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Le congédiement des employés du secteur public et le devoir d’équité

Lorsqu’il envisage le licenciement d’un employé, l’employeur dans le secteur public doit tenir compte d’un facteur qui ne concerne pas son homologue du secteur privé : certains employés du secteur public ont droit, avant leur licenciement, a une certaine mesure d’équité procédurale. Celle-ci exige que l’employé reçoive un avis quant aux motifs de son licenciement, et qu’il ait la possibilité de réagir. Un manque a ce devoir d’équité peut entraîner non seulement des dommages-intérets en faveur de l’employé licencié, comme dans le cas du renvoi injustifié, mais également l’obligation de le réintégrer dans son emploi.

KNIGHT C. INDIAN HEAD SCHOOL DIVISION NO. 19: LES BASES

Au fil des ans, les tribunaux canadiens ont élaboré le concept du devoir d’équité pour contrôler la discrétion tres large accordée aux employeurs du secteur public de licencier selon leur bon plaisir, sans motif ni avis.

A moins que la loi ou un contrat de travail ne confere a l’employé un droit a l’équité procédurale, l’obligation de l’employeur d’agir équitablement dépend de trois facteurs : la nature de la décision qu’il prend, la relation qui existe entre lui et l’employé, et l’effet de la décision sur les droits de l’employé. La jurisprudence illustre clairement le fait que la décision de mettre fin a l’emploi remplit la premiere et la troisieme conditions ; la seconde, toutefois, est davantage discutée. Dans l’arret Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] S.C.R. 653, la Cour supreme du Canada distingue trois catégories de relation d’emploi : (i) la relation employeur et employé, ou il n’existe aucune obligation d’agir équitablement lorsqu’on décide de mettre fin a l’emploi, (ii) la nomination « au bon plaisir », ou l’emploi peut prendre fin sans avis ni motif, et (iii) un poste dont l’employé ne peut etre renvoyé sans motif valable. Dans les deux derniers cas, l’employeur a le devoir d’agir équitablement, mais non dans le cas d’une relation employeur et employé.

Pour déterminer si un emploi est « au bon plaisir », plutôt que de constituer une relation employeur et employé, les tribunaux considerent généralement si le poste de l’employé découle de quelque façon d’une autorisation législative ou s’il a quelque « couleur » législative. Plusieurs causes récentes en Ontario ont porté sur le sens de la nomination « au bon plaisir » et sur les conséquences d’une telle définition.

BRODERICK c. KANATA: LA NATURE DE L’EMPLOI

Cette décision, rendue le 24 novembre 1995, portait sur le cas de deux employés, l’un directeur des ressources humaines de la municipalité, l’autre, ingénieur municipal, tous deux licenciés par résolution du conseil municipal. Ni l’un ni l’autre n’avait été avisé que la question serait a l’ordre du jour, et ni l’un ni l’autre n’avait eu l’occasion de se faire entendre. Les deux ont obtenu, toutefois, une indemnité de départ de la municipalité.

La principale question en litige était de savoir si ces employés avaient été embauchés « au bon plaisir » ou s’ils se trouvaient dans une relation employeur et employé avec la municipalité. L’avocat de cette derniere a soutenu que l’abrogation d’une disposition de la Loi sur les municipalités selon laquelle tous les administrateurs nommés par le conseil municipal l’étaient « au bon plaisir » signifiait que ces employés ne pouvaient plus etre considérés comme nommés « au bon plaisir ».

Le tribunal a rejeté cet argument, et déclaré que les deux employés occupaient des postes permanents de responsabilité, leurs fonctions et leurs droits étant dictés par une loi ou un reglement. Par conséquent, les deux étaient clairement des administrateurs nommés « au bon plaisir ». Le fait qu’on pouvait mettre fin a leur emploi sans motif valable ne signifiait pas que la procédure de licenciement pouvait etre completement arbitraire. Parce que la municipalité n’avait pas respecté l’équité procédurale, ils avaient le droit d’etre réintégrés dans leur emploi.

KOPIJ c. TORONTO: LE DEVOIR D’ÉQUITÉ S’APPLIQUE AU LICENCIEMENT RÉPUTÉ

Bohdan Kopij était superviseur des relations de travail aupres du Service ambulancier de la communauté urbaine de Toronto. Parce qu’il avait fourni des renseignements inexacts a un avocat lors d’un arbitrage, ce dernier, ainsi qu’un autre cadre supérieur, ont refusé de continuer de travailler avec lui. M. Kopij a soutenu que cela avait eu pour effet de diminuer de moitié ses fonctions, et constituait un licenciement réputé. Dans une décision rendue le 20 juin 1996, le tribunal lui a donné raison.

Il ne s’agissait pas ici pour le tribunal de décider si M. Kopij avait été nommé « au bon plaisir », puisque cela avait été admis par la municipalité. Toutefois, l’avocat de cette derniere a soutenu qu’il n’y avait aucune obligation d’équité a l’égard des employés de cette catégorie. Le tribunal a rejeté cette affirmation, en déclarant que les employés nommés « au bon plaisir » avaient droit a une procédure équitable, meme si cela pouvait paraître paradoxal:

[TRADUCTION] « Puisque l’emploi « au bon plaisir » signifie qu’il n’est pas nécessaire pour l’employeur d’avoir un motif pour la cessation d’emploi, la notion d’équité procédurale est quelque peu une anomalie dans ce contexte. Elle a, toutefois, été introduite par la Cour supreme parce que la notion meme de l’emploi « au bon plaisir » a été reconnue comme un anachronisme; par conséquent, il s’agissait d’introduire autant que possible une certaine mesure de protection de l’emploi, meme dans une situation ou, d’apres l’intention originale, il ne devrait en exister aucune. »
Le tribunal a observé que le concept d’équité procédurale s’appliquait difficilement aux cas de licenciement réputé. Néanmoins, selon le tribunal, il était clair que la décision des deux cadres de mettre fin a leurs contacts avec M. Kopij lui était présentée comme un fait accompli, et qu’aucune rencontre avec le Commissaire n’avait été organisée pour discuter de la situation. M. Kopij n’avait eu droit ni a un avis, ni a la possibilité de se faire entendre.

