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Un art et non une science : la Cour divisionnaire maintient le préavis de 18 mois pour une employée de bureau de longue date

Une décision récente de la Cour divisionnaire de l’Ontario illustre bien l’incertitude qui entoure le calcul du préavis raisonnable dans un cas de congédiement injustifié. La décision dans l’affaire Cohen v. Edwards (22 juin 2000) est d’autant plus intéressante qu’elle touche les considérations spéciales qui s’appliquent dans le cas d’une employée subalterne de longue date et en fin de carriere, notamment la sympathie qu’éprouvent les tribunaux pour ce genre de plaignant. Cette sympathie, jointe a la déférence a l’égard des jugements d’instances inférieures, peut se traduire par des dommages-intérets a l’extrémité supérieure de la fourchette « raisonnable ».

Hilda Cohen était âgée de 64 ans lorsqu’elle a été congédiée. Commis sans formation spécialisée et dotée d’un simple diplôme d’études secondaires, elle avait travaillé pendant 20 ans pour un psychiatre, ami de la famille. Elle travaillait deux jours par semaine. En premiere instance, on lui a accordé un préavis de 18 mois. L’employeur a interjeté appel aupres de la Cour divisionnaire, ou la majorité a maintenu la décision.

LA RETRAITE IMMINENTE N’EST PAS UNE CONSIDÉRATION

L’employeur a soutenu devant la Cour divisionnaire que le juge de premiere instance avait fait erreur en ne limitant pas les dommages-intérets au moment ou Mme Cohen aurait atteint l’âge de 65 ans, l’hypothese étant qu’elle aurait alors pris sa retraite. En outre, a avancé l’employeur, Mme Cohen n’était jamais retournée au travail, ce qui montrait bien qu’elle aurait pris sa retraite de toutes façons. La Cour n’était pas d’accord :

    « [TRADUCTION] Il se peut fort bien que la plupart des gens prennent leur retraite a 65 ans, mais ce n’est pas le cas pour tous. Or, aucune preuve n’a été présentée en premiere instance quant aux intentions de Mme Cohen, et aucune preuve non plus pour indiquer si l’employeur avait comme pratique ou politique de mettre fin a l’emploi de ses employés lorsqu’ils atteignaient 65 ans. Le fait que Mme Cohen n’est jamais retournée sur le marché du travail apres son congédiement n’indique pas nécessairement qu’elle aurait pris sa retraite a 65 ans si elle n’avait pas été congédiée. »

LES FACTEURS DE L’AFFAIRE BARDAL, « L’ART » DE CALCULER LA PÉRIODE DE PRÉAVIS, ET LA DÉFÉRENCE DES COURS D’APPEL

Apres avoir déterminé qu’il n’y avait pas interruption automatique de la vie active a 65 ans, la Cour a évalué l’indemnisation de Mme Cohen en se fondant sur les quatre facteurs établis dans un arret de 1960, Bardal v. Globe & Mail. Trois de ces facteurs, soit la durée de service, l’âge avancé et la difficulté de trouver un nouvel emploi, militaient en faveur d’une période de préavis allongée. Par contre le quatrieme facteur, c’est-a-dire la nature de l’emploi, un poste de commis, avait tendance a raccourcir la période.

En se fondant sur ces facteurs, la Cour a déterminé qu’un préavis entre 12 et 18 mois se situait dans une fourchette raisonnable. Le juge de premiere instance avait accordé 18 mois. Pour parler de son rôle dans l’examen de la décision du juge de premiere instance, la Cour a longuement cité la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Minott v. O’Shanter Development Co. (voir « L' »inconduite » d’un employé aux termes de la Loi sur l’assurance-chômage ne constitue pas un motif suffisant de congédiement » sous la rubrique « Publications ») :

    « [TRADUCTION] Déterminer la période de préavis raisonnable est un art et non une science. Dans chaque cas, le juge de premiere instance doit mettre dans la balance un ensemble de facteurs pertinents. Il n’y a pas deux cas identiques, et regle générale, il n’y a pas un chiffre « correct » pour le préavis raisonnable. La plupart des cas donnent plutôt une fourchette raisonnable. La détermination que fait le juge de premiere instance de la période de préavis raisonnable a donc droit a la déférence d’une cour d’appel. Celle-ci ne peut justifier son intervention a moins que le chiffre établi par le juge de premiere instance soit en dehors d’une fourchette raisonnable ou a moins que le juge ait commis une erreur de principe ou se soit fondé sur une conclusion déraisonnable pour établir ce chiffre. … Si le juge de premiere instance a commis une erreur de principe, le tribunal d’appel peut substituer son propre chiffre. Mais il doit le faire avec retenue si le montant accordé par le juge se situe dans une fourchette acceptable, malgré l’erreur de principe. »

S’appuyant sur l’approche déférente de l’arret Minott, la majorité de la Cour a jugé que le montant accordé par le juge de premiere instance n’était ni en dehors d’une fourchette acceptable, ni fondé sur une erreur de principe. Par conséquent, la Cour a maintenu la décision qui accordait 18 mois de dommages-intérets tenant lieu de préavis.

Comme pour illustrer la mesure dans laquelle meme les juges peuvent diverger sur ce qui constitue un préavis raisonnable, le juge minoritaire a jugé qu’un préavis de six mois conviendrait mieux. Pour en arriver a ce chiffre, l’avis dissident tenait compte des facteurs suivants :

  • le faible niveau de compétence de la plaignante,
  • le fait que l’employeur était en pratique privée, et un ami de la famille de Mme Cohen,
  • l’âge de Mme Cohen, et sa retraite imminente,
  • « [TRADUCTION] l’absence quasi totale de volonté de limiter les dommages-intérets en cherchant un autre emploi ».

Notre point de vue

Les commentateurs ont signalé que les trois différentes périodes de préavis proposées par les juges qui ont entendu l’affaire, soit six, douze et dix-huit mois, montrent bien l’incertitude qui entoure la détermination d’une période de préavis raisonnable. Cette incertitude est clairement accrue lorsque, comme en l’espece, le tribunal est partagé entre d’une part, la durée de service de l’employé et la difficulté de trouver un nouvel emploi, et, d’autre part, le caractere subalterne du poste de l’employé.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.