La ligne défensive: un aperçu du droit de la défense – septembre 2022

Les opérations combinés

Les pièges de l’emploi en matière des coentreprises

Un des éléments uniques de l’industrie de la défense et de la sécurité dans le contexte du droit du travail et de l’emploi est la fréquence selon laquelle les coentreprises et les partenariats sont utilisés. La nécessité de ceux-ci est évidente. Les entreprises se regroupent et apportent chacune leur propre expertise pour répondre à des appels d’offres et exécuter des projets plus importants. Ces partenariats s’étendent souvent sur une période de plusieurs années.

L’exemple le plus évident est celui du programme Navire de combat de surface canadien (« NCSC »). Au niveau de la conception, la collaboration de haut niveau sur ce projet implique Lockheed Martin Canada, CAE, L3Harris, BAE Systems, MDA et Ultra Electronics. L’ensemble, sinon une part importante, de ces entreprises collaboreront avec une panoplie d’autres entreprises dans le processus de conception, et le tout avant que Irving Shipbuilding et ses partenaires aient effectué une quelconque tâche en matière de coupure du métal.

Ces types de coentreprises ou de partenariats, bien que rarement aussi importants que le programme NCSC, sont omniprésents dans le domaine de la défense et de la sécurité. En effet, ils sont généralement une nécessité pour la réussite des projets, grands et petits. Toutefois, du point de vue du droit du travail et de l’emploi, cette nécessité peut occasionner des complications et des surprises inattendues pour les employeurs.

Employeur incertain

Lorsqu’ils s’engagent dans des coentreprises ou des partenariats avec d’autres entreprises pour répondre à des appels d’offres ou après avoir remporté un contrat, les membres de la coentreprise affectent généralement certains de leurs propres employés au projet. Il peut s’agir de développeurs de logiciels, d’ingénieurs, d’ouvriers ou d’employés administratifs.

Dans certains cas, les sociétés participant au projet particulier, ou certaines d’entre elles auront conjointement formé une nouvelle société dans le but exclusif d’exécuter ce projet, bien que ce ne soit pas toujours le cas. Cela dit, et dans tous les cas, une question intéressante peut souvent être soulevée quant à savoir quelles sociétés sont responsables des employés qui participent au projet.

On suppose souvent que l’entreprise qui a initialement contribué au projet avec l’employé ou les employés en question est la seule à être responsable de ces derniers en cas de congédiement, d’invalidité et d’autres événements pertinents. Or, ce n’est souvent pas le cas. La common law, qui est applicable dans la plupart des provinces canadiennes, reconnaît ce que l’on appelle souvent les « employeurs communs ». Cela se produit lorsqu’un employeur est membre d’un groupe d’entreprises interdépendantes et qu’une ou plusieurs des autres entreprises du groupe deviennent conjointement responsables des obligations liées à l’employeur initial en ce qui a trait aux employés.[1]  Il existe plusieurs facteurs qu’un tribunal peut examiner pour déterminer si deux ou plusieurs entreprises sont devenues des employeurs communs. Pour mieux comprendre, prenons un exemple familier dans le secteur de la défense et de la sécurité.

Dans le cadre du développement d’un nouveau système d’armes, l’entreprise A fournit une équipe de développeurs de logiciels qui travailleront en étroite collaboration avec les ingénieurs de l’entreprise B pour développer un logiciel de guidage et de ciblage pour le nouveau système. Pour que cette tâche soit efficace, les développeurs de logiciels et les ingénieurs doivent travailler en étroite collaboration, et il est décidé que certains développeurs travailleront sur les lieux de l’entreprise B, où les prototypes sont construits, pendant le cycle de développement prévu de trois ans.

Pendant cette période, les développeurs de logiciels continuent d’être rémunérés par l’entreprise A, mais la direction de l’entreprise A n’intervient que très peu, voire pas du tout, dans leur travail puisqu’ils sont hors site avec un partenaire. Pendant cette période, les horaires de ces employés sont fixés par l’entreprise B, ils reçoivent des instructions de l’entreprise B et, à toutes fins utiles, ils sont traités comme s’ils travaillaient pour l’entreprise B.

Dans ce type de scénario, l’entreprise B commence à s’exposer au risque réel d’être considérée comme un employeur commun avec l’entreprise A. Cela signifie que, dans le cas où un ou plusieurs des développeurs de logiciels doivent être congédiés, parmi une foule d’autres problèmes potentiels, l’entreprise B peut devenir également responsable avec l’entreprise A pour payer à l’employé des dommages-intérêts en droit ou en vertu d’un autre contrat dont la création n’était aucunement liée à l’entreprise B. Bref, il s’agit d’une position difficile pour l’entreprise B.

