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La Cour d’appel de l’Ontario conclut que le « propriétaire » d’un projet de construction est un « employeur » ayant des obligations de sécurité accrues en vertu de la LSST

Une décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario met fin à la répartition traditionnelle des responsabilités en matière de santé et de sécurité sur les chantiers de construction. Dans l’affaire Ontario (Labour) v. Sudbury (City) (avril 2021), le plus haut tribunal de l’Ontario a conclu que la Ville de Sudbury (la Ville) était non seulement le « propriétaire », mais aussi un « employeur » aux fins de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST). La décision de la Cour d’appel signifiait que la Ville avait des obligations supplémentaires en matière de santé et de sécurité et pouvait être tenue responsable des infractions à la LSST.

À titre indicatif, la Ville avait retenu les services d’un entrepreneur général pour faire la réparation d’une route et d’une conduite d’eau. Le contrat de construction était typique en ce sens qu’il désignait l’entrepreneur général comme le « constructeur » aux fins de la LSST. Cette désignation signifiait généralement que l’entrepreneur général était le principal responsable de la santé et de la sécurité dans le cadre du projet.

En septembre 2015, une piétonne qui marchait dans la zone de construction a été mortellement blessée par une niveleuse conduite par un employé de l’entrepreneur général. Le ministère du Travail a fait enquête et a constaté qu’au moment de l’accident, diverses mesures de protection faisaient défaut. Il s’agissait notamment :

  • de clôtures de séparation pour tenir les piétons loin des équipements de construction;
  • de la présence d’un agent de police rémunéré pour contrôler et diriger la circulation;
  • de la présence d’un signaleur pour communiquer avec l’opérateur de la niveleuse.

Le Ministère a accusé l’entrepreneur général et la Ville de diverses infractions au Règlement de l’Ontario 213/91, Chantiers de construction, en vertu de la LSST. Notamment, la Ville a été accusée à la fois à titre de « constructeur » et d’« employeur ». L’entrepreneur général a finalement été reconnu coupable. Dans une procédure distincte, la Ville a plaidé non coupable.

Le juge du procès a conclu que, bien qu’il y ait eu des infractions à la LSST, la Ville n’était ni un « employeur » ni un « constructeur » et n’avait donc aucune obligation en vertu de la LSST. Le juge du procès a également conclu que la Ville avait une défense de diligence raisonnable. Cette décision a été confirmée en appel. Le procureur de la Couronne a toutefois interjeté appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario en faisant valoir que la décision antérieure selon laquelle la Ville n’était pas un « employeur » en vertu de la LSST était erronée.

La Cour d’appel a commencé son analyse en faisant remarquer qu’à titre de loi sur le bien-être public, la LSST devait être interprétée de façon libérale, plutôt que de façon étroite ou technique, pour qu’elle puisse remplir son mandat de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Ensuite, la Cour s’est demandé si la Ville était visée par la définition d’« employeur » de la LSST :

« employeur » Personne qui emploie un ou plusieurs travailleurs ou loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs. S’entend en outre de l’entrepreneur ou du sous-traitant qui exécute un travail ou fournit des services et de l’entrepreneur ou du sous-traitant qui entreprend, avec le propriétaire, le constructeur, l’entrepreneur ou le sous-traitant, d’exécuter un travail ou de fournir des services.

La Cour d’appel a concentré son attention sur le premier volet de la définition et a souligné qu’il ne faisait [traduction] « aucun doute » que les inspecteurs de la Ville se trouvaient sur le chantier de construction à différents moments pour effectuer diverses tâches, comme le contrôle de la qualité, la surveillance des progrès et la conformité générale aux contrats. Par conséquent, la Cour d’appel a conclu que la Ville correspondait parfaitement à la définition d’« employeur ».

Dans sa décision, la Cour d’appel a examiné le rôle d’un « employeur » en vertu de la LSST en citant un extrait de sa propre décision dans R. v. Wyssen (1992) :

[traduction]
Dans Wyssen, à la page 9, la Cour a fait remarquer que les dispositions d’application pertinentes de la Loi placent les employeurs « pratiquement dans la position d’un assureur qui doit s’assurer que les règlements prescrits sur la sécurité dans le lieu de travail ont été respectés avant que les travaux ne soient entrepris par des employés ou des entrepreneurs indépendants. »

Le concept de chevauchement des responsabilités entre les parties en milieu de travail a également été abordé. La Cour a souligné qu’une entité peut répondre aux définitions de la LSST pour diverses parties en milieu de travail et qu’elle serait tenue d’assumer les fonctions de chacune de ces parties en même temps. Une personne pourrait être propriétaire, constructeur et employeur et être assujettie aux obligations imposées aux trois en vertu de la LSST.

Deux autres questions ont été brièvement abordées dans la décision de la Cour. Premièrement, l’exemption prévue au paragraphe 1(3) de la LSST (qui empêche un propriétaire d’être un constructeur si le propriétaire engage un tiers pour superviser le contrôle de la qualité) n’empêche pas un propriétaire d’être un employeur.

La deuxième question portait sur la question de savoir si, pour être un « employeur » au sens de la LSST, une municipalité doit exercer un certain niveau de contrôle sur une tierce partie embauchée pour exécuter le travail. Dans sa décision, la Cour d’appel a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de trancher cette question puisque la Ville était un employeur au sens du premier volet de la définition, et que les parties n’avaient pas suffisamment examiné la question.

La Cour d’appel a résumé sa décision comme suit :

[traduction]
Nous concluons que la Ville était un employeur au sens de la Loi et que, par conséquent, elle était responsable des infractions au Règlement constatées par le juge du procès, à moins qu’elle ne puisse établir une défense de diligence raisonnable.  L’appel est accueilli et, comme il est indiqué ci-dessous, la décision est renvoyée pour trancher l’appel interjeté par le procureur de la Couronne concernant la conclusion du juge du procès sur la diligence raisonnable.

À notre avis

Cette décision crée une grande incertitude quant aux obligations d’un propriétaire en vertu de la LSST. L’interprétation traditionnelle était que la partie qui contrôle directement le lieu de travail et les employés étaient principalement responsable d’assurer la sécurité et la conformité à la LSST. Les autres « employeurs » qui étaient présents sur les lieux n’étaient généralement responsables que de leurs propres sphères de travail. Ce qui est troublant dans cette décision, c’est que le propriétaire n’avait sur place que des inspecteurs chargés de vérifier la conformité générale au contrat et l’état d’avancement des travaux. Ces inspecteurs ne semblaient pas avoir le contrôle du travail ni des employés de l’entrepreneur général. Néanmoins, de l’avis de la Cour d’appel, leur présence était suffisante pour faire du propriétaire un employeur investi d’un ensemble élargi d’obligations et d’une possible responsabilité à l’égard des infractions à la LSST.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613-940-2744.