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Après six ans de service, le PDG d’un hôpital a droit à 30 mois d’avis

Nombre d’employeurs savent que l’un des facteurs qui déterminent la période de préavis due à un employé congédié sans motif est la durée de service de l’employé. Cependant, une décision récente en Ontario montre qu’un employé peut se mériter une longue période de préavis même en l’absence d’une longue durée de service. Il s’agit de l’affaire Kilpatrick v. Peterborough Civic Hospital (17 avril 1998), où l’employé a obtenu le plus long préavis jamais accordé par un juge ontarien. (Pour un compte rendu de l’évolution récente de cette affaire, voir « La décision Kilpatrick est cassée pour des motifs de procédure » sous la rubrique « Publications ».)

Avant de se laisser convaincre de devenir président-directeur-général de l’hôpital Civic de Peterborough, William Kilpatrick avait été à l’emploi de l’hôpital de Moncton pendant 29 ans, et président de l’hôpital pour les 21 dernières années. M. Kilpatrick n’avait pas postulé l’emploi au Civic. Il avait été contacté après l’échec d’un recrutement à l’échelle nationale. Lorsqu’on lui a d’abord offert le poste, M. Kilpatrick s’est montré assez réticent. Des négociations ont suivi, et M. Kilpatrick a finalement accepté une offre améliorée. Son emploi a débuté en juillet 1991, pour se terminer par un renvoi environ six ans plus tard.

INCITATION IMPLICITE

Devant le tribunal, l’hôpital Civic n’a pas soutenu que le congédiement était justifié. Le litige portait uniquement sur la longueur de la période de préavis. Le Civic a plaidé, pour expliquer son refus d’accorder les 30 mois de préavis demandés par M. Kilpatrick, qu’il n’y avait aucune preuve que M. Kilpatrick avait été expressément incité à changer d’emploi.

Le tribunal a reconnu qu’aucune mesure spécifique d’incitation n’avait été offerte, mais il a jugé que compte tenu des circonstances du recrutement de M. Kilpatrick, il était probable qu’il avait été implicitement incité à accepter le poste. À cet égard, le tribunal a jugé qu’il était raisonnable pour M. Kilpatrick de croire à la fois que le Civic le « courtisait » activement et qu’il n’aurait pas à s’inquiéter de sa future sécurité financière :

[TRADUCTION] « La cour qu’on lui a faite comportait implicitement la promesse que cet homme de 53 ans, qu’on invitait à s’arracher, lui et sa famille, de la communauté de Moncton où il avait toujours vécu, à renoncer à 29 ans d’ancienneté dont 21 à titre de président-directeur-général pour déménager…dans une nouvelle province et prendre un emploi avec un nouvel employeur, pouvait raisonnablement s’attendre à garder son poste et sa sécurité financière et celle de sa famille jusqu’à l’âge normal de retraite de 65 ans. »

L’INCITATION COMME FACTEUR DE DÉTERMINATION DE LA PÉRIODE DE PRÉAVIS

Le tribunal a fait remarquer que selon certaines décisions, le facteur d’incitation pour déterminer un préavis raisonnable ne s’appliquait que lorsque l’employé était congédié peu de temps après son embauche. Le tribunal n’était pas d’accord avec ce point de vue, et a mentionné que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd (voir « Équitablement, raisonnablement et décemment » : la Cour suprême juge que les employeurs doivent traiter de bonne foi les employés qu’ils congédient » sous la rubrique « Publications ») avait qualifié l’incitation à quitter un emploi sûr comme un facteur qui, le cas échéant, permet d’allonger la période de préavis. Selon le tribunal, cela signifiait que [TRADUCTION] « la durée de temps d’emploi après l’incitation est un des facteurs dont le tribunal devrait tenir compte pour pondérer le facteur incitation, plutôt que d’écarter ce facteur entièrement ». De n’accorder aucun poids à l’incitation encouragerait les employeurs, de l’avis du tribunal, à utiliser l’incitation d’un emploi sûr tout en ayant comme intention cachée de ne garder la personne incitée qu’à moyen terme.

UNE « ALLURE D’ENGAGEMENT »

Le tribunal a signalé qu’au cours de négociations, l’hôpital Civic s’était inquiété de la possibilité que M. Kilpatrick décide de prendre une retraite anticipée peu de temps après son embauche. Par conséquent, l’hôpital avait laissé entendre que toute offre d’emploi avait pour condition un engagement à long terme de la part de M. Kilpatrick. Vu ces circonstances, sa durée relativement courte de service ne pouvait servir à diminuer la période de préavis raisonnable :

[TRADUCTION] « S’il est important pour l’employé dans le cadre du processus d’embauche de donner à l’employeur prospectif l’assurance d’un engagement à long terme, il serait…déraisonnable pour l’employeur de penser pouvoir éviter les conséquences d’avoir suscité une telle attente dans les pourparlers en congédiant l’employé à une échéance bien en-deçà du long terme. »

Le tribunal a donc jugé que M. Kilpatrick ne devrait pas se trouver dans une pire situation que s’il avait été congédié de l’hôpital de Moncton après 29 ans de service, et lui a accordé un préavis de 30 mois.

Notre point de vue

Deux conclusions s’imposent : d’une part, la durée du préavis dépend fortement des circonstances factuelles, et d’autre part, les tribunaux sont de plus en plus disposés à accorder de longues périodes de préavis aux employés qui leur semblent avoir été traités avec peu d’égards (voir, par exemple, « Employé de longue durée, contrats à court terme : préavis exemplaire et dommages punitifs » sous la rubrique « Publications »). En l’occurrence, le tribunal a indiqué que même si l’employeur n’avait pas aggravé le congédiement avec des mots durs ou un comportement ingrat, le congédiement même, vu les circonstances de la récente embauche, avait eu des « conséquences dévastatrices » pour l’employé, que l’employeur aurait dû prévoir. (Voir aussi « Le congédiement : une tâche désagréable, mais inévitable » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.