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La Cour suprême facilite l’accès à l’éducation en anglais au Québec – mais pas pour les francophones

Dans deux arrêts rendus le même jour, la Cour suprême du Canada a réduit les restrictions à l’éducation en anglais qui sont imposées aux non francophones au Québec, mais a bloqué la tentative de parents francophones de faire éduquer leurs enfants en anglais. Dans les deux arrêts, la question en litige était de savoir si la Charte de la langue française du Québec enfreint l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne).

L’article 23 de la Charte canadienne prévoit ce qui suit :

23. (1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au   Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

GOSSELIN : LES FRANCOPHONES QUÉBÉCOIS NE SONT PAS TITULAIRES DE DROITS EN VERTU DES DISPOSITIONS SUR LES MINORITÉS LINGUISTIQUES DANS LA CHARTE CANADIENNE

Dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général) (31 mars 2005), la plupart des demandeurs étaient des parents francophones qui cherchaient à faire admettre leurs enfants à des écoles publiques de langue anglaise. Ils soutenaient que la Charte de la langue française violait leurs droits à l’égalité garantis par la Charte québécoise des droits ainsi que par l’article 15 de la Charte canadienne.

Les demandeurs contestaient l’article 73 de la Charte de la langue française, qui prévoit l’instruction en anglais pour certains groupes spécifiques au Québec, mais non pour la majorité francophone. Les demandeurs prétendaient que le but de cette disposition était d’exclure « des catégories entières d’enfants relativement à l’admissibilité à un service public ».

La Cour suprême a rejeté cette prétention, et a jugé que le but de l’article 73 était de mettre en oeuvre l’obligation constitutionnelle de la province d’offrir l’instruction dans la langue de la minorité à la communauté de la minorité linguistique. En tant que membre de la majorité linguistique, les demandeurs ne pouvaient prétendre à aucun droit soit en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne soit en vertu de l’article 73 de la Charte de la langue française.

La Cour a déclaré que les demandeurs ne pouvaient pas non plus utiliser les droits à l’égalité en vertu de la Charte canadienne pour écarter d’autres droits constitutionnels et a expliqué le rôle essentiel que jouent les divers types de droits des minorités dans la société canadienne :

Malgré leur importance considérable, les droits à l’égalité ne sont qu’un élément de notre toile constitutionnelle. Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, […] la protection des minorités a elle aussi été identifiée comme un principe clé, qui se manifeste en partie dans les droits à l’instruction dans la langue de la minorité (art. 23), les droits aux écoles confessionnelles (art. 93) et les droits ancestraux ou issus des traités (art. 25 et 35). La Cour a affirmé ce qui suit :

      « . . . même si ces dispositions sont le résultat de négociations et de compromis politiques, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas fondées sur des principes. Bien au contraire, elles sont le reflet d’un principe plus large lié à la protection des droits des minorités. »

La Cour a qualifié l’article 23 de « clef de voûte » de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme, et a déclaré que l’objet de l’article n’est pas d’assurer à la majorité linguistique un enseignement dans la langue de la minorité. En outre, a fait remarquer la Cour, donner à la majorité linguistique libre accès à l’enseignement dans la langue de la minorité risquait de menacer les droits des minorités linguistiques en leur enlevant le contrôle de l’éducation :

La gestion et le contrôle des écoles pour les minorités linguistiques constitue l’une des préoccupations concrètes. Dans l’arrêt [Mahé c. Alberta], notre Cour a expliqué l’importance de laisser à la minorité le contrôle de ses écoles :

«En outre, comme l’indique le contexte historique dans lequel l’art. 23 a été adopté, les minorités linguistiques ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupation linguistiques et culturelles.  Cette carence n’est  pas nécessairement intentionnelle : on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité.

Un gouvernement provincial qui offrirait à tous les citoyens un accès égal aux écoles destinées aux minorités linguistiques manquerait à son obligation de « faire ce qui est pratiquement faisable pour maintenir et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité » (Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard). »

La Cour a donc jugé que les demandeurs n’avaient pas droit à l’instruction publique en anglais au Québec.