Il est facile de voir comment ce type de problème peut se manifester tout au long de la vie d’un projet. Il peut même devenir un problème dans les coentreprises où plusieurs sociétés ont créé une nouvelle société. Si la nouvelle société est considérée comme un employeur commun avec l’une des sociétés actionnaires, ces dernières sont toujours indirectement responsables de cet employé. En outre, à moins que les employés de chaque société ne restent confinés au bureau de leur société d’origine et qu’ils ne reçoivent des instructions que de leur directeur de société d’origine, il est toujours possible qu’un problème d’employeur commun se manifeste.

Cela dit, les entreprises de défense et de sécurité qui s’engagent dans des coentreprises et des partenariats peuvent tenter de limiter leur sphère de risque par rapport aux employés d’autres entreprises :

1- Limiter le contrôle

Tel que démontré ci-dessus, et dans la mesure où cela est possible dans une circonstance donnée, les entreprises participantes peuvent limiter leur responsabilité à l’égard des employés d’autres entreprises en restreignant leur contrôle sur ces employés. Ainsi, il importe de ne pas se porter volontaire pour exercer le contrôle sur une fonction particulière impliquant les employés d’autres sociétés, à moins que cela ne soit nécessaire ou particulièrement avantageux. Le contrôle sur des questions telles que la sélection des employés, le paiement des salaires ou autres formes de rémunération, la méthode de travail et les décisions de congédiement sont des indicateurs importants pour déterminer si une société donnée est devenue un employeur commun.[2]  En règle générale, lorsqu’une société exerce moins de contrôle sur l’employé, elle est moins susceptible d’être considérée comme un employeur commun.

2- Rédiger des contrats clairs

La rédaction de contrats d’emploi efficaces, même si elle n’est pas déterminante, peut également contribuer à empêcher la conclusion d’un emploi commun.[3]  Lorsqu’une compagnie s’engage dans une coentreprise, elle peut avoir la possibilité de rédiger des contrats d’emploi qui seront utilisés par la coentreprise pour les employés du projet en question. Ce faisant, il peut être possible de stipuler dans le contrat quel coentrepreneur sera responsable de quelles obligations juridiques, et envers quels employés. Ce contrat devrait inclure une décharge expresse des réclamations en matière d’emploi à l’encontre des sociétés affiliées. [4]  Si l’employé sait que la seule société à laquelle il peut s’adresser pour certains éléments est celle qui figure dans le contrat, il risque de ne plus pouvoir faire valoir ses droits auprès des autres sociétés associées.[5]

En plus de ces types de contrats d’emploi directs qui peuvent devenir compliqués lorsqu’un employé est déjà employé par l’une des sociétés concernées, il sera également très important de s’assurer que les accords conclus avec les autres coentrepreneurs offrent une protection supplémentaire. Par exemple, même si un contrat avec une autre société n’a pas d’incidence directe sur un problème futur avec un employé ou un groupe d’employés spécifiques, il peut être possible de négocier certaines indemnités avec les autres sociétés. Il peut s’agir d’obtenir des autres entreprises qu’elles acceptent de couvrir les dommages-intérêts octroyés à l’encontre de votre entreprise ou les frais juridiques de votre entreprise si elle est poursuivie par un employé d’une autre entreprise. Cela n’élimine pas le problème, mais peut certainement être utile lorsque négocié.

Points à retenir

Les coentreprises et les partenariats sont souvent une partie importante et intégrale des affaires dans l’industrie de la défense et de la sécurité. Cependant, l’établissement de ces relations peut conduire à certains pièges en matière de droit du travail et de l’emploi. La question de savoir si les entreprises affiliées par le biais d’une coentreprise sont responsables des obligations des autres entreprises en matière d’emploi peut être une question de formation contractuelle; mais le cœur de la question revient à déterminer quelle(s) société(s) exerce(nt) un contrôle sur les employés impliqués dans le projet. C’est-à-dire qu’un contrôle limité diminuera le risque de responsabilité.

Si vous ou votre entreprise avez des questions sur la meilleure façon de gérer les relations avec les employés lorsque vous vous lancez dans une proposition ou un projet avec des entreprises partenaires, vous pouvez toujours contacter les avocats chez Emond Harnden LLP, ci-dessous. Nous nous consacrons exclusivement à l’appui des employeurs dans le domaine du droit du travail et de l’emploi.


[1] O’Reilly v. ClearMRI Solutions Ltd., 2021 ONCA 385 au para 2.

[2] Baldwin v. Erin District High School Board,1961 CanLII 213 (ON CA), , au para 11, affirmée 1962 CanLII 527 (SCC); Bagby v. Gustavson International Drilling Co. Ltd.1980 ABCA 227, aux paras. 48-50.

[3] [3] Supra note 1 au para 65.

[4] Mazza v. Ornge Corporate Services, 2015 ONSC 7785, aux paras 93-99, affirmée 2016 ONCA 753.

[5] Dumbrell v. The Regional Group of Companies Inc.2007 ONCA 59, au para 83.

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