M. Kopij ne demandait pas d’etre réintégré rétroactivement dans ses fonctions, mais plutôt le versement de dommages-intérets pour compenser l’absence d’un avis. Cela, malgré le fait que son statut d’employé nommé « au bon plaisir » ne lui conférait aucun droit a un avis. Le tribunal a fait remarquer que la jurisprudence était plutôt laconique sur le type de compensation que devrait entraîner le défaut d’équité procédurale, mais a déclaré qu’il ne fallait pas refuser a M. Kopij la réparation moindre, c’est-a-dire les dommages-intérets.

En fin de compte, M. Kopij a eu droit a dix mois de salaire, le raisonnement étant que telle aurait pu etre l’indemnité de départ qu’il aurait négociée si on lui avait offert de s’expliquer en temps opportun. Le tribunal lui a également accordé des dommages-intérets pour souffrance morale, jugeant que le défaut par la municipalité d’accorder l’équité procédurale au demandeur constituait de la négligence et que la souffrance morale que ce défaut causait a M. Kopij était raisonnablement prévisible.

DEWAR c. ONTARIO: LES NOMINATIONS POUR UNE PÉRIODE DÉTERMINÉE NE SONT PAS DES NOMINATIONS « AU BON PLAISIR »

Malgré l’exigence de l’équité procédurale, il est tout de meme assez facile de licencier l’employé nommé « au bon plaisir ». La nature du différend dans l’affaire concernant Marion Dewar et Judith Hunter, décidée le 25 juillet 1996, nous éclaire sur ce point. Mmes Dewar et Hunter avaient été nommées par le gouvernement néo-démocrate précédent a la Commission des services policiers de la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton pour des mandats de deux ans. Ces nominations avaient été faites par voie de décrets du conseil, qui remplaçaient des décrets antérieurs qui les nommaient pour des mandats indéfinis. En décembre 1995, au milieu de leur mandat, les deux nominations ont été révoquées par le nouveau gouvernement conservateur. Mmes Dewar et Hunter ont présenté une demande de révision judiciaire de leur licenciement, leur argument étant qu’elles avaient été nommées pour un mandat fixe et non « au bon plaisir ».

Le tribunal leur a donné raison, et a rejeté l’argument du gouvernement que les nominations étaient « au bon plaisir » malgré le mandat défini de deux ans. Le gouvernement, pour défendre son droit de licencier, s’appuyait sur une cause anglaise ou il avait été déclaré que les contrats pour une période déterminée entre la Couronne et les fonctionnaires ne limitaient pas le pouvoir de la Couronne de congédier a son gré, avant l’expiration de la période d’emploi. En l’espece, toutefois, d’apres le tribunal, la limitation des pouvoirs de la Couronne était imputable a la Couronne elle-meme et non a un contrat:

[TRADUCTION] « L’affaire Dunn se distingue [de celle-ci], selon moi, parce que dans cette affaire la durée de la nomination n’émanait pas d’un décret du conseil. Ici, les décrets du conseil nommant les demanderesses constituaient le moyen par lequel le pouvoir de la Couronne s’exerçait. Le pouvoir de la Couronne en matiere de licenciement a donc été limité par la Couronne elle-meme. »
Mmes Dewar et Hunter ne demandaient pas d’etre réintégrées dans leurs fonctions. Le tribunal a donc déclaré que les décrets ordonnant leur licenciement n’étaient pas valides, qu’elles auraient du exercer leurs fonctions jusqu’a la fin de leurs mandats, et qu’elles avaient droit a une pleine compensation pour toute perte encourue comme conséquence de la cessation illégale de leur emploi.

NOTRE POINT DE VUE

La décision Broderick indique combien graves sont les conséquences de ne pas respecter l’équité procédurale, meme lorsqu’une indemnité de départ a été versée. Les employeurs dans le secteur public devraient donc étudier attentivement la nature des droits et des responsabilités d’un employé afin d’établir si cette personne est nommée « au bon plaisir » et si elle a droit a l’équité procédurale.

Comme le fait ressortir la décision Kopij, cet examen de la situation pourrait maintenant aussi etre crucial dans les situations ou l’employeur souhaite modifier les fonctions de l’employé. Dans un tel cas, s’il existe la moindre possibilité que ce changement de fonctions puisse etre perçu comme équivalent a un licenciement réputé, l’employeur pourrait aussi avoir l’obligation d’informer l’employé des motifs du changement et de lui accorder la possibilité de réagir.

Il semble que les gouvernements qui ont limité leur pouvoir de licencier selon leur bon plaisir en nommant un employé pour une période déterminée sont obligés de respecter la durée du mandat, sous réserve d’un motif de congédiement. A la fin du mandat, bien sur, la nomination peut prendre fin sans qu’il soit nécessaire de respecter l’équité procédurale. En outre, comme l’indique le tribunal dans la décision Dewar, si les nominations avaient été le fait d’un contrat plutôt que d’un décret du conseil, le pouvoir de la Couronne de licencier une personne nommée « au bon plaisir » serait peut-etre demeuré entier. La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli une requete en pourvoi de la décision Dewar. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de la suite des événements. (Voir aussi « La CSC affirme que l’emploi dans la fonction publique ne constitue pas « une servitude féodale » » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229 ou avec Andrew Tremayne au (613) 563-7660, poste 236.