SOLSKI : « INTERPRÉTÉ[E] CORRECTEMENT »,  LA CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE EST CONSTITUTIONNELLE

L’arrêt Solski c. Québec (Procureur général) (31 mars 2005) portait sur l’admissibilité d’enfants ayant une certaine scolarisation en anglais aux écoles publiques de langue anglaise au Québec. Il s’agissait de décider si les règles d’admissibilité à l’enseignement en anglais établies au paragraphe 73(2) de la Charte de la langue française étaient conformes à l’article 23 de la Charte canadienne. L’article 73 prévoit notamment ce qui suit :

73.  Peuvent recevoir l’enseignement en  anglais, à la demande de l’un de leurs parents :  […]

2º    les enfants dont le père ou la mère est  citoyen canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada, de même que leurs frères et soeurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire reçu au Canada;

On avait refusé aux enfants des demandeurs le certificat d’admissibilité, sous prétexte qu’ils n’avaient pas reçu la « majeure partie » de leur enseignement en anglais comme l’exigeait la disposition. Selon la Cour, la question à trancher était de savoir si l’exigence de la « majeure partie » était conforme au paragraphe 23(2) de la Charte canadienne.

La Cour a décrit l’article 23 comme établissant « un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires anglophones ou francophones ». La Cour a ajouté que si l’article 23 a été qualifié d’exception aux dispositions sur l’égalité de la Charte canadienne, il s’agit en fait d’un « exemple des moyens de réaliser l’égalité réelle dans le contexte particulier des communautés linguistiques minoritaires ». Malgré le rôle joué par l’article dans la protection des communautés minoritaires, la Cour a déclaré que l’article visait en premier lieu les droits individuels plutôt que collectifs :

L’article 23 vise clairement à protéger et à préserver, partout au Canada, les deux langues officielles et les cultures qui s’y rattachent; son application touche forcément l’avenir des  communautés linguistiques minoritaires. Les droits garantis par l’art. 23 sont, dans ce sens, des  droits collectifs, ce que reflètent d’ailleurs les conditions assortissant leur exercice. Leur application dépend du nombre d’élèves admissibles. Néanmoins, bien qu’ils présupposent l’existence d’une  communauté linguistique susceptible d’en bénéficier, ces droits ne se définissent pas avant tout comme des droits collectifs. Un examen attentif de la formulation de l’art. 23 révèle qu’il s’agit de droits individuels en faveur de personnes appartenant à des catégories particulières de titulaires de droits.

PARTIE « IMPORTANTE » ET NON « MAJEURE » DE L’INSTRUCTION

La Cour a jugé déficiente l’interprétation que faisait le Québec de l’exigence de « la majeure partie », la qualifiant de « disjonctive et strictement mathématique ». On tient compte de la fréquentation scolaire de l’enfant au primaire ou au secondaire, mais non de façon cumulative. En outre, l’admissibilité est déterminée uniquement en fonction du nombre de mois d’instruction dans chaque langue. D’autres facteurs, tels l’offre de programmes linguistiques et la présence de troubles d’apprentissage ou autres problèmes, n’entrent pas en ligne de compte.

La Cour a déclaré qu’elle ne pouvait accepter cette position. L’article 23 exige une interprétation large, compatible avec l’objectif constitutionnel de protéger les minorités linguistiques. Le but précis du paragraphe 23(2) est d’offrir la continuité dans les droits à l’instruction dans la langue minoritaire, de permettre la mobilité et d’assurer l’unité familiale. En outre, les enfants admissibles en vertu de l’article 23 n’ont pas à posséder une connaissance pratique de la langue de la minorité ni à appartenir à un groupe culturel identifié à cette langue. Par conséquent, l’exigence de « la majeure partie » doit être interprétée de manière à être compatible avec cet objectif :

Compte tenu de l’interprétation que doit recevoir le par. 23(2) […]nous estimons que, pour respecter cette disposition constitutionnelle, le critère de la « majeure partie » […]  doit comporter une évaluation qualitative plutôt que strictement quantitative du cheminement scolaire de l’enfant, évaluation permettant de déterminer si cet enfant a reçu une partie importante – sans qu’il s’agisse nécessairement de la plus grande partie – de son instruction, considérée globalement, dans la langue de la minorité.

