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Un tribunal québécois annule une clause de non-concurrence

Nous avons souvent souligné dans AU POINT l’importance d’éviter des conditions trop générales lorsqu’on rédige des clauses de non-concurrence. Ces clauses doivent respecter d’une part le droit de l’employeur de protéger ses intérets commerciaux mais également, d’autre part, le droit de l’employé de gagner sa vie dans son domaine. Une clause trop onéreuse risque fort d’etre annulée par le tribunal.

Tel fut le cas dans l’affaire Positron Public Safety Systems Inc. v. Cardoso (3 aout 2005), une décision de la Cour supérieure du Québec. La compagnie Positron tentait d’obtenir une injonction contre M. Cardoso, son ancien employé, et contre son nouvel employeur, CML Emergency Services, afin forcer l’exécution d’une clause de non-concurrence. Les principes juridiques qu’appliquent les tribunaux du Québec dans de tels cas sont a peu pres identiques a ceux que l’on retrouve ailleurs au Canada.

La clause contestée se lisait comme suit :

    « [TRADUCTION] Vous reconnaissez que dans l’exercice de vos fonctions, vous occupez un poste de confiance et que vous acquerrez de l’expérience, des connaissances, des compétences et de l’expertise notamment dans le développement, la production et l’utilisation de technologie, de procédés et méthodes, de spécifications, de plans d’intégration, de plans d’affaires, de modeles commerciaux, et de modes interfaces graphiques qui sont particuliers ou exclusifs a Positron.

    Vous convenez donc que tant que vous serez employé ou rémunéré par Positron et pour une période de quinze (15) mois par apres, vous ne participerez, directement ou indirectement, a aucune activité pour le compte de toute personne, compagnie, entité ou entreprise au Canada ou aux États-Unis qui est en concurrence directe avec Positron pour laquelle vous utiliseriez toute expérience, compétence, expertise ou connaissance qui est particuliere ou exclusive a Positron que vous avez acquis alors que vous étiez a l’emploi de Positron. »

M. Cardoso a quitté son emploi chez Positron apres avoir exprimé quelque frustration due a plusieurs aspects du travail. Apres la démission de M. Cardoso, Positron lui a rappelé la convention qu’il avait signée. M. Cardoso a tenté de négocier avec l’employeur pour que la clause de non-concurrence ne s’applique qu’a la protection des intérets légitimes de Positron. Il a offert de ne pas soumissionner pour trois projets identifiés pour un an, et CML a promis de ne pas empiéter sur des possibilités de projets exclusives a Positron. Malgré ces efforts, Positron a refusé de libérer M. Cardoso de ses obligations et a intenté une poursuite contre lui.

Positron a soutenu que la clause de non-concurrence devrait s’appliquer intégralement a M. Cardoso, ou dans l’éventualité ou la clause serait déclarée contraire a la loi, que M. Cardoso avait violé son obligation de loyauté a l’égard de Positron. M. Cardoso et CML ont répondu que l’entente ne pouvait etre exécutoire, puisqu’elle débordait ce qui était nécessaire a la protection des intérets commerciaux légitimes de Positron. M. Cardoso a également soutenu que son emploi chez Positron n’était pas aussi essentiel que le prétendait son ancien employeur et que la clause ne pouvait lui etre appliquée puisque Positron lui avait donné de bonnes raisons de quitter son emploi.

UN RÉGIME « IMMORAL »

Le tribunal a souligné que la preuve présentée par Positron sur la nature de la menace a ses intérets que posait M. Cardoso était plutôt vague : la compagnie n’avait fourni aucun renseignement sur une appropriation par M. Cardoso de ses droits exclusifs ou de ses clients. Par contraste,  le tribunal a accepté la preuve de M. Cardoso selon laquelle Positron et CML vendaient un grand nombre de gammes différentes de produits. Le tribunal a également noté que la plupart des contrats dans le commerce des systemes d’urgence étaient accordés par appels d’offres ouverts, et non en raison de relations personnelles avec les fournisseurs.

Le tribunal a poursuivi en qualifiant d’ « [TRADUCTION] énigmatique » l’explication donnée par Positron de la nature de son intéret. Positron avait indiqué qu’elle accordait des contrats lorsque les soumissions contenaient des spécifications de produits exclusifs a Positron, afin d’assurer qu’aucun autre soumissionnaire ne puisse fournir les produits. Par conséquent, il ne s’agissait pas de « [TRADUCTION] véritables » appels d’offres. Le tribunal s’est dit d’avis que cette pratique ne représentait pas un intéret commercial légitime digne d’etre protégé :

    « [TRADUCTION] L’argument est donc a l’effet que la convention existe pour protéger [Positron] contre M. Cardoso qui tenterait d’arranger les soumissions pour un concurrent parce qu’il sait comment le faire et connaît les personnes pour le faire. [Le Code civil du Québec] déclare que pour etre valide, une clause de non-concurrence « doit etre limitée … a ce qui est nécessaire pour protéger les intérets légitimes de l’employeur ». Or, la protection d’un régime essentiellement immoral ne peut etre un intéret légitime. »

LA CLAUSE N’EST PAS VALIDE, L’OBLIGATION DE LOYAUTÉ N’EST PAS VIOLÉE

Le tribunal a mis en doute l’idée que le but de la clause était de protéger le marché de Positron, en soulignant que si la clause empechait M. Cardoso de travailler avec des concurrents situés en Amérique du Nord, la plupart des concurrents de Positron se trouvaient ailleurs.  En outre, bien que la clause empechait M. Cardoso de participer a presque toute activité chez un concurrent, on lui avait assigné des territoires précis alors qu’il était a l’emploi de Positron, et non le monde entier. Par conséquent, le tribunal a statué qu’il n’y avait aucune justification pour le territoire visé par la clause.

Enfin, le tribunal a rejeté la prétention selon laquelle M. Cardoso avait violé son obligation de loyauté a l’endroit de Positron. Le fait qu’il avait pu avoir acces a des renseignements confidentiels ne représentait pas une preuve qu’il était déloyal, et ne justifiait nullement une injonction. En fait, selon le tribunal, la demande d’injonction n’était guere plus qu’une demande que M. Cardoso n’enfreigne pas la loi.

Par conséquent, la requete en injonction de Positron a été rejetée.

Notre point de vue

Les employeurs qui ont des intérets commerciaux légitimes a protéger des employés qui les quittent devraient faire montre de prudence dans la rédaction des clauses de non-concurrence. Comme nous l’avons signalé dans d’autres articles d’AU POINT (voir « Cour d’appel de l’Ontario : la clause restrictive est non exécutoire » et « Le contrat de travail modele » sous la rubrique « Publications », et « Un tribunal ontarien ordonne a un consultant de payer des dommages-intérets a un bureau de placement pour divulgation de renseignements confidentiels » sous la rubrique « Nouveautés »), les employés ont le droit de gagner leur vie ailleurs, et les clauses de non-concurrence devraient se limiter a protéger les intérets de l’employeur, sans plus. En l’espece, la clause reprenait une erreur fréquente : celle d’imposer une restriction trop large a l’employé et d’etre si ambigüe dans son libellé que le juge était amené a remettre en question sa véritable intention.

Positron a demandé la permission d’interjeter appel de la décision de premiere instance. La Cour d’appel du Québec a rejeté la requete pour permission d’appeler, et a déclaré que la juge en premiere instance n’avait commis aucune erreur en jugeant que la clause était non exécutoire.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Jock Climie, qui représentait CML Emergency Services, au (613) 940-2742.