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Certaines dispositions clés d’une politique sur les drogues et l’alcool, invalidées par un arbitre des droits de la personne

Les employeurs ontariens qui cherchent moyen de contrôler les problemes qu’ils perçoivent en matiere d’abus des drogues et de l’alcool au travail devront tenir compte d’une décision récente rendue par une commission d’enquete établie sous le régime du Code des droits de la personne. Dans la décision Entrop c. Imperial Oil Ltd., rendue le 12 septembre 1996, la présidente de la commission d’enquete, Constance Backhouse, a déclaré inopérantes d’importantes dispositions de la politique de l’employeur sur l’alcool et les drogues.

Martin Entrop était contrôleur principal au centre de contrôle de la raffinerie d’Imperial Oil a Sarnia, un poste désigné poste critique pour la sécurité. Bien que M. Entrop ait eu dans le passé des problemes d’alcoolisme, il était completement abstinent depuis 1984. En 1992, Imperial Oil a mis en oeuvre sa politique sur l’alcool et les drogues, et conformément a cette politique, a démis M. Entrop de ses fonctions pour lui confier un poste moins intéressant, mais sans perte de salaire. M. Entrop a finalement été réintégré dans son poste, avec certaines conditions, mais il a porté plainte aupres de la Commission des droits de la personne, alléguant la discrimination fondée sur un handicap.

Vu la complexité des questions en jeu, l’audition a été divisée en trois étapes. Au cours des deux premieres, la commission d’enquete a déclaré que M. Entrop avait été victime de discrimination en raison des dispositions de la politique de l’employeur, et qu’Imperial Oil avait pris des mesures de représailles a son endroit apres qu’il eut porté plainte. A la troisieme étape, la commission d’enquete a examiné la façon dont la politique traitait l’abus des drogues, et la légalité des dispositions sur le dépistage des drogues et de l’alcool.

LA POLITIQUE

La politique d’Imperial Oil prévoit le dépistage avant l’embauche, chaque offre d’embauche étant sujette a la condition d’un résultat négatif pour certaines substances spécifiées. Les employés sont obligés de se soumettre a un test de dépistage apres un accident de travail grave, un incident sérieux ou un accident grave évité de justesse ou s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner la consommation d’alcool ou de drogues. Tout employé pour qui le résultat des tests est positif est sujet a des mesures disciplinaires.

Les personnes qui occupent des postes critiques pour la sécurité font l’objet de mesures additionnelles, notamment, un examen médical bisannuel pour déceler l’abus d’alcool ou de drogues, un test de dépistage dans le cadre du processus d’accréditation et d’évaluation, et en plus, des tests-surprises. Ces employés doivent également divulguer a la direction tout probleme passé ou actuel lié a l’alcoolisme ou a la toxicomanie ; une telle révélation entraîne automatiquement la perte du poste et la réaffectation a un autre poste. Il leur est possible de réintégrer le poste perdu, mais seulement apres une période d’au moins sept ans, sous réserve de conditions séveres. Ces conditions comprennent toute une gamme de contrôles apres la réintégration, par exemple, la continuation de l’abstinence, des tests de dépistage fréquents administrés sans préavis, et l’obligation d’indiquer a la compagnie tout changement de circonstances susceptible d’augmenter le risque d’une rechute. Pour les employés dans des postes désignés critiques pour la sécurité, un seul test positif qui contrevient aux dispositions de la politique entraîne le congédiement.

LA POLITIQUE OPERE DISCRIMINATION A L’ENDROIT DES EMPLOYÉS HANDICAPÉS

La commission d’enquete a déclaré qu’un probleme de toxicomanie, tout comme l’alcoolisme, constitue une forme de handicap au sens du Code des droits de la personne, et que la politique d’Imperial Oil opere discrimination a l’endroit des employés ayant un probleme de toxicomanie ou d’alcoolisme. Plus précisément, la commission d’enquete a qualifié discriminatoires les dispositions exigeant la divulgation de renseignements personnels, la réaffectation et le processus sévere pour la réintégration du poste. Les différentes dispositions visant les tests ont également été jugées illégales, puisqu’elles aidaient la compagnie a identifier les employés susceptibles d’etre congédiés ou disciplinés, en raison de leur handicap.

