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La Cour d’appel refuse des dommages-intérêts de type

Nos lecteurs se rappelleront l’arret de principe de la Cour supreme du Canada dans l’affaire Wallace c. United Grain Growers (voir « Équitablement, raisonnablement et décemment » : la Cour supreme juge que les employeurs doivent traiter avec bonne foi les employés qu’ils congédient » a la rubrique Publications), ou la Cour a déclaré que le préavis dans un cas de congédiement abusif pouvait etre allongé parce que l’employé congédié avait subi une humiliation du fait de la mauvaise foi de l’employeur ou de son traitement injuste. La Cour dans l’arret Wallace avait cependant pris soin de préciser qu’il ne s’agissait pas de dédommager l’employé blessé dans son amour-propre en raison du congédiement comme tel; seul l’employé qui avait subi un comportement de mauvaise foi de la part de l’employeur aurait droit a des dommages-intérets additionnels. Par conséquent, les principes de l’arret Wallace ont obligé les tribunaux a distinguer les circonstances ou la détresse de l’employé est causé par le congédiement lui-meme des circonstances ou sa détresse est accrue du fait d’une conduite de mauvaise foi de la part de l’employeur.

Ce dernier aspect des principes de l’arret Wallace a maintenant été clarifié par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arret Gismondi v. Toronto (20 juin 2003), ou la Cour a annulé le préavis de 116 semaines qui avait été accordé par le juge de premiere instance. Le litige mettait en cause un cadre avec 20 ans de service qui a perdu son emploi a la suite de la fusion qui a intégré l’ancienne Municipalité du Toronto métropolitain a la nouvelle Ville de Toronto.

A la suite de la restructuration municipale, Dominic Gismondi, qui avait été employé a titre de Directeur des routes et trottoirs dans l’ancienne ville de North York, était devenu candidat a un concours pour cinq postes de Directeur de la voirie. Apres son entrevue, on a dit a M. Gismondi qu’on évaluerait ses évaluations de rendement et qu’on communiquerait avec les références qu’il avait données. Cela n’a jamais été fait.

Bien qu’au départ M. Gismondi était considéré par Roberto Stopnicki, le Directeur du District 3, comme le meilleur candidat pour le poste de ce District (l’ancienne ville de North York), M. Stopnicki a changé d’idée apres avoir consulté un collegue. Il n’était pas au courant du fait que le collegue qu’il avait consulté avait fourni les références du candidat qui a obtenu le poste. En outre, lorsque le premier candidat au poste du District 1 (l’ancienne ville de Toronto) s’est désisté du concours, le poste n’a pas été offert a M. Gismondi, mais a un autre candidat dont les résultats a l’entrevue avaient été nettement inférieurs.

On a indiqué a M. Gismondi qu’il n’avait pas obtenu le poste parce que son style de gestion ne convenait pas aux besoins de la nouvelle municipalité fusionnée. On lui a offert 80 semaines de salaire comme indemnité de départ, c’est-a-dire quatre semaines pour chaque année de service.

PREMIERE INSTANCE : NON PAS UNE MAUVAISE CONDUITE FLAGRANTE, PLUTÔT UNE CONDUITE « INATTENTIVE »

Le juge de premiere instance a prolongé la période de préavis jusqu’a 116 semaines. Il a signalé que s’il était évident que de meilleurs résultats a l’entrevue ne déterminaient pas la réussite des candidats, il n’y avait rien dans l’avis de concours qui indiquait que le résultat a l’entrevue serait déterminant. Le juge a également convenu que de façon réaliste, M. Gismondi n’était pas dans la course pour le poste du District 1, meme s’il était officiellement admissible aux cinq postes. Il était clair, a partir du dossier d’entrevue, que M. Gismondi était une personne capable, mais le juge a noté qu’il n’avait pas [TRADUCTION] « enthousiasmé » le comité d’entrevue.

Le juge de premiere instance a également conclu que si le fait pour le comité de ne pas examiner les références et les évaluations de rendement de M. Gismondi et la consultation par M. Stopnicki de la personne ayant donné des références pour un candidat adverse constituaient un traitement diférentiel de M. Gsimondi, ces faits n’avaient pas eu d’effet sur le résultat final :

    [TRADUCTION]
    « L’ironie ici est que la conduite dont se plaint M. Gismondi n’était pas une mauvaise conduite flagrante. Il s’agissait plutôt d’une conduite inattentive. Si M. Stopnicki avait agi selon ce qu’on attendait de lui, je ne crois pas que le résultat aurait été différent. Le fait est, meme si on ne l’a pas exprimé ainsi, que M. Stopnicki a choisi un gestionnaire avec qui il pensait pouvoir travailler et qui convenait mieux a une nouvelle ere. Il aurait été préférable pour lui et le personnel des R.H. de l’énoncer ainsi plutôt que de tenter de justifier le choix d’une façon qui autrement était transparente. On a causé plus de tort que nécessaire en tentant d’etre diplomatique ».

Se fondant sur sa conclusion que la conduite de l’employeur, qu’il a décrite comme étant [TRADUCTION] « pas malveillante, et…probablement bien-intentionnée », avait causé une [TRADUCTION] « défaillance d’équité », le juge de premiere instance a accordé a M. Gismondi un préavis de 116 semaines, qui comprenait un montant non spécifié pour des facteurs relevant de l’arret Wallace.

