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La Cour de l’Ontario juge que l’arbitre n’a pas la compétence pour ordonner la perte d’ancienneté

Les employeurs de milieux syndiqués savent probablement que l’arbitre a le pouvoir, dans la plupart des cas, de substituer une autre pénalité a celle imposée par l’employeur. Ce pouvoir leur vient du para. 48(17) de la Loi sur les relations de travail, qui se lit comme suit :

« Si l’arbitre … juge qu’un employé a fait l’objet d’un congédiement ou d’une autre mesure disciplinaire motivés par son employeur et que la convention collective ne prévoit aucune pénalité précise pour l’infraction faisant l’objet de l’arbitrage, il peut substituer au congédiement ou a la mesure disciplinaire la pénalité qui lui semble juste et raisonnable dans les circonstances. »

En elle-meme, cette disposition semble indiquer que le pouvoir de l’arbitre n’est limité que lorsque la convention collective prévoit une pénalité précise pour l’infraction en cause. Toutefois, dans une décision rendue le 25 juillet 2000, UFCW, Local 175 v. Maple Leaf Meats Inc., la Cour divisionnaire de l’Ontario a jugé que le pouvoir de l’arbitre est également limité par la Loi sur les relations de travail et les dispositions de la convention collective.

L’affaire portait sur le cas de deux plaignants qui avaient été congédiés pour avoir commis une fraude relative aux cartes de pointage. A l’arbitrage, le syndicat a admis qu’un des plaignants avait poinçonné la carte de l’autre plaignant entre 50 et 100 fois au cours de l’année précédant leur congédiement.

UN PLAIGNANT LENT

Les plaignants ont affirmé qu’il n’y avait rien de malhonnete dans cette pratique, qu’il s’agissait plus d’une question de commodité. L’employé qui ne poinçonnait pas sa propre carte, qu’on a décrit comme étant plutôt lent, était toujours juste derriere celui qui poinçonnait a sa place. On leur a demandé si cette pratique ne servait pas a cacher les retards de l’employé; ils ont répondu qu’en raison de la nature de leur travail, il leur arrivait souvent de rester au-dela de leur quart de travail, sans qu’ils réclament de temps supplémentaire.

Bien que l’arrangement entre les plaignants n’avait pas été fait dans l’intention de frauder la compagnie, a conclu l’arbitre, il visait a cacher les retards d’un des employés. Bien que moins grave que de tricher sur les heures de travail, selon l’arbitre, la manoeuvre constituait tout de meme un abus de confiance de la part des plaignants.

Malgré sa conclusion quant a la gravité de l’inconduite des plaignants, l’arbitre a jugé qu’il ne s’agissait que d’un écart momentané, et qu’il était peu probable qu’ils répéteraient leurs « [TRADUCTION] actions mal avisées » si on leur donnait une deuxieme chance. Il a par conséquent exercé ses pouvoirs en vertu du para. 48(17) pour substituer une suspension prolongée, du jour de leur congédiement jusqu’au premier quart qu’ils auraient travaillé apres le prononcé de sa décision. Puis il a ajouté le commentaire suivant : « [TRADUCTION] Toutefois, ils n’accumuleront pas d’ancienneté pendant la période allant du 27 octobre 1997 [date du congédiement] jusqu’a la date de la présente décision ».

Le syndicat a présenté une demande a la Cour divisionnaire pour faire annuler cette partie de la décision, en alléguant que l’arbitre avait outrepassé sa compétence en ordonnant que l’ancienneté ne soit pas comptabilisée pendant la période visée.

L’ÉTENDUE DES PÉNALITÉS EST « CIRCONSCRITE » PAR LA CONVENTION COLLECTIVE

La Cour divisionnaire a donné raison au syndicat. D’apres la Cour, l’article 5.07 de la convention collective prévoyait que l’arbitre ne pouvait modifier ou altérer une disposition de la convention, ni rendre une décision qui serait « [TRADUCTION] incompatible avec les clauses et les dispositions de la Convention ». En outre, l’article 16.01 prévoyait que l’ancienneté devait courir a partir du jour de la derniere embauche, et l’article portant sur la perte d’ancienneté ne s’appliquait nullement au cas des plaignants.

La Cour a déclaré, faisant référence au para. 48(17) de la Loi sur les relations de travail, que les tribunaux faisaient généralement preuve de beaucoup de retenue a l’égard des arbitres qui exerçaient leur compétence en vertu de cette disposition pour substituer une autre pénalité. En l’espece, cependant, si l’exception de « pénalité précise » ne s’appliquait pas pour limiter le choix d’une pénalité par l’arbitre, d’autres aspects de la convention collective jouaient pour limiter son action :

« [TRADUCTION] Selon nous, les articles 5.07 et 16.01 de la convention collective limitent les pouvoirs de l’arbitre en vertu du para. 48(17) … en ce sens que l’étendue des pénalités est circonscrite dans la mesure ou il ne peut y avoir perte d’ancienneté. L’article 48(17), en permettant la liberté contractuelle d’imposer des pénalités précises, signifie nécessairement que les parties a la convention collective peuvent limiter les pénalités que peut imposer l’arbitre. Cette interprétation est étayée par le libellé de [l’article] 16.09 (a) qui prévoit qu’un employé perd son ancienneté lorsqu’il est congédié et qu’il n’est pas réintégré par la procédure de grief. »

La Cour a donc jugé que l’arbitre avait outrepassé sa compétence et lui a renvoyé l’affaire pour qu’il impose une pénalité appropriée dans les limites de sa compétence.

Notre point de vue

Cette décision est un rappel que toutes les dispositions de la convention collective, et non pas seulement celles qui prévoient une pénalité précise pour une infraction donnée, peuvent limiter la pénalité imposée par l’arbitre. Il convient de souligner également que lorsque la question soulevée en contrôle judiciaire touche la compétence, les tribunaux judiciaires vont examiner la question de plus pres et imposer a l’arbitre une norme de « décision correcte » par opposition a une norme de décision raisonnable.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.