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La Cour suprême du Canada confirme la protection du secret professionnel de l’avocat – les atteintes législatives doivent être « claires et non équivoques »

Dans une décision étonnante, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont conclu que le secret professionnel de l’avocat ne peut être écarté que par des dispositions législatives qui démontrent l’intention claire et non équivoque du législateur en ce sens. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary (novembre 2016), il fallait déterminer si la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta (la « Commissaire ») avait le pouvoir d’ordonner la production de documents pour lesquels le secret professionnel de l’avocat était invoqué afin de déterminer la validité de l’allégation de privilège. La Commissaire a soutenu que le paragraphe 56(3) de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de l’Alberta (la « FOIPP ») conférait un tel pouvoir en exigeant la production de documents au Commissaire malgré « toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve ». Toutefois, la Cour suprême a rejeté l’interprétation de la Commissaire. La Cour suprême était d’avis que le secret professionnel de l’avocat constitue un droit substantiel essentiel au bon fonctionnement du système de justice et qu’il est donc davantage qu’un simple privilège du droit de la preuve. Ainsi, la disposition législative qui vise à écarter le secret professionnel de l’avocat ou y porter atteinte doit le faire expressément.

L’affaire a débuté par une allégation de congédiement déguisé contre l’Université de Calgary (l’« Université »). La demanderesse dans cette action sollicitait l’accès à des documents détenus par l’Université. L’Université a communiqué certains des documents visés, mais a refusé d’en communiquer d’autres au motif qu’ils étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat. L’ancienne employée a présenté une demande en vertu de la FOIPP pour la communication des documents retenus. Un délégué de la Commissaire a fait des vérifications relatives à l’allégation par l’Université de secret professionnel de l’avocat et a par la suite tenté de vérifier cette allégation. Le délégué a ordonné à l’Université de produire les documents en vertu du paragraphe 56(3) de la FOIPP, qui prévoit ce qui suit :

[Traduction]
(3) Malgré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés en vertu des paragraphes (1) ou (2).

L’Université a sollicité le contrôle judiciaire de l’ordonnance, soutenant que la Commissaire n’avait pas le pouvoir de forcer la communication de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. En première instance, le juge a conclu que la FOIPP conférait ce pouvoir à la Commissaire et que celle‑ci l’avait convenablement exercé en l’espèce. La Cour d’appel de l’Alberta a infirmé cette décision en concluant que le libellé de la FOIPP nécessitait une déduction que le secret professionnel de l’avocat était un « privilège du droit de la preuve ». Ainsi, la disposition législative n’était pas suffisamment claire pour écarter l’allégation de secret professionnel de l’avocat.

La Commissaire a interjeté appel contre cette décision, mais le tribunal de la plus haute instance du Canada s’est dit en accord avec la Cour d’appel de l’Alberta. Il a souligné le fait que le secret professionnel de l’avocat a évolué, passant d’un privilège du droit de la preuve à une protection de fond. Invoquant sa propre décision dans Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health (2008), les juges majoritaires de la Cour suprême ont indiqué clairement que « le secret professionnel de l’avocat ne peut être écarté par inférence, mais seulement au moyen d’un libellé législatif clair, explicite et non équivoque ». La Cour suprême a conclu que le libellé figurant dans la FOIPP ne répondait pas à ce critère et a rejeté l’appel de la Commissaire.

 

À notre avis

La décision de la Cour suprême a d’importantes incidences pour les régimes d’accès à l’information aux niveaux fédéral et ontarien. Le pouvoir conféré au Commissaire à la protection de la vie privée fédéral par la Loi sur l’accès à l’information est rédigé de façon très semblable à la FOIPP :

Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l’information a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la présente loi s’applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

Étant donné que la Cour suprême a conclu que le secret professionnel de l’avocat va au-delà d’un privilège du droit de la preuve, il semble, selon l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, que le Commissaire à la protection de la vie privée fédéral n’a pas le pouvoir de forcer la communication de documents visés par une allégation de secret professionnel de l’avocat.

En Ontario, la loi confère au Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée (le « CIPVP ») un pouvoir d’exiger la production de documents potentiellement plus large que le pouvoir dont jouissent ses homologues fédéral et albertain. Le pouvoir d’exiger la production de documents est formulé de façon généreuse, de manière à s’appliquer « malgré […] toute autre loi ou privilège ».

Nonobstant ce vaste pouvoir, le CIPVP a adopté comme politique de porter atteinte aussi peu que possible au secret professionnel de l’avocat. Cela se reflète dans l’ordonnance du CIPVP PO-3665 (novembre 2016) visant l’Hôpital d’Ottawa. Dans cette ordonnance, le CIPVP a conclu que certains documents sous la garde de l’Hôpital étaient exonérés de communication en raison du secret professionnel de l’avocat. Contrairement au délégué de la Commissaire dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, le CIPVP n’a pas exigé la production des documents afin de déterminer si le privilège avait été convenablement invoqué. Il s’est plutôt fondé sur un affidavit assermenté de l’avocat général interne de l’Hôpital qui confirmait que les documents faisaient l’objet du secret professionnel de l’avocat.

Néanmoins, le CIPVP vise toujours à conserver le pouvoir de déterminer si des documents relèvent de l’exonération que confère le secret professionnel de l’avocat. À la lumière de la décision rendue par la Cour suprême dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, le CIPVP pourrait réexaminer sa politique et sa position à cet égard. Il s’agira de savoir si le libellé plus libéral de la loi ontarienne démontre suffisamment l’intention claire et non équivoque du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Sarah Lapointe au 613-940-2738.