L’interprétation mathématique restrictive manque de souplesse et peut même avoir pour effet d’empêcher un enfant de recevoir un enseignement essentiel au maintien de son lien avec la communauté et la culture minoritaires. Par exemple, un enfant qui a fait ses première, deuxième et troisième années en français et ses quatrième, cinquième et sixième années en anglais pourrait avoir formé un lien suffisant avec la communauté linguistique minoritaire, sans toutefois remplir les          conditions requises par le par. 73(2). Il se pourrait également que la langue apprise au cours des  trois dernières années représente un meilleur indice que celle apprise pendant les trois premières années. Trop de facteurs pertinents sont passés sous silence. Bref, l’interprétation restrictive  préconisée par le ministre de l’Éducation ne permet pas de traiter équitablement de nombreuses  personnes qui doivent être considérées admissibles selon une interprétation téléologique du par. 23(2) de la Charte canadienne.

La Cour a énuméré les facteurs à considérer pour déterminer l’admissibilité à l’instruction en anglais au Québec, notamment les suivants :

  • le temps passé dans chaque programme
  • l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait
  • le temps passé par la famille dans une région où l’instruction dans la langue de la minorité n’était pas offerte
  • les difficultés d’apprentissage de l’enfant dans la langue de la majorité.

Pour résumer, la Cour a déclaré que bien que ce ne soit pas dans l’intérêt de l’enfant ou de la minorité linguistique d’être déraciné, les provinces ont le droit de faire une évaluation qualitative de la situation afin de déterminer s’il existe un véritable engagement à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité, ce qui ne permet pas pour autant une approche « ponctuelle » artificielle pour décider de l’admissibilité à l’instruction dans la langue de la minorité.

Par conséquent, la Cour a jugé que le paragraphe 73(2) de la Charte de la langue française était valide, pourvu qu’on donne au mot « majeure » un sens qualitatif et non quantitatif.

Notre point de vue

La Cour laisse entendre dans l’arrêt Solski que l’article 23 pourrait s’appliquer différemment à l’intérieur et à l’extérieur du Québec, compte tenu de la différence dans la situation des communautés de la minorité linguistique au Québec par rapport à celle des minorités linguistiques ailleurs au Canada. La Cour a donné l’exemple d’une famille assimilée à l’extérieur du Québec qui aurait inscrit un de ses enfants dans le système scolaire anglophone dans le passé mais qui décide, à une étape assez tardive de l’éducation de l’enfant, de réintégrer la communauté et la culture de la minorité linguistique. Ces parents pourraient vouloir inscrire leurs enfants dans le système minoritaire, qui existait préalablement, mais qui devient soudainement viable en raison de la décision des parents d’aider leurs enfants à rétablir des liens avec la communauté minoritaire.

Dans de telles circonstances, l’approche qualitative pour évaluer l’admissibilité pourrait ne pas révéler un engagement suffisant à l’égard de l’instruction dans la langue de la minorité si la famille se trouve au Québec. Ailleurs, toutefois, selon la Cour, les enfants seraient sans doute admissibles à l’instruction dans la langue de la minorité. Cette différence dans l’application de l’article traduit la constatation de la Cour des « difficultés graves  engendrées par le taux d’assimilation des minorités francophones hors Québec, pour lesquelles les droits linguistiques actuels représentent des acquis récents, chèrement et difficilement obtenus ».

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Paul Marshall au (613) 940-2754.