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L’entreprise est tenue responsable de l’inconduite d’un ‘entrepreneur indépendant’

Nos lecteurs savent déja que la décision d’un tribunal de qualifier une personne d’entrepreneur indépendant ou d’employé peut avoir de graves conséquences juridiques. Notamment, l’employeur peut etre tenu responsable des dommages causés par la faute du prétendu « entrepreneur indépendant » auquel le tribunal reconnaît la qualité d’employé. Par ailleurs, comme on s’en souviendra, l’employeur peut etre tenu responsable meme s’il n’a lui-meme commis aucune faute. En vertu du principe de la responsabilité du fait d’autrui, l’employeur, meme en l’absence de toute preuve de négligence de sa part, est responsable des fautes de l’employé lorsqu’il y a un lien important entre l’acte fautif et l’entreprise de l’employeur (voir « Les risques d’entreprise : la responsabilité des employeurs pour les actes illicites de leurs employés » sous la rubrique « Publications »).

Une décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario illustre les questions dont devraient tenir compte les employeurs lorsqu’ils engagent des entrepreneurs ou consultants externes. L’affaire 671122 Ontario Ltd. v. Sagaz Industries Canada Inc. (25 janvier 2000) a pris naissance lorsque l’entreprise demanderesse, appelée autrefois Design Dynamics Limited, a perdu un contrat lucratif avec la société Canadian Tire, contrat de vente de couvre-sieges en tissu synthétique. Design fournissait les couvre-sieges lorsque Canadian Tire a décidé, en 1984, de conclure le marché avec Sagaz Industries.

PREMIERE INSTANCE : LE CONSULTANT EN MARKETING EST CONDAMNÉ A PAYER DES DOMMAGES-INTÉRETS, MAIS NON SAGAZ

Il est devenu apparent que la décision de Canadian Tire de changer de fournisseur avait été influencée par le versement d’un pot-de-vin, offert au chef de la division des pieces automobiles par le propriétaire de American Independent Marketing Inc. (AIM), un cabinet de consultants engagé par Sagaz pour commercialiser ses couvre-sieges.

Malgré la corruption qui entachait la décision d’accorder le contrat a Sagaz, Canadian Tire a par la suite conclu que le produit de Sagaz était effectivement supérieur, et a choisi de garder ce nouveau fournisseur. L’entreprise de Design a subi un déclin dont la compagnie ne s’est jamais remise, et Design a intenté une poursuite en dommages-intérets pour la perte du marché avec Canadian Tire. Parmi les défendeurs nommés a l’action se trouvait Sagaz.

En premiere instance, le juge a conclu que Design avait été victime de conspiration et d’intervention illicite dans ses relations commerciales. Cependant, le juge a également conclu que AIM était un entrepreneur indépendant et que Sagaz ne pouvait etre tenu responsable de l’acte de corruption commis par AIM, surtout vu le manque de preuve quant a la connaissance qu’avait Sagaz du paiement illicite. Le juge a accordé 1 857 550 $ en dommages-intérets a Design, plus 50 000$ en dommages-intérets exemplaires, et 3 381 613 $ en intérets antérieurs au proces. Malgré l’importance de la somme accordée, Design a interjeté appel du rejet de son action contre Sagaz.

COUR D’APPEL : PERSONNALITÉ JURIDIQUE DISTINCTE, MAIS SOUS LA SUPERVISION DIRECTE DE SAGAZ

L’élément de preuve le plus solide quant au statut d’entrepreneur indépendant de AIM était une entente écrite entre AIM et Sagaz, ou AIM était expressément désignée entité distincte de Sagaz. Toutefois la Cour d’appel a jugé que c’était la « [TRADUCTION] véritable nature de la relation », et non la description qu’en faisaient les parties, qui déterminait la catégorisation juridique d’AIM aux fins de la responsabilité du fait d’autrui.

Il en résulte qu’on doit examiner les faits de chaque affaire afin de déterminer dans quelle mesure l’entrepreneur est intégré a l’entreprise de l’employeur, c’est a dire, le « [TRADUCTION] critere d’organisation », que la Cour décrit comme suit :

« [TRADUCTION] Le « critere d’organisation », cherche a déterminer si l’agent ou l’employé fonctionne a l’intérieur de l’entreprise principale et si le travail de l’agent est exécuté comme partie intégrante de l’entreprise principale. Si la réponse a ces deux questions est affirmative, l’entreprise principale est responsable des actes délictuels commis par l’agent meme si, entre eux, l’entreprise principale et l’agent ont choisi de décrire la relation comme étant celle entre une compagnie et un entrepreneur indépendant. »

Meme s’il était vrai, a déclaré la Cour, qu’AIM avait une personnalité juridique distincte, elle travaillait « [TRADUCTION] sous la supervision et la direction directes » de Sagaz, et n’avait « [TRADUCTION] aucune discrétion pour toute question d’importance » pour obtenir le contrat avec Canadian Tire. Pour étayer sa conclusion, la Cour a signalé plusieurs faits : Sagaz, et non AIM, avait d’abord pris contact avec Canadian Tire; AIM travaillait conjointement avec le directeur des ventes chez Sagaz, et avait besoin de renseignements sur des éléments clés des relations commerciales qu’elle entretenait au nom de Sagaz; le rôle d’AIM se limitait a présenter des prix qui avaient été négociés par le personnel de Sagaz; AIM utilisait le papier a en-tete de Sagaz dans sa correspondance avec Canadian Tire pour confirmer les prix et les conditions en vertu desquels Sagaz fournirait les couvre-sieges.

Tout cela, aux dires de la Cour, menait a la « [TRADUCTION] conclusion inévitable » qu’AIM se conformait « [TRADUCTION] en tous points au ‘critere d’organisation’ pour la responsabilité du fait d’autrui » et que par conséquent Sagaz était responsable des fautes commises par AIM et ses employés. La Cour a néanmoins jugé que cette responsabilité n’incluait pas des dommages-intérets exemplaires, puisque le juge de premiere instance n’avait constaté aucune preuve a l’effet que Sagaz était au courant du paiement illicite.

Notre point de vue

Le fait d’engager des consultants externes ne dégage pas pour autant les employeurs de la responsabilité pour les fautes commises par ces personnes. Meme si l’employeur n’est pas au courant de l’inconduite et n’y participe pas, il doit encore démontrer que le consultant ou l’entrepreneur n’était pas intégré a son entreprise d’une façon qui donnerait prise a une attribution de responsabilité du fait d’autrui. L’affaire en l’espece donne quelques indications des facteurs a considérer pour structurer la relation de travail avec des entrepreneurs externes.

Pour un compte rendu de l’évolution récente de cette affaire, voir « La Cour supreme renverse une décision de la Cour d’appel de l’Ontario sur la responsabilité pour les actions d’un entrepreneur indépendant » sous la rubrique « Publications ».

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sylvie Guilbert au (613) 563-7660, poste 256.