Dans un différend récent entre le Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (le « Syndicat ») et l’Hôpital régional de Windsor (l’« Hôpital »), un décret temporaire émis en raison de la pandémie de COVID-19 a été contesté en arbitrage. La décision rendue par l’arbitre Trachuk est particulièrement pertinente pour les employeurs du secteur de la santé qui reçoivent des demandes de congé dans le contexte de difficultés opérationnelles continues créées ou exacerbées par la pandémie en cours.
Faits
La plaignante, technicienne en pharmacie agréée à temps partiel à l’Hôpital, était enceinte de son deuxième enfant en 2019. Elle a d’abord informé son employeur qu’elle entendait prendre un congé de maternité/parental de 18 mois. Elle a toutefois dû prendre un congé de maladie de juillet 2019 à octobre 2019, moment où son fils est né. Elle a ensuite commencé son congé de maternité/parental prévu.
Au début d’octobre 2020, la plaignante a communiqué avec son employeur afin de demander un congé sans solde prolongé, dont elle a dit avoir besoin pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants. Elle a indiqué que le congé demandé commencerait en avril 2021, soit la fin de son congé de maternité/parental, et durerait jusqu’en janvier 2022. En vertu de la convention collective applicable, la plaignante était autorisée à demander un congé sans solde pour des raisons personnelles légitimes d’une durée maximale de trois mois, ou plus si une prolongation était convenue d’un commun accord. Toutefois, l’Hôpital a répondu que la demande ne pouvait être approuvée pour des raisons opérationnelles.
Au début de février 2021, la plaignante a de nouveau communiqué avec son employeur afin de demander un réexamen de sa demande de congé. Cette fois‑ci, en réponse à sa demande, l’Hôpital a fait savoir que la demande ne pouvait être approuvée en l’absence de preuve que le congé était une mesure d’accommodement nécessaire en raison de la situation de famille de la plaignante. Au cours des semaines qui ont suivi, des discussions ont eu lieu entre la plaignante et l’Hôpital au sujet de ses efforts pour obtenir des services de garde à la fin de son congé de maternité/parental, ainsi que de la suggestion de l’Hôpital qu’elle travaille selon un horaire modifié temporaire comme mesure d’accommodement.
Le 17 mars 2021, le Syndicat a déposé un grief au nom de la plaignante demandant, entre autres choses, l’octroi d’un congé spécial en raison d’une maladie infectieuse (ou « CSMI »), prévu par la Loi sur les normes d’emploi. Ce n’est que lorsque le grief a été déposé que l’Hôpital a été informé que la plaignante cherchait à obtenir un CSMI prévu par la loi, plutôt que le congé non payé pour raisons personnelles prévu par la convention collective. Le grief a ensuite été renvoyé à l’arbitrage.
Le Syndicat et l’Hôpital ont tous deux reconnu que les techniciens en pharmacie de l’Hôpital devaient travailler des quarts dans divers postes pour répondre aux besoins des patients, y compris à la clinique de vaccination contre la COVID-19. Il n’était pas non plus contesté qu’au moment de la demande de la plaignante, non seulement plusieurs postes de techniciens en pharmacie étaient non pourvus parce que d’autres employés étaient déjà en congé, mais il y avait aussi dix autres demandes de congé en attente. Par conséquent, les techniciens en pharmacie en poste devaient déjà faire des heures supplémentaires pour répondre aux besoins des patients. Enfin, et c’est peut-être la chose la plus importante, les deux parties ont reconnu que la province de l’Ontario avait annoncé la disponibilité de services de garde gratuits pour les enfants des travailleurs essentiels en réponse à la pandémie de COVID-19.
Décision
Une fois le grief renvoyé à l’arbitrage, l’Hôpital a présenté une requête préliminaire soutenant que les membres de l’unité de négociation du Syndicat n’avaient pas droit au CSMI en vertu du Règlement de l’Ontario 74/20 – Réaffectation du travail – Certains fournisseurs de services de santé. Le règlement avait d’abord été pris à titre de décret temporaire en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence (la « LPCGU ») en réponse à l’état d’urgence initial lié à la pandémie, puis maintenu en vertu de la Loi de 2020 sur la réouverture de l’Ontario (mesures adaptables en réponse à la COVID-19). Entre autres choses, il permet aux fournisseurs de services de santé de reporter ou d’annuler des vacances, des absences ou d’autres congés, qu’ils soient prévus par une loi, un règlement, une entente ou autrement. Il permet en outre aux fournisseurs de services de santé de suspendre, pour la durée d’application du règlement, toute procédure de règlement des griefs afférente à toute question visée par le règlement. Il convient de noter que des règlements semblables ont également été adoptés et demeurent en vigueur pour d’autres types d’employeurs, notamment les maisons de retraite, les conseils de santé, les conseils d’administration des services sociaux, les organismes de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie et les municipalités.
À l’appui de sa requête, l’Hôpital a fait valoir que le règlement s’appliquait à la demande de CSMI de la plaignante et qu’il était donc autorisé à refuser la demande. L’Hôpital a également fait valoir que la disposition sur la suspension des griefs contenue dans le règlement privait l’arbitre de compétence. Pour sa part, le Syndicat a soutenu qu’en raison de la prépondérance habituelle des lois comme la Loi sur les normes d’emploi par rapport aux règlements, le règlement était sans effet à l’égard des congés prévus par la loi, comme le CSMI. Le Syndicat a donc fait valoir que l’Hôpital ne pouvait pas rejeter la demande de CSMI de la plaignante ni suspendre la procédure de règlement des griefs en invoquant le règlement.
Dans sa décision, l’arbitre Trachuk a commencé par reconnaître le fait que les besoins personnels des travailleurs de la santé sont sacrifiés pour répondre aux besoins du reste de la société et que, même si cette situation est injuste, elle peut très bien être nécessaire pour répondre correctement à la pandémie. Elle a ensuite interprété les dispositions du règlement, concluant que le sens ordinaire de ses mots énonçait clairement et accomplissait l’intention du législateur de donner aux employeurs du secteur de la santé le pouvoir d’annuler ou de reporter des congés prévus par la loi, même lorsqu’une loi existante prévoit autrement. À cette fin, elle a remarqué que de nombreux décrets temporaires émis en vertu de la LPCGU relativement à la COVID-19 ont un impact sur les dispositions législatives existantes, ou même les contredisent, mais qu’elles ont néanmoins préséance parce qu’il s’agit de mesures d’urgence visant à répondre à une situation d’urgence. Par conséquent, elle a conclu que l’Hôpital avait le droit, au besoin, de reporter ou d’annuler des congés prévus par la loi, comme le CSMI.
L’arbitre Trachuk a rejeté l’argument de l’Hôpital au sujet de la compétence. Elle a plutôt conclu que la mention du « processus de règlement des griefs » dans le règlement signifiait précisément qu’il ne s’appliquait pas au processus d’arbitrage. Par conséquent, à son avis, puisque l’employeur n’avait pas invoqué la disposition sur la suspension des griefs au cours de la procédure de règlement du grief, il ne pouvait pas l’invoquer au cours de la procédure d’arbitrage subséquente.
À notre avis
Cette décision est importante pour les employeurs du secteur de la santé en ce qu’elle confirme leur droit, en vertu du règlement, de reporter ou d’annuler au besoin les CSMI prévus par la loi afin de répondre adéquatement à la pandémie en cours.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur vos droits et obligations en tant qu’employeur faisant face à la COVID-19 ou pour d’autres questions connexes, veuillez communiquer avec Mélissa Lacroix au 613-940-2741.