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« Une création artificielle » : La Cour suprême juge qu’il n’est pas nécessaire pour les victimes de discrimination d’appartenir à un groupe défavorisé

Dans une décision publiée le 31 octobre 2002, la Cour supreme a maintenu a l’unanimité une décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire B. c. Ontario (Commission des droits de la personne) (voir « Cour d’appel de l’Ontario: la discrimination dans l’emploi ne touche pas seulement les groupes défavorisés » sur notre page Publications). Ce faisant, la Cour écarte pour de bon l’argument voulant qu’il est nécessaire de faire la preuve de l’appartenance a un groupe défavorisé pour avoir gain de cause dans une allégation de discrimination en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario.

L’affaire découlait du congédiement en 1990 de M. A., un employé qui comptait 26 ans de service. L’employeur de M. A. était une compagnie dont le propriétaire était M. B., qui était également le frere de l’épouse de M. A., et l’oncle de sa fille.

La fille de M. A. a accusé M. B. de l’avoir agressée sexuellement a plusieurs reprises quelques années auparavant. La fille et l’épouse de M. A. se sont rendues chez M. B. et l’ont confronté au sujet de l’agression sexuelle. Le lendemain, M. B. congédiait M. A.

M. A. a porté plainte a la Commission des droits de la personne, et une commission d’enquete lui a donné raison. La décision a été renversée par la Cour divisionnaire; celle-ci a convenu que M. A. avait été congédié sans motif valable, mais a jugé par ailleurs qu’il n’avait pas été victime de discrimination. La Cour a déclaré que l’inclusion de l’état matrimonial et familial dans le Code a pour objet de promouvoir [TRADUCTION] « l’égalité et la protection de ceux qui sont victimes de discrimination en raison de leur appartenance a un groupe identifiable de la société…  » En l’espece, M. A. avait été congédié en raison de l’identité de son épouse et de sa fille, et de l’animosité que lui témoignait M. B. en raison de cette relation.

La Cour d’appel de l’Ontario a rétabli la décision de la commission d’enquete. Elle a d’abord jugé que la notion d’état familial et matrimonial comprend non seulement le fait d’etre marié ou d’avoir une famille, mais également l’identité d’un conjoint ou d’un membre de la famille, pour ensuite juger que la Cour divisionnaire avait fait erreur en se demandant si M. A. appartenait a un groupe défavorisé. Selon la Cour d’appel, la n’était pas la question; il s’agissait plutôt de déterminer s’il avait subi une discrimination fondée sur un motif interdit. La Cour a jugé que tel était le cas.

La Cour supreme a rejeté a l’unanimité le pourvoi de M. B. Elle a jugé que les motifs de discrimination fondés sur l’état matrimonial et familial qui sont énumérés dans le Code couvrent effectivement la discrimination fondée sur l’identité de l’enfant ou du conjoint du plaignant. La Cour a rejeté l’argument de M.B. a l’effet que les motifs d’ « état familial  » et d’ « état matrimonial  » ne doivent etre interprétés que pour s’appliquer a des plaintes fondées sur l’état « au sens absolu », c’est-a-dire le simple fait d’etre marié ou célibataire, par exemple, ou le fait d’etre dans un certain type de famille.

La Cour a ensuite noté le libellé du par. 5(1) du Code, la disposition sur laquelle se fondait la plainte de discrimination, qui se lit comme suit :

    Toute personne a droit a un traitement égal en matiere d’emploi, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’existence d’un casier judiciaire, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap.

La Cour était d’avis qu’il n’existe aucune raison de lire cette disposition de façon a exclure les plaintes lorsque la discrimination se produit du fait de l’identité d’un membre de la famille du plaignant :

    « En employant les mots  » t]oute personne » le législateur a manifestement voulu protéger les individus — par opposition aux groupes — contre la discrimination. Bien qu’il soit également clair que, pour que le plaignant bénéficie de la protection du par. 1(1), la discrimination doit etre fondée sur l’un des motifs énumérés, il ne s’ensuit pas que l’acte discriminatoire doive etre dirigé contre un groupe identifiable visé par le motif en question. Il ne s’ensuit pas non plus que la mesure reprochée doive résulter de l’attribution stéréotypée au plaignant d’une caractéristique de nature collective. De telles exigences ne ressortent tout simplement pas du texte de l’art. 5. Par conséquent, en ce qui concerne les motifs fondés sur l' »état matrimonial » et l' »état familial » la disposition paraît a premiere vue s’appliquer aux plaintes fondées sur l’identité d’un membre de la famille en particulier. »

La Cour a signalé que dans la jurisprudence en matiere de discrimination fondée sur l’état familial ou matrimonial, les décisions étaient partagées en deux courants : d’une part, un courant qui exigeait la preuve d’une discrimination de groupe, d’autre part, un courant ou la discrimination fondée sur l’identité particuliere était reconnue. La Cour était favorable a cette deuxieme position; si l’aspect « groupe » traduit une « donnée sociologique », il ne s’agit pas pour autant, aux dires de la Cour, d’une obligation légale pour que la revendication soit fondée :

    « Les motifs énumérés correspondent a des groupes de personnes qui partagent des caractéristiques personnelles semblables (par exemple les personnes mariées, les personnes célibataires.). En ce sens, les motifs énumérés dans le Code englobent de nombreux groupes de personnes susceptibles d’etre exposées a un comportement illicite. Cette donnée sociologique n’emporte cependant pas pour le plaignant l’obligation d’établir l’existence d’un groupe particulier qui aurait été victime du meme acte de discrimination ou qui pourrait l’etre. Bien que la recherche d’un groupe soit un moyen permettant de bien comprendre l’acte discriminatoire et de le décrire, elle ne constitue pas une obligation légale. »

La Cour a donc jugé que M. A. n’avait pas a faire la preuve de son appartenance a un groupe identifiable qui partageait le meme type de discrimination. Il suffisait de démontrer qu’il avait subi une discrimination fondée sur une caractéristique personnelle aucunement pertinente et énumérée parmi les motifs interdits par le Code. Il n’était pas nécessaire, selon les propos de la Cour, « de créer artificiellement un second sous-groupe auquel appartiendrait le plaignant pour que celui-ci releve du champ d’application des motifs de l’état matrimonial et de l’état familial prévus par le Code « .

Notre point de vue

Dans sa décision, la Cour se fonde non seulement sur son interprétation du par. 5(1) et de la jurisprudence, mais sur le principe que les lois en matiere de droits de la personne devraient etre interprétées de façon libérale et, en l’espece, de façon a inclure la discrimination fondée sur  » l’identité d’un membre de la famille en particulier ».

Il convient de souligner que si la Cour d’appel s’est explicitement appuyée sur les arrets en matiere de népotisme qui ont fait suite a l’arret Brossard (Ville)c. Québec, un arret de 1988 ou la Cour supreme avait jugé discriminatoire une politique qui interdisait l’embauche des membres de la famille des employés, la Cour supreme quant a elle considérait la question du népotisme comme étant située entre la discrimination fondée sur l’état au sens absolu (le fait d’etre marié ou célibataire) et la discrimination fondée sur l’identité particuliere d’un parent ou d’un conjoint. Selon la Cour, les mesures anti-népotisme ont trait a la discrimination exercée contre un groupe qui partage une caractéristique particuliere (etre parent avec l’employé, par exemple), alors qu’ici la Cour a explicitement reconnu que la situation de M. A. était différente, puisque le traitement distinctif était du au fait que l’employeur était en conflit avec l’épouse de l’employé.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.