LA POLITIQUE EST-ELLE UN MOYEN LÉGITIME DE PRÉVENIR LES FACULTÉS AFFAIBLIES AU TRAVAIL?

L’article 17 du Code des droits de la personne offre une défense contre l’allégation de discrimination fondée sur un handicap, lorsque la personne qui fait l’objet de la discrimination est incapable de s’acquitter des obligations liées a l’emploi. Comme elle l’avait déja fait dans sa décision ou il était question de facultés affaiblies par l’alcool, la commission d’enquete a déclaré qu’il était légitime d’exiger des employés dans des postes désignés critiques pour la sécurité qu’ils n’aient pas les facultés affaiblies par les drogues :
[TRADUCTION] « Notre commission d’enquete convient qu’un employeur a le droit d’assurer que ses opérations sont menées en toute sécurité, et jouit du droit correspondant d’évaluer si les employés sont incapables de s’acquitter de leurs fonctions essentielles. Pour les postes critiques pour la sécurité, Imperial Oil a également le droit de déterminer si les employés ont ou non les facultés affaiblies par les drogues, par l’alcool, ou par une autre cause. »
Mais la question qui restait a régler était de savoir si la politique ne s’appliquait qu’aux employés dont les facultés étaient affaiblies ou si elle prenait dans ses filets d’autres employés capables de s’acquitter de leurs tâches.

LES DISPOSITIONS VISANT LA DIVULGATION, LA RÉAFFECTATION ET LA RÉINTÉGRATION SONT TROP LARGES

Dans sa décision antérieure, la commission d’enquete avait déclaré que les dispositions sur la divulgation, la réaffectation et la réintégration, touchant l’alcoolisme, n’étaient pas justifiées comme moyen pour déterminer l’incapacité de l’employé d’exécuter ses tâches. Elle a encore une fois déclaré ces dispositions non valides dans leur application aux cas de toxicomanie. La commission d’enquete a conclu que l’exigence de divulgation était trop large, puisqu’elle s’appliquait a des employés qui avaient eu un probleme de toxicomanie ou d’alcoolisme dans le passé mais qui étaient maintenant pleinement rétablis. Par ailleurs, les dispositions sur la réaffectation et la réintégration ne se fondaient nullement sur une évaluation individuelle. La période d’attente minimum de sept ans avant la réintégration a été jugée indument longue pour certaines personnes. Les conditions et les engagements obligatoires ont également été jugés trop séveres pour certains employés.

LES TESTS DE DÉPISTAGE SONT INEFFICACES

La commission d’enquete s’est ensuite penchée sur la question de savoir si les tests de dépistage pouvaient correctement prédire l’incapacité des employés d’exécuter leurs fonctions. Apres avoir passé en revue les éléments de preuve sur la relation entre les tests et l’incapacité, la commission d’enquete a signalé plusieurs problemes, notamment, dans le cas des tests de dépistage des drogues, l’absence d’une corrélation certaine entre un résultat positif et les facultés affaiblies, et dans le cas a la fois des tests d’alcoolémie et des tests de dépistage de drogues, la difficulté de mesurer l’effet dissuasif des programmes de tests pour prévenir les facultés affaiblies au travail.

La commission d’enquete a conclu que bien que Imperial Oil ait eu le droit d’évaluer si les employés dans les postes désignés critiques pour la sécurité avaient ou non les facultés affaiblies, la preuve indiquait sans équivoque qu’un test ne pouvait établir l’affaiblissement des facultés. Imperial Oil avait bien concédé ce point, mais avait soutenu qu’un test négatif établissait avec certitude que l’employé n’avait pas consommé de drogues. L’imperfection de la technologie, d’apres Imperial Oil, était justement la raison pour laquelle il existait un régime aussi strict de tests, afin d’assurer un milieu de travail libre de toute drogue. La commission d’enquete a rejeté cet argument, en déclarant qu’Imperial Oil n’avait pas fait la preuve d’un lien clair entre le test et « l’incapacité » :

