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Effet du projet de loi 124 sur la parité salariale entre les hôpitaux
et les foyers municipaux pour personnes âgées

Comme les employeurs municipaux le savent, le projet de loi 124, Loi visant à mettre en œuvre des mesures de modération concernant la rémunération dans le secteur public de l’Ontario (le « projet de loi 124 »), est entré en vigueur le 8 novembre 2019. Le projet de loi 124 vise à limiter les augmentations de la rémunération des employés de la fonction publique et du secteur parapublic de l’Ontario, y compris ceux des hôpitaux et des foyers de soins de longue durée sans but lucratif.

Le projet de loi 124 ne s’applique ni aux municipalités, ni aux foyers municipaux pour personnes âgées. Toutefois, lorsque les infirmières autorisées et les infirmiers autorisés (« IA ») qui travaillent dans des foyers municipaux pour personnes âgées sont représentés par l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (« AIIO »), ces foyers tendent à utiliser la convention collective centrale de l’AIIO avec les hôpitaux participants (la « convention centrale ») comme point de référence pour certaines conditions d’emploi, dont les salaires.

Les employeurs municipaux peuvent donc se demander si la convention centrale (qui expirera le 31 mars 2023), qui a été affectée par le projet de loi 124, a une incidence sur les salaires dans les foyers municipaux pour personnes âgées, où il y a habituellement parité avec la convention centrale.

Cette question a été abordée par l’arbitre Kaplan dans l’affaire Regional Municipality of Niagara Homes for the Aged v ONA, 2020 CanLII 83199, du 2 novembre 2020. L’une des questions en litige devant le conseil d’arbitrage de différends était l’augmentation salariale pour 2020 et 2021.

La municipalité a adopté la position selon laquelle il y avait une tendance établie à suivre la convention centrale, de sorte que des augmentations de 1 % pour chacune des deux années en litige seraient appropriées, même si les augmentations étaient limitées par une loi. Entre autres arguments, l’employeur a laissé entendre qu’il était inapproprié pour le syndicat de « choisir » lorsque la parité avec les conditions de la convention centrale était appropriée.

Le conseil d’arbitrage Kaplan a refusé d’accorder le 1,0 % pour 2020 et le 1,0 % pour 2021 imposés à la convention centrale par le projet de loi 124 et a plutôt opté pour 1,75 % pour 2020 et 1,75 % pour 2021 (le membre du conseil désigné par l’employeur a été dissident). L’arbitre Kaplan a souligné qu’il s’agissait du montant minimal que le conseil Stout a indiqué qu’il aurait accordé, n’eût été le projet de loi 124, dans une décision rendue en juin 2020 entre l’AIIO et les hôpitaux participants.

L’arbitre Kaplan a reconnu la parité salariale historique entre les IA travaillant dans des foyers municipaux pour personnes âgées et les IA régis par la convention centrale, et a déclaré que le conseil aurait normalement accordé les augmentations salariales de la convention centrale. Cependant, le conseil a conclu que parce que le mandat d’un conseil d’arbitrage de différends consiste à tenter de refléter la libre négociation collective, l’imposition d’un plafond salarial prévu dans une loi qui ne s’applique pas aux parties serait inappropriée.

L’arbitre Kaplan a conclu en soulignant que même si la décision ne lie pas les autres conseils d’arbitrage, [traduction] « les demandes de suivre le règlement de la convention centrale à l’avenir pourraient ne pas être appropriées si ces demandes sont opportunistes et non fondées sur des principes ».

Un raisonnement semblable a été observé dans la décision Homewood Health Centre v Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 27858 (23 mars 2022). L’employeur, un centre privé de santé mentale à but lucratif exempté du projet de loi 124, a demandé des salaires conformes à la convention centrale de l’AIIO sur la base de la parité salariale de longue date. L’AIIO, pour sa part, a fait valoir qu’une telle approche ne constituerait pas une reproduction de la libre négociation collective. L’AIIO a également fait valoir que l’Assemblée législative avait décidé d’exempter les établissements privés à but lucratif comme Homewood Health Centre de l’application du projet de loi 124 et qu’une telle décision devait être respectée.

