résoudre votre probleme, vous pouvez vous adresser au directeur du département. Le directeur discutera du probleme avec vous et s’assurera qu’on fait enquete sur la situation de façon juste et adéquate.

    • Si le probleme n’est toujours pas résolu a votre satisfaction, vous pouvez soumettre un rapport écrit et confidentiel au directeur des meilleures pratiques (Director of Best Practices) pour son examen. »

Le juge de premiere instance a considéré les options qui avaient été offertes a Mme Sinclaire par l’employeur et a jugé que l’option de la lettre d’avertissement différait de façon importante des autres lettres d’avertissement présentées en preuve, en ce sens qu’aucune autre lettre menaçait l’employé d’un congédiement automatique si le seuil des 13 p. 100 n’était pas atteint.

Le contrat de travail accordait a la gestion certaines possibilités d’adapter les mesures disciplinaires, mais il prévoyait également que la gestion devait assurer le traitement juste et constant des employés dans l’application des mesures disciplinaires. D’apres le juge, le contenu de la lettre d’avertissement n’était pas semblable a la pratique habituelle de l’employeur pour ce qui était des premieres lettres d’avertissement envoyées comme mesure disciplinaire aux employés dont le seuil de vente était insatisfaisant. Par conséquent, le juge a statué que l’option de la lettre d’avertissement qu’on avait présentée a Mme Sinclaire constituait un traitement disciplinaire injuste et différent de la part de l’employeur.

Pour ce qui était de l’option du congé autorisé de trois mois et demi, le juge de premiere instance a déclaré qu’il n’y avait aucune condition explicite dans le contrat de travail qui autorisait l’employeur a mettre a pied temporairement Mme Sinclaire pendant trois mois et demi, ni aucune indication d’une condition implicite a cet effet. En outre, il n’y avait aucune preuve qu’une telle mesure avait été mise en ouvre auparavant, et son utilisation ne pouvait etre caractérisée comme étant un traitement constant. En l’absence d’une condition contractuelle claire, expresse ou implicite, qui permettait une mise a pied temporaire d’un employé, a statué le juge, la position de la common law est claire : une telle mise a pied constitue une cessation d’emploi. Le juge a conclu que Mme Sinclaire avait été implicitement congédiée, et a jugé que le choix qui lui avait été offert était de choisir entre une premiere lettre d’avertissement qui n’était pas conforme au traitement disciplinaire habituel de l’employeur et dont les conséquences étaient excessives, et une option qui équivalait a un congédiement.

COUR D’APPEL : AUCUNE RÉPUDIATION DE CONTRAT

La Cour d’appel a accueilli l’appel de l’employeur et a déclaré que la question clé était de savoir si l’employeur avait répudié l’une de ses obligations contractuelles. La Cour d’appel a statué que tel n’était pas le cas. Le contrat de travail donnait a l’employeur la flexibilité voulue pour émettre une lettre d’avertissement menaçant l’employé de congédiement comme premiere mesure disciplinaire. Le contrat de travail donnait également a Mme Sinclaire la possibilité de contester la réaction disciplinaire de l’employeur, ce qu’elle n’avait pas fait. De plus, la Cour n’était pas d’accord avec la description qu’avait faite le juge de premiere instance de l’avertissement comme étant injuste et non conforme aux pratiques antérieures, et a noté qu’il n’y avait qu’un avertissement d’action future, que Mme Sinclaire n’avait pas contesté. L’avertissement était tout au plus une menace de congédiement futur qui dépendait d’un rendement inadéquat a l’avenir.

Pour ce qui était du congé autorisé, la Cour a noté qu’il s’agissait d’une option qui n’était pas prévue par les conditions du contrat de travail, mais qui représentait une tentative de bonne foi de la part de l’employeur pour aider les employés de longue durée a améliorer leur rendement diminué en leur donnant l’option de revenir au travail apres la saison d’automne ou les ventes étaient plus lentes. La mesure était conçue pour etre plus favorable a l’employé que la discipline progressive envisagée dans le contrat de travail.

Par conséquent, la Cour a jugé que Mme Sinclaire n’avait pas été implicitement congédiée mais qu’elle avait plutôt quitté son emploi de façon volontaire.

Notre point de vue

Les employeurs devraient etre prudents lorsqu’ils s’écartent des conditions du contrat de travail en matiere de discipline. En l’espece, l’offre d’un congé sans solde a été vu comme étant une mesure positive et utile pour aider les employés a améliorer leur rendement. Toutefois, il serait également possible de caractériser une telle mesure comme étant un type de congédiement implicite si la mesure n’est pas clairement prévue dans le contrat de travail. Les employeurs devraient consulter un avocat pour rédiger des politiques disciplinaires qui offrent la flexibilité nécessaire pour remédier aux cas d’inconduite ou de mauvais rendement, tout en évitant le piege du congédiement implicite.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au (613) 940-2744.