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La Cour conclut que le congé spécial en raison d’une maladie infectieuse de la LNE empêche un employé de poursuivre une réclamation civile pour congédiement implicite

Nos lecteurs se souviendront de l’affaire Coutinho c. Ocular Health Centre Ltd. (27 avril 2021), détaillée dans un article Au Point précédent, et dans laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a examiné la question de savoir si la référence au « congédiement implicite » dans le Règlement 228/20, Congé spécial en raison d’une maladie infectieuse (« Règlement CSRMI ») pris en application de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario (« LNE ») empêchait un employé de déposer une plainte (ou une réclamation) contre un employeur pour congédiement implicite en vertu de la LNE et de la common law, ou si elle se limitait à la LNE uniquement. Dans cette affaire, la Cour a jugé que le Règlement CSRMI n’empêchait pas l’employée d’intenter une action contre son employeur pour congédiement implicite en common law. Toutefois, dans la décision récemment rendue dans l’affaire Taylor c. Hanley Hospitality Inc. (7 juin 2021), la Cour supérieure de justice de l’Ontario est arrivée à une conclusion complètement opposée.

 

Contexte

En mars 2020, le gouvernement de l’Ontario a introduit un congé spécial d’urgence pour maladie infectieuse (« Congé spécial ») en vertu de la LNE afin d’offrir aux employés un congé non rémunéré avec protection d’emploi s’ils ne remplissent pas les fonctions de leur poste pour l’un des motifs énumérés liés à une maladie infectieuse désignée (c.-à-d. la COVID-19). Puis, en mai 2020, le gouvernement de l’Ontario a promulgué le Règlement CSRMI qui offre aux employeurs touchés par la pandémie de COVID-19 un allègement temporaire des règles normales de la LNE sur les mises à pied temporaires, le licenciement, l’indemnité de cessation d’emploi et le congédiement implicite en prévoyant que les employés non syndiqués sont considérés comme étant en congé spécial en raison d’une maladie infectieuse dans certaines situations. En particulier, le paragraphe 7(1) du Règlement CSRMI prévoit ce qui suit :

7. (1) Les situations suivantes ne constituent pas un congédiement implicite si elles surviennent pendant la période de la COVID-19 :

  1. La réduction ou l’élimination temporaire des heures de travail de l’employé par l’employeur pour des motifs liés à la maladie infectieuse désignée.
  2. La réduction temporaire du salaire de l’employé par l’employeur pour des motifs liés à la maladie infectieuse désignée.

Dans l’affaire Coutinho, la Cour a conclu que le Règlement CSRMI n’empêchait pas un employé d’intenter une action civile pour congédiement implicite contre son employeur et que, dans cette affaire, l’employée avait effectivement fait l’objet d’un congédiement implicite par son employeur. Mais, pour les raisons résumées ci-dessous, un autre juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge Ferguson) est arrivé à la conclusion opposée dans l’affaire Taylor v. Hanley Hospitality Inc.

 

Taylor c. Hanley Hospitality Inc. (7 juin 2021)

En raison de la déclaration de l’état d’urgence émise par le gouvernement de l’Ontario le 17 mars 2020, l’employeur (Hanley Hospitality Inc.) a dû fermer toutes ses devantures Tim Hortons, ainsi que l’un de ses magasins entièrement. L’employeur a procédé à des réductions de sa main-d’œuvre en raison de l’état d’urgence et a dû mettre temporairement à pied plus de 50 employés, dont la plaignante dans cette affaire. L’employée a été mise à pied temporairement le 27 mars 2020. En raison du Règlement CSRMI, elle a été considérée comme étant en Congé spécial en vertu de la LNE. L’employée a ensuite été rappelée et a repris le travail le 3 septembre 2020. L’employée a fait valoir que sa mise à pied temporaire était un congédiement implicite en common law et que son emploi avait donc pris fin. Mais la Cour n’a pas été de cet avis. La Cour a conclu que la mise à pied de l’employée n’était plus une mise à pied, mais plutôt un Congé spécial, rendant tout argument sur l’application de la common law aux mises à pied temporaires inapplicable et non pertinent.

Dans la décision Taylor, la Cour a spécifiquement mentionné qu’elle avait examiné les soumissions fournies par les parties à la suite de la publication de la décision Coutinho. La Cour a indiqué qu’elle était d’accord avec les observations de l’employeur et a conclu que l’employée ne pouvait pas être en congé autorisé (Congé spécial) aux fins de la LNE et pourtant faire l’objet d’un congédiement implicite aux fins de la common law, car cela produirait un résultat absurde. La Cour a également accepté l’argument de l’employeur selon lequel la décision Coutinho était erronée et que la loi serait mieux servie par une décision qui appliquerait le bon sens et les règles d’interprétation afin de parvenir à la conclusion recherchée par l’employeur, à savoir que la plaignante n’avait pas fait l’objet d’un congédiement implicite et qu’elle était en fait en congé autorisé, en vertu du Congé spécial de la LNE et du Règlement CSRMI. La Cour a également convenu que le paragraphe 8(1) de la LNE, dont la partie pertinente stipule que « la présente loi ne porte pas atteinte aux recours civils dont dispose un employé contre son employeur », n’empêche pas la LNE de supplanter la common law et qu’il ne faut pas oublier que la common law évolue au fur et à mesure que les temps changent.

La Cour a également convenu qu’il était essentiel de se rappeler le contexte du Congé spécial en vertu de la LNE et du Règlement CSRMI comme suit :

  • Le législateur a créé le « problème » lorsqu’il a déclenché l’état d’urgence et exigé des employeurs qu’ils cessent ou réduisent leurs activités ;
  • Le législateur a obligé les employeurs à mettre à pied des employés ou à réduire leurs heures de travail ;
  • Ce faisant, le législateur a exposé les employeurs à des plaintes pour congédiement implicite en common law ;
  • Pour éviter ces conséquences, le législateur a modifié la LNE pour créer le Congé spécial et a promulgué le Règlement CSRMI ;
  • Le législateur a résolu le problème qu’il avait lui-même créé et a supprimé la responsabilité potentielle qui découlait de sa propre action ;
  • L’intention du législateur en agissant ainsi devrait être évidente pour tout le monde.

La Cour a conclu que les situations exceptionnelles exigent des mesures exceptionnelles. La Cour a ajouté que le gouvernement de l’Ontario a reconnu qu’il serait injuste que les employeurs doivent faire face à des réclamations pour congédiement implicite à la suite de l’imposition de l’état d’urgence. Si le gouvernement n’agissait pas, ces réclamations ne serviraient qu’à aggraver la crise économique découlant de la pandémie. La Cour a confirmé qu’il s’agit de simple bon sens et a donc rejeté l’action de l’employée.

 

À notre avis

La décision Taylor sera certainement bien accueillie par les employeurs de l’Ontario, en particulier ceux qui, comme l’employeur dans la décision Taylor, ont été gravement touchés par les fermetures et les restrictions obligatoires en Ontario pendant la pandémie de COVID-19. Cependant, nous avons maintenant deux décisions de la Cour supérieure de justice qui arrivent à des conclusions opposées, et il reste donc à voir si la Cour d’appel de l’Ontario (ou même la Cour suprême du Canada) se prononcera sur la question afin d’apporter des éclaircissements. Entretemps, étant donné l’importance de cette question pour les employeurs de l’Ontario, nous continuerons à informer régulièrement nos lecteurs des développements importants dans ce domaine.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sophie Gagnier au 613-940-2756, ou Mélissa Lacroix au 613-940-2741.