Le conseil Mitchnick a examiné d’autres décisions, y compris celles du conseil Stout et de l’arbitre Kaplan, dont il a été question plus haut. Le conseil Mitchnick (où le membre du conseil désigné par l’employeur était dissident) a conclu que l’Assemblée législative avait explicitement fait la distinction entre les entreprises qui bénéficiaient d’une protection salariale à court terme en vertu du projet de loi 124 et celles qui n’en bénéficiaient pas, et que cette distinction doit être respectée par les arbitres. Le conseil a fait remarquer que l’écart salarial [traduction] « sera sujet à correction au fil du temps ».

C’est pourquoi le conseil Mitchnick a considéré l’autre groupe professionnel du secteur, les employés « paramédicaux » représentés par le Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, et a accordé 1,75 % en 2020 et 1,75 % en 2021.

Dans la décision Corporation of the Municipality of Chatham-Kent (Riverview Gardens) v Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 34052, du 29 avril 2022, le conseil Wilson a accordé 1,75 % pour 2020, 2021 et 2022. Le conseil n’a pas discuté de la question du projet de loi 124 et de la parité typique du foyer avec la convention centrale de l’AIIO. Cependant, le membre du conseil désigné par l’employeur s’est déclaré dissident sur cette base, soulignant que l’arbitrage de différends vise à reproduire la libre négociation collective, et qu’il était peu probable que l’employeur aurait accepté des taux de traitement différents de ceux de la convention centrale de l’AIIO étant donné sa parité historique avec la convention centrale depuis 2008. De l’avis du membre du conseil désigné par l’employeur, le conseil aurait dû accorder des augmentations salariales de 1 % par année, conformément à la convention centrale de l’AIIO.

La décision du conseil Wilson dans Corporation of the County of Grey (Grey Gables ; Lee Manor & Rockwood Terrace) v Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 39950, a été publiée le 13 mai 2022. La convention collective contenait un article [traduction] « qui oblige les parties à négocier la parité avec les infirmières et infirmiers des hôpitaux », dont l’augmentation salariale était limitée par le projet de loi 124 à 1 % chaque année. Les parties ont indiqué que la parité avec les hôpitaux était pour elles un objectif commun dans le passé et devait s’appliquer à l’avenir. Le conseil a suspendu l’article exigeant la parité pour la ronde de négociation en cours et a accordé 1,75 % pour chaque année d’une période de trois ans (2020 à 2022). Cependant, le conseil a indiqué que [traduction] « cela n’empêche pas les parties de faire des propositions si la parité n’a pas été atteinte lors de la prochaine ronde de négociation collective ».

Le 18 mai 2022, le conseil Steinberg a publié sa décision dans Manitoulin Centennial Manor Home for the Aged v Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 40357, qui portait sur un foyer municipal sans but lucratif pour personnes âgées. Le conseil a fait remarquer qu’au cours des rondes précédentes, la convention centrale de l’AIIO a été reconnue par les arbitres comme le point de comparaison approprié. De plus, les parties avaient aussi négocié un règlement qui comprenait les mêmes augmentations salariales que les employés d’hôpitaux.

Cependant, le conseil a conclu que [traduction] « les règlements librement négociés dans le secteur dépassent les limites de la rémunération imposées par le projet de loi 124 ». Citant la décision de l’arbitre Kaplan dans l’affaire Regional Municipality of Niagara Homes for the Aged, le conseil a déterminé (avec dissidence du membre du conseil désigné par l’employeur) [traduction] qu’« afin de reproduire ce que les parties auraient accepté dans le cadre de la libre négociation collective, nous avons préféré les règlements négociés librement plutôt que de nous en tenir au règlement limité par la loi dans les hôpitaux ». Le conseil a accordé 1,75 % pour chaque année d’une période de trois ans (2020 à 2022).

Quelles sont les implications pour les employeurs municipaux?

Bien qu’il demeure loisible aux municipalités qui exploitent des foyers municipaux pour personnes âgées de faire valoir que la parité historique entre leurs IA et celles et ceux qui sont couverts par la convention centrale devrait être respectée malgré l’application du projet de loi 124 au secteur hospitalier, les municipalités peuvent s’attendre à voir les cas susmentionnés remettre en question cette pratique de longue date.