Vaccination obligatoire contre la COVID-19 en milieu de travail

En Ontario, le déploiement du vaccin contre la COVID-19 a débuté. Alors que le vaccin est maintenant accessible pour de nombreux travailleurs du secteur des soins de santé, des hôpitaux et du secteur des soins de longue durée, les employeurs dans ces domaines et les domaines connexes se demandent si l’immunisation contre la COVID-19 devrait devenir une exigence obligatoire dans leur milieu de travail.

Aucune autorité sanitaire fédérale, provinciale ou locale n’a indiqué qu’elle imposerait la vaccination, et le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, le Dr David Williams, a dit explicitement qu’il n’avait pas l’intention de le faire dans la province. Par conséquent, la décision d’exiger ou non la vaccination dans un milieu de travail donné incombe directement à l’employeur.

 

Les employeurs peuvent-ils exiger que les employés se fassent vacciner contre la COVID-19 ?

Cette question précise n’a pas encore fait l’objet d’une contestation judiciaire, que ce soit devant un tribunal ou devant un arbitre du travail. Par conséquent, les employeurs et leurs conseillers juridiques devront examiner attentivement les circonstances et les faits particuliers au moment de déterminer si une règle en milieu de travail exigeant la vaccination contre la COVID-19 est appropriée dans un cas donné.

 

a) Pourquoi rendre la vaccination obligatoire ?

Les employeurs doivent être conscients de leurs obligations en matière de santé et de sécurité au travail, qui sont d’autant plus importantes à l’heure actuelle en raison de la crise mondiale de santé publique. En particulier, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, les employeurs ont le devoir de protéger leurs travailleurs contre les risques pour la santé et la sécurité. Il existe une obligation semblable pour les employeurs sous réglementation fédérale assujettis au Code canadien du travail. Par conséquent, dans certaines circonstances et face aux preuves démontrant que le vaccin contre la COVID-19 constitue une mesure efficace pour réduire le risque de transmettre (par opposition à contracter) le virus, on pourrait faire valoir que les employeurs sont en droit d’exiger la vaccination afin de protéger tous les autres employés sur le lieu de travail.

Il est toutefois peu probable que cet argument soit retenu dans de nombreux cas. Par exemple, dans les milieux de travail où les employés ne sont pas en contact avec des populations vulnérables, ou encore où les employés n’ont aucun contact ou un contact limité avec d’autres personnes dans le milieu de travail, un tel argument aurait peu de poids.

Quoi qu’il en soit, même en supposant que des considérations liées à la santé et à la sécurité au travail justifient la vaccination obligatoire, cette dernière demeurera assujettie à plusieurs limites, comme il est expliqué ci-après.

 

b) Que dit la jurisprudence arbitrale sur la vaccination obligatoire ?

Il existe un précédent arbitral, propre aux milieux de travail syndiqués, qui porte sur la question de la vaccination obligatoire contre la grippe. Ces décisions peuvent fournir des commentaires et des conseils utiles sur la façon dont les arbitres considéreront le nouveau problème de la vaccination obligatoire contre la COVID-19, du moins dans le secteur des soins de santé. (Veuillez noter qu’en tant que décisions arbitrales, ces affaires ne lient toutefois pas d’autres arbitres ni les tribunaux.)

De façon générale, et sous réserve des limites discutées plus en détail ci-après, les politiques de vaccination obligatoire contre la grippe ont été autorisées par les arbitres dans les établissements de soins de santé privés comme exercice raisonnable des droits de gestion. Toutefois, pour qu’une telle exigence soit instaurée unilatéralement, la règle ou la politique doit remplir les conditions suivantes :

  • Conforme à la convention collective applicable ;
  • Raisonnable dans les circonstances ;
  • Claire et sans équivoque ;
  • Portée à l’attention des employés concernés, notamment en ce qui a trait à la possibilité d’imposer des mesures disciplinaires en cas de non-conformité ;
  • Appliquée uniformément dès sa mise en œuvre.

Comme solution de rechange aux politiques de vaccination obligatoire contre la grippe, certains établissements de soins de santé ont mis en œuvre des politiques de « vaccination ou masque ». Les arbitres ont toujours été beaucoup moins favorables à ces politiques qu’aux politiques de vaccination obligatoire contre la grippe. Dans de nombreux cas, étant donné que la preuve selon laquelle le port du masque permettait de prévenir efficacement la transmission de la grippe a été contestée, les arbitres ont conclu que l’obligation pour les employés non vaccinés de porter un masque inconfortable pendant toute la durée de la saison de la grippe était essentiellement une tactique pour obliger ces employés à se faire vacciner, et qu’elle était donc déraisonnable.

Il est important de noter que, puisque la preuve concernant l’efficacité de la vaccination et du port du masque en tant que mesures préventives de transmission de la COVID-19 est, jusqu’à présent, sensiblement différente par rapport à la grippe saisonnière, une décision arbitrale sur ce qui est « raisonnable dans les circonstances » pourrait être entièrement différente dans le contexte de la COVID-19 par rapport au contexte habituel de la grippe. Dans leurs efforts pour justifier toute exigence de vaccination obligatoire, les employeurs sont donc bien avisés de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus récentes, objectives et fiables.

 

c) Sur quelle base pