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Une arbitre fédérale rejette un grief fondé sur la situation de famille et confirme que l’obligation d’accommodement de l’employeur ne s’applique que lorsqu’une règle au travail nuit à la réalisation des obligations légales d’un employé

Une récente décision arbitrale indique que l’obligation d’accommoder les besoins d’un employé pour cause de situation de famille en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale dans Johnstone, est [TRADUCTION] « très restreinte ». Dans Guilbault c. Treasury Board (Department of National Defence) (janvier 2017), un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de la loi fédérale intitulée Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, l’employé a allégué qu’il avait fait l’objet de discrimination pour cause de situation de famille lorsque son employeur a refusé d’accommoder sa demande de journée de travail raccourcie. Le conseil arbitral a rejeté le grief au motif que le désir par l’employé d’arriver chez lui plus tôt pour aider son épouse n’engageait pas son obligation légale envers ses enfants.

Le plaignant vivait à Deux-Montagnes et travaillait à Montréal, ce qui se traduisait par une navette de deux heures dans chaque direction en automobile, en train de banlieue et en métro. Lorsqu’il a initialement sollicité un accommodement, le plaignant a invoqué les problèmes de santé de son épouse ainsi que les obligations de garde de ses quatre enfants, dont deux ont des besoins particuliers. Le plaignant a demandé d’être autorisé à prendre ses deux pauses payées de 15 minutes à la fin de la journée afin de lui permettre de quitter son travail plus tôt. Il a affirmé que le fait de quitter le travail une demi-heure plus tôt chaque jour pour pouvoir retourner chez lui plus tôt réduirait considérablement le fardeau imposé à son épouse. Cette demande initiale a été refusée par l’employeur au motif que les pauses de 15 minutes qui avaient été négociées avec le syndicat visaient à donner une pause aux employés pendant la journée de travail. De plus, puisque les pauses étaient payées, l’employeur craignait que sa responsabilité soit engagée si un accident se produisait pendant ce temps. Toutefois, l’employeur a fini par permettre au plaignant de prendre sa période de dîner sans solde d’une demi-heure à la fin de la journée pour lui permettre de quitter le travail plus tôt.

Même si la solution qui a finalement été convenue a réglé le problème d’accommodement, le plaignant a maintenu son grief, affirmant que le temps qu’il avait fallu à l’employeur pour mettre en œuvre cette solution (21 mois) et le refus par l’employeur de reconnaître son obligation légale de l’accommoder constituaient une violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a sollicité des dommages-intérêts pour douleur et souffrance au montant de 12 500 $, de même qu’une indemnité spéciale au montant de 20 000 $ en raison de la nature délibérée de la conduite de l’employeur.

Dans l’examen du grief, l’arbitre a appliqué le critère établi par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Johnstone (2014). Les lecteurs d’Au Point se souviendront que le critère établi dans Johnstone exige qu’un demandeur démontre les éléments suivants pour établir la discrimination fondée sur la situation de famille :

  • l’enfant est sous sa garde et sa supervision ;
  • les obligations liées à sa garde engagent la responsabilité légale de la personne pour cet enfant, par opposition à un choix personnel ;
  • la personne a fait des efforts raisonnables pour satisfaire à ces obligations aux moyens d’autres solutions raisonnables et ces autres solutions ne sont pas raisonnablement applicables ;
  • la règle contestée du milieu de travail nuit d’une manière non mineure et non insignifiante à la réalisation de ces obligations.

L’arbitre a appliqué ce critère et a conclu que l’employé n’avait pas fait l’objet de discrimination par l’employeur. La décision reposait sur le deuxième volet du critère de l’arrêt Johnstone – l’exigence que la règle du milieu de travail nuise à la capacité du parent de respecter une obligation légale envers son enfant. L’arbitre a conclu que puisque les enfants du plaignant étaient sous la garde de leur mère pendant que la famille attendait son retour du travail à la fin de la journée, il n’y avait pas d’obligation légale. Peut-être aurait-il été « préférable » pour son épouse d’avoir plus d’aide avec les enfants compte tenu de ses problèmes de santé, mais [TRADUCTION] « le fait que le plaignant ne pouvait pas arriver chez lui plus tôt n’engageait pas son obligation légale envers ses enfants ». L’arbitre a ajouté que la preuve n’indiquait pas que le plaignant et son épouse avaient envisagé la possibilité de trouver une aide externe (c.-à-d. embaucher une gardienne pendant quelques heures). Notamment, l’arbitre a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]
Pour cerner l’obligation légale de l’employeur de ne pas faire de discrimination contre un employé en fonction de la situation de famille, il faut tracer une ligne entre l’obligation légale des parents d’assurer le bien-être de leurs enfants et les choix qu’ils font pour respecter cette obligation. […] L’employeur ne peut pas avoir d’obligation légale à l’égard du fonctionnement de la famille. Il me semble que l’obligation reconnue par la Cour d’appel dans l’arrêt Johnstone est très restreinte. La règle au travail de l’employeur doit empêcher l’employé d’exécuter ses obligations légales envers ses enfants.

L’arbitre a conclu que le refus initial par l’employeur d’accommoder le plaignant en lui permettant de quitter le travail plus tôt ne l’avait pas empêché de respecter ses obligations légales envers ses enfants ou son épouse. Par conséquent, le grief a été rejeté.

 

À notre avis

Les lecteurs d’Au Point se souviendront peut-être que le critère de l’arrêt Johnstone a été explicitement rejeté par le tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le « TDPO ») dans Misetich c. Value Village Stores Inc. (septembre 2016) (voir Le tribunal des droits de la personne de l’Ontario rejette le critère de l’arrêt Johnstone concernant la discrimination fondée sur la situation de famille – « le critère de discrimination est le même dans tous les cas »). Le TDPO a plutôt appliqué ce qu’il a appelé les [TRADUCTION] « principes bien établis en droits de la personne » pour déterminer s’il y avait discrimination fondée sur la situation de famille. Ces principes exigent que l’employé démontre que la règle au travail contestée entraîne un [TRADUCTION] « véritable désavantage pour la relation parent-enfant et les responsabilités qui découlent de cette relation, ou pour le travail de l’employé ». Pour évaluer le désavantage, il faut tenir compte des autres soutiens dont peut bénéficier l’employé. La décision dans Misetich a été confirmée en réexamen en décembre 2016.

Même s’il reste encore à discerner les différences concrètes entre l’approche fédérale exprimée par l’arrêt Johnstone et l’approche adoptée par le TDPO dans Misetich, cette décision confirme que, pour les employeurs de réglementation fédérale assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne, le « critère » de l’arrêt Johnstone continue de s’appliquer. Il est toujours indiqué pour les employeurs de démontrer leur volonté de faire preuve de souplesse pour tenter de permettre à leurs employés de respecter leurs obligations familiales, mais il existe tout de même une ligne entre les obligations légales de l’employé et ses préférences personnelles ou familiales.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Mélissa Lacroix au 613-940-2741.