COUR D’APPEL : LA « CONDUITE INATTENTIVE MAIS BIEN-INTENTIONNÉE » NE CORRESPOND PAS AUX FACTEURS DE L’ARRET WALLACE

Une formation unanime de la Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté par Toronto, et a ordonné qu’on verse a M. Gismondi l’indemnité de départ de 80 semaines de salaire qui avait d’abord été offerte. La Cour a jugé que la conduite de l’employeur, telle que décrite par le juge de premiere instance, ne donnait pas lieu a des dommages-intérets selon les criteres de l’arret Wallace; en outre, la Cour a déclaré que le juge de premiere instance n’avait pas conclu que la conduite de l’employeur avait causé a M. Gismondi un préjudice qui lui donnerait droit a une indemnisation accrue.

La Cour s’est fondée sur son interprétation de l’arret Wallace et des arrets qui l’ont suivi. Un examen de la jurisprudence montrait qu’il fallait plus qu’une conduite [TRADUCTION] « inattentive mais bien-intentionnée » pour accorder un prolongement de préavis :

    [TRADUCTION]
    « Il me semble que le trait commun dans tous les exemples données dans l’arret Wallace et dans les autres décisions mentionnées plus haut, c’est la présence de quelque chose qui ressemble a l’intention, la malveillance ou le mépris flagrant de l’employé. Il s’agit d’une conduite qu’on pourrait qualifier de « dure et insensible », ou « impitoyable ». La conduite que constate le juge en l’espece ne ressemble en rien aux exemples données dans l’arret Wallace. Le juge de premiere instance a décrit les administrateurs, y compris celui dont il était le plus critique, M. Stopnicki, comme n’étant « pas malveillants » et « probablement bien-intentionnés ». Il a qualifié la façon dont le concours avait été tenu de « inattentive ». Cela ne correspond pas au type de comportement qui ouvre droit a une indemnisation ».

La Cour poursuit en déclarant que s’il y avait motif de prolonger le préavis, cela tenait plutôt au fait que l’employeur avait omis d’examiner les évaluations de rendement et les références de M. Gismondi et au fait pour M. Stopnicki de consulter quelqu’un qui avait recommandé un autre candidat. Toutefois, puisque le juge de premiere instance avait conclu que ces comportements étaient simplement inattentifs, mais non malveillants, il n’y avait aucun fondement a des dommages-intérets selon les criteres de l’arret Wallace.

Les dommages-intérets ne devaient pas non plus etre accrus parce que le poste du District 1 avait été accordé a un candidat qui avait eu un résultat inférieur a l’entrevue. Le juge de premiere instance avait conclu que M. Gsimondi n’était pas vraiment en lice pour ce poste, et qu’il n’y avait eu aucune assurance dans l’avis de concours que les résultats a l’entrevue seraient déterminants. La Cour a résumé son avis de la façon suivante :

    [TRADUCTION]
    « La conduite ne ressemble en rien a celle qui est décrite dans l’arret Wallace, ou l’employeur a persisté a maintenir une allégation non fondée que l’employé avait été congédié pour un motif valable, plus particulierement sa malhonneteté… Dans les présentes circonstances, le fait pour l’employeur de ne pas se conformer strictement a sa propre procédure ne donnait pas droit [a M. Gismondi] a des dommages-intérets pour bris de contrat ni a un prolongement du préavis, en l’absence d’une conduite de mauvaise foi telle que décrite dans l’arret Wallace, bien que [M. Gismondi] ait été congédié a la suite d’un concours ».

La Cour a réduit le préavis a 80 semaines, et a fait remarquer que la période de 116 semaines accordée par le juge de premiere instance était nettement plus longue que la période de 104 semaines que la Cour supreme dans l’arret Wallace avait qualifiée de « montant maximal de dommages-intérets ». La Cour a observé que si les cours d’appel sont généralement réticentes a intervenir dans les montants accordés par le tribunal de premiere instance si le montant se trouve dans une fourchette acceptable, en l’espece, la décision d’accorder 116 semaines était entachée par l’erreur commise par le juge d’appliquer l’arret Wallace. La Cour a donc jugé que le montant accordé par le juge était en-dehors d’une fourchette acceptable et que l’offre originelle de 80 semaines était raisonnable.

Notre point de vue

Cet arret établit qu’il est nécessaire qu’il y ait mauvaise foi de la part de l’employeur pour l’obtention de dommages-intérets selon les criteres de l’arret Wallace. De plus, il est nécessaire pour l’employé licencié de monter qu’il a subi un certain préjudice (outre la perte de son emploi) du fait de la conduite de l’employeur. Le fait que M. Gismondi n’ait pu présenter de preuve d’un tort spécifique a sans doute joué un rôle important dans la décision de la Cour.

Toutefois, la Cour a clairement indiqué qu’il n’est pas nécessaire de gener la capacité de l’employé d’obtenir un nouvel emploi. Si la conduite de mauvaise foi ou le traitement inéquitable donne lieu a l’humiliation ou a la gene ou atteint l’employé dans son estime de soi, les dommages-intérets en vertu de l’arret Wallace pourraient etre accordés, meme si la capacité de l’employé de se trouver un nouvel emploi n’en a pas été diminuée. En outre, si la conduite de l’employeur est particulierement flagrante et cause une maladie prouvable chez l’employé, l’employeur pourrait etre tenu responsable du délit d’avoir intentionnellement infligé de la détresse morale ( voir « Le rudoiement au travail : une autre forme de violence en milieu de travail »).

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.