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La Cour suprême a décidé qu’une clause automatique de cessation d’emploi après trois ans constitue une mesure d’accommodement raisonnable

La Cour suprême du Canada a confirmé la cessation d’emploi d’une personne ayant une déficience qui avait été congédiée après une longue période d’absentéisme involontaire. Le 26 janvier 2007, la Cour a décidé à l’unanimité (9-0) que le congédiement de cette employée aux termes d’une convention collective qui prévoyait le congédiement automatique des employés absents pendant plus de trois ans constituait une mesure d’accommodement raisonnable.

La cause Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal portait sur le grief d’une employé de 15 ans d’ancienneté qui s’était absentée du travail après une dépression nerveuse. Après plusieurs tentatives de retour au travail avec un horaire réduit, il a été mis fin à son emploi environ trois ans après qu’elle se soit pour la première fois absentée du travail pour des raisons de maladie. Le syndicat a déposé un grief dans lequel il demande que l’on convienne d’un accommodement raisonnable avec cette employée.

L’arbitre a rejeté le grief en soulignant que l’employeur avait déjà accommodé la demanderesse en lui accordant des périodes de réadaptation plus généreuses que celles prévues par la convention collective, et que la demanderesse était encore inapte au travail au terme de la période de trois ans prévue par la convention. Après avoir jugé que l’employeur avait rempli son obligation d’accommodement, l’arbitre a conclu que l’employeur avait agi avec la demanderesse « avec justice et sans discrimination en lui appliquant correctement une règle explicite prévue à la convention collective. »

La décision de l’arbitre a été confirmée après une révision judiciaire, mais la Cour d’appel du Québec a renversé la décision du tribunal inférieur. La Cour d’appel a conclu que l’arbitre n’avait pas fait un examen individualisé de l’accommodement raisonnable, mais qu’il s’était plutôt contenté d’appliquer mécaniquement la disposition de la convention collective. Elle a retourné le dossier à l’arbitre pour qu’il se prononce sur cette obligation et, le cas échéant, sur la réparation appropriée.

LA POSITION DE CHACUNE DES PARTIES

L’employeur a interjeté appel auprès de la Cour suprême du Canada sur la question de l’étendue de l’obligation d’accommodement et sur la possibilité d’en convenir à l’avance dans le contexte d’une convention collective. L’employeur a soutenu qu’une convention collective peut prévoir à l’avance l’étendue de l’obligation d’accommodement et un délai maximal au-delà duquel toute absence constitue une contrainte excessive.

Le syndicat a fait valoir que l’employeur ne pouvait invoquer les avantages sociaux consentis par la convention collective comme substitut de l’obligation d’accommodement. Pour le syndicat, cette obligation a pris naissance à l’expiration de la période prévue par la convention collective.

LA COUR SUPRÊME : UN ACCOMMODEMENT NÉGOCIÉ EST POSSIBLE

La Cour suprême du Canada s’est prononcée à l’unanimité en faveur de l’employeur. Bien que les neuf juges aient accueilli l’appel de l’employeur, ils ont invoqué deux raisons pour ce faire. Une majorité de six juges a fait valoir qu’il était possible de négocier une clause de cessation d’emploi compatible avec l’obligation d’accommodement.

« En somme, la jurisprudence ne conclut à l’applicabilité d’une telle clause que si celle-ci satisfait aux exigences applicables en matière d’accommodement raisonnable, particulièrement celle requérant que la mesure soit adaptée aux circonstances individuelles du cas en litige. Si la clause de cessation d’emploi est moins généreuse que ce à quoi l’employé a droit en vertu des principes encadrant l’exercice des droits de la personne, elle lui sera inopposable et l’employeur devra offrir un accommodement additionnel. »

Vu sous cet angle, la Cour a estimé que la clause de cessation d’emploi négociée n’est pas un seuil indicatif de la période minimale à laquelle un employé a droit. Au contraire, ce genre de clause devrait prévoir un accommodement généreux, de nature à répondre aux besoins du plus grand nombre d’employés possible. La période de trois ans convenue dans la convention collective en question était plus longue que celle prévue par plusieurs lois et conventions collectives ayant fait l’objet de révision judiciaire.

La Cour a déclaré qu’on ne saurait conclure que l’accommodement prévu par la convention collective constitue une réponse complète à la plainte d’un employé qui réclame un accommodement plus généreux. Pas plus qu’on ne peut affirmer que l’avantage incorporé à la convention collective ne doit pas être pris en compte dans l’appréciation globale de la mesure d’accommodement consentie par l’employeur. En l’espèce, l’arbitre n’a pas simplement automatiquement appliqué la clause pour en arriver à cette conclusion. Il a plutôt vu dans cette clause une preuve importante qui a pris une importance particulière dans le contexte de la démonstration de la volonté de l’employeur d’accommoder la demanderesse lors des périodes de réadaptation et en l’absence de preuve de la capacité de celle-ci de reprendre le travail dans un avenir rapproché.

OPINION CONCORDANTE DE LA MINORITÉ : LA CLAUSE N’EST PAS DISCRIMINATOIRE

Une minorité de trois juges a fait valoir que la question était non pas de savoir si l’employeur avait raisonnablement accommodé la demanderesse, mais plutôt de savoir si l’employeur avait fait preuve de discrimination. Du point de vue de la minorité, la demanderesse n’a pu démontrer qu’elle avait a été désavantagée par le comportement que l’employeur avait adopté sur la foi de suppositions stéréotypées ou arbitraires concernant les personnes ayant une déficience.

Les juges minoritaires ont déclaré qu’on ne peut présumer que les clauses d’une convention collective qui prévoient la cessation automatique de l’emploi sont discriminatoires. Pareille conclusion permettrait de présumer que, peu importe que leur durée soit raisonnable ou non, toutes les protections temporaires de l’emploi établies par voie législative sont vulnérables. En l’espèce, selon les juges minoritaires, la clause de la convention collective dont il est question était avantageuse pour les employés ayant une déficience :

« Loin de constituer de la discrimination fondée sur une déficience, le délai établi par cette clause prévoyant la cessation assure, de par son objet et son effet, une protection considérable contre la perte d’emploi due à une déficience. Grâce à la clause 12.11.5 de la convention collective, le syndicat a négocié une protection exemplaire pour les employés absents en raison d’une maladie ou d’un accident non liés au travail (les accidents ou maladies liés au travail faisant l’objet d’une autre disposition). L’emploi et l’ancienneté de l’employé sont protégés pendant 36 mois. […] Une telle mesure ne vise pas des individus d’une manière arbitraire et injuste parce qu’ils ont une déficience; elle établit un équilibre entre l’attente légitime de l’employeur, à savoir que ses employés accompliront le travail pour lequel ils sont payés, et celle des employés ayant une déficience, à savoir que cette déficience ne leur fera pas subir un désavantage arbitraire. Si l’employé est apte à retourner au travail, il conserve la possibilité d’occuper le même emploi ou un emploi analogue. Sinon, il n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions, et ce, depuis trois ans. »

En conséquence, l’appel de l’employeur a été accueilli.

Notre point de vue

De longues clauses de cessation d’emploi automatique feront l’objet d’un examen judiciaire moins attentif que celles qui sont plus courtes, mais pour ce qui est de l’application des normes des droits de la personne il faut toujours tenir compte des circonstances particulières avant d’invoquer de telles clauses pour mettre fin à un emploi. Ceci dit, il est peu probable que les normes des droits de la personne exigent qu’un employeur garde dans ses effectifs un employé qui n’a aucune chance de se rétablir après une absence de trois ans.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne, au (613) 940-2735.