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La Cour d’appel de l’Ontario considère si un jugement d’inconduite en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi fait obstacle à une action pour congédiement injustifié

La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Schweneke v. Ontario (10 février 2000), s’est penchée encore une fois sur l’une des principales questions traitées dans la décision Minott v. O’Shanter Development Co. (voir « L' »inconduite » d’un employé aux termes de la Loi sur l’assurance-chômage ne constitue pas un motif suffisant de congédiement » sous la rubrique « Publications »), à savoir, l’application du issue estoppel aux plaignants, dans une poursuite pour congédiement injustifié, contre qui un tribunal administratif a rendu un verdict d’inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. De façon plus générale, la question se pose pour toute personne qui allègue un congédiement injustifié et qui a eu droit à un jugement défavorable de la part d’un des multiples tribunaux administratifs établis sous le régime législatif en matière d’emploi.

Le issue estoppel, nos lecteurs s’en rappelleront, est un mécanisme qui empêche une partie d’intenter un nouveau procès pour une question déjà réglée dans une procédure préalable. Les tribunaux ont jugé déjà que le issue estoppel doit satisfaire à trois exigences : 1) la question en litige doit être la même dans les deux instances; 2) la décision qui crée l’estoppel (ici, la décision du tribunal administratif constitué sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi) doit être finale et judiciaire; enfin, 3) les parties dans les deux instances doivent être les mêmes, ou du moins identiques du point de vue de leurs intérêts.

MINOTT : DISCRÉTION D’APPLIQUER OU NON LE PRINCIPE DU ISSUE ESTOPPEL

Dans l’affaire Minott, la Cour a rejeté l’application du issue estoppel à une conclusion d’un conseil d’arbitres qu’il y avait eu inconduite aux termes de la loi alors en vigueur, la Loi sur l’assurance-chômage. La Cour a conclu que les trois exigences n’avaient pas été satisfaites, mais plus important encore, elle a déclaré que même si elles l’avaient été, la Cour aurait exercé sa discrétion pour ne pas appliquer le principe afin d’éviter de faire subir une injustice à M. Minott en empêchant sa poursuite pour congédiement injustifié. Maintenant, dans la décision Schweneke, la Cour est revenue sur ce qui semblait être un refus global de bloquer une poursuite pour congédiement injustifié intentée par un demandeur ayant reçu une décision défavorable dans le cadre du processus de l’assurance-chômage ou de l’assurance-emploi.

Dans le cas de M. Schweneke, la procédure antérieure avait eu lieu devant un juge-arbitre de l’assurance-chômage, la plus haute instance de la procédure avant d’en arriver au contrôle judiciaire. M. Schweneke était un employé du ministère de l’Éducation de l’Ontario, détaché en 1982 à une institution allemande nommée IFA et financée par le gouvernement. En 1990, l’Ontario a suspendu M. Schweneke, alléguant qu’il était devenu, à l’insu du gouvernement, un employé à temps complet et de l’Ontario et d’IFA, et qu’il avait reçu une double rémunération entre 1982 et 1990. En octobre 1990, l’Ontario a reçu un rapport de Price Waterhouse qui concluait que M. Schweneke avait reçu des remboursements en double pour certaines de ses dépenses. En juillet 1991, M. Schweneke a démissionné de son poste.

Après avoir d’abord eu gain de cause pour l’obtention des prestations d’assurance-chômage, M. Schweneke a été disqualifié par le conseil des arbitres. Il a interjeté appel devant le juge-arbitre, qui a maintenu la décision.

Saisie de la poursuite pour congédiement injustifié intentée par M. Schweneke, la Cour d’appel a jugé que contrairement à l’affaire Minott, les trois exigences du issue estoppel, faisant obstacle à la poursuite, étaient ici satisfaites. Surtout, la Cour a précisé dans quelles circonstances les tribunaux devraient exercer leur discrétion de ne pas appliquer le issue estoppel dans des cas comme celui de M. Schweneke.

SCHWENEKE : NON PAS L’INJUSTICE POTENTIELLE, MAIS L’INJUSTICE RÉELLE

Après avoir d’abord noté qu’une application « mécanique » du issue estoppel aux conclusions de tribunaux administratifs donnerait lieu à des injustices dans des poursuites civiles ultérieures, la Cour a donné l’avertissement qu’il ne fallait pas verser dans l’autre extrême et refuser automatiquement d’appliquer le principe :

[TRADUCTION] « Le recours à la discrétion [de ne pas appliquer le issue estoppel] peut être particulièrement utile lorsque le jugement sur lequel on s’appuie émane d’un tribunal administratif dont les procédures sont conçues pour régler rapidement des demandes bien précises, mais cette discrétion ne doit pas être si ample qu’elle écarte d’emblée l’application du issue estoppel aux conclusions des tribunaux administratifs. La discrétion ne peut effacer entièrement la règle qui rend la doctrine applicable aux conclusions des tribunaux administratifs dont la procédure, bien que judiciaire, est moins élaborée que celle des tribunaux civils. »

Par conséquent, a déclaré la Cour, une partie ne peut pas simplement invoquer des principes d’équité uniquement en raison de la procédure simplifiée d’un tribunal administratif par rapport à celle d’un tribunal civil. Elle doit plutôt faire la preuve qu’une injustice s’est effectivement produite. Le seul potentiel d’injustice ne suffit pas.

Dans le cas de M. Schweneke, la Cour a conclu qu’aucune injustice ne résulterait du fait que les conclusions du juge-arbitre bloquaient sa poursuite. M. Schweneke connaissait la teneur du rapport Price Waterhouse et les documents à l’appui fournis au juge-arbitre, et avait eu l’occasion de présenter ses arguments en réplique. Il avait eu deux ans et demi pour se préparer pour l’audience, et bénéficié des services d’un avocat pendant une partie de ce temps. M. Schweneke ne pouvait prétendre que des circonstances financières pressantes l’avaient empêché de présenter sa cause, vu l’intervalle de deux ans et demi entre l’interjection d’appel et l’audience devant le juge-arbitre. La Cour a donc décidé que M. Schweneke ne l’avait pas convaincue que le issue estoppel ne devrait pas s’appliquer en l’occurrence.

Notre point de vue

Le seul facteur qui aurait pu, d’après la Cour, servir d’argument à M. Schweneke pour lui permettre de procéder dans sa poursuite était le fait que l’enjeu financier de la procédure d’assurance-chômage était considérablement moindre que celui de la poursuite civile. La Cour a néanmoins jugé que ce facteur, à lui seul, ne pouvait justifier le refus d’appliquer le issue estoppel, puisque l’enjeu financier devant un tribunal administratif sera presque toujours inférieur aux sommes en jeu dans une poursuite civile.

La décision est encourageante pour les employeurs poursuivis pour congédiement injustifié par des employés qui ont perdu devant un tribunal administratif. La Cour semble avoir encadré strictement les considérations formulées dans la décision Minott qui justifiaient la non application du issue estoppel dans de tels cas.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.