[TRADUCTION] « Le probleme de ce point de vue… c’est que la loi impose le fardeau de la preuve a [l’employeur], qui doit prouver de façon claire et convaincante que les personnes qu’il discipline, qu’il congédie ou qu’il refuse d’embaucher en raison d’un test d’urinanalyse positif sont effectivement « incapables » d’accomplir leurs tâches. L’absence d’une technologie exacte qui permette d’atteindre cet objectif avec les tests actuels agit au détriment [de l’employeur], et non de la [Commission des droits de la personne]. »
La compagnie avait également soutenu que malgré l’absence d’un lien empirique entre le test de dépistage et les facultés affaiblies, le test se justifiait parce qu’un test positif suscitait une « appréhension raisonnable » quant a un affaiblissement actuel ou éventuel des facultés. Un témoin-expert pour Imperial Oil a déclaré qu’il ne fallait pas se limiter aux seuls effets pharmacologiques des drogues illégales : l’abus des drogues devait etre considéré comme une sociopathie, une « pathologie contagieuse » qui pourrait se répandre rapidement en milieu de travail. La commission d’enquete a réagi en déclarant qu’une telle attitude contrevenait aux dispositions du Code des droits de la personne:
[TRADUCTION] « Voila précisément le genre de postulats stéréotypés que la législation sur les droits de la personne vise a interdire… L’employeur n’a absolument pas le droit d’établir des regles de travail qui discriminent a l’endroit de ces personnes en raison de risques imprévisibles. »
Imperial Oil ne pouvait donc pas invoquer la défense « d’incapacité », parce qu’elle n’avait pas fait la preuve qu’un résultat positif prouverait que le sujet était incapable d’exécuter les tâches essentielles de son emploi. Pour cette raison, la commission d’enquete a déclaré inopérantes les dispositions concernant les tests-surprises de dépistage et les tests administrés avant l’embauche. La commission d’enquete a conclu que les tests de dépistage de drogues administrés « pour un motif valable », « apres l’incident », « au moment de l’accréditation pour un poste critique pour la sécurité » et « apres la réintégration » pourraient etre acceptables, mais seulement si l’employeur peut établir que le test est nécessaire dans le cadre d’un processus plus large visant l’évaluation de l’abus des drogues.

Puisque la Commission des droits de la personne avait concédé que les tests a l’ivressometre indiquaient effectivement s’il y avait affaiblissement des facultés du a l’alcool, et que les tests d’alcoolémie administrés « pour un motif valable », et « apres l’incident » étaient acceptables, la commission d’enquete ne s’est pas prononcée sur ces questions. Elle a toutefois jugé illégaux les tests-surprises d’alcoolémie, puisque Imperial Oil n’avait pas fait la preuve que ces tests étaient raisonnablement nécessaires comme mesure de dissuasion au travail. Les tests d’alcoolémie dans le contexte de l’accréditation pour les postes critiques pour la sécurité ou pendant la période qui suit la réintégration peuvent etre acceptables, conclut la commission d’enquete, mais seulement si l’employeur peut démontrer que le test est nécessaire en tant qu’élément d’un processus plus large d’évaluation de l’alcoolisme.

NOTRE POINT DE VUE

Les employeurs devraient examiner toutes leurs politiques visant a contrôler l’abus de l’alcool et des drogues au travail a la lumiere de cette décision. Meme si, dans le cas présent, des facultés intactes constituaient une condition essentielle pour exécuter les fonctions d’un poste critique pour la sécurité, cela n’était pas suffisant pour mettre la politique a l’abri d’une contestation. Pour que l’employeur puisse invoquer l’argument d’incapacité dans sa défense, la politique doit viser autant que possible l’évaluation de la toxicomanie ou de l’alcoolisme meme, et non chercher a contrôler les employés qui posent apparemment un risque élevé de toxicomanie ou d’alcoolisme. L’évaluation des circonstances individuelles compte également. Dans la présente affaire, on a jugé que la politique d’Imperial Oil imposait un fardeau inacceptable a certains employés, sans égard a leur véritable situation personnelle.

Imperial Oil a interjeté appel de la décision aupres de la Cour divisionnaire. (Voir « La Cour rejette l’appel d’Imperial Oil » et « La Cour infirme une décision d’une commission des droits de la personne quant a la légalité d’un test inopiné a l’ivressometre » sous la rubrique « Publications »; voir aussi « La Cour d’appel fédérale juge discriminatoire la politique sur les tests obligatoires de dépistage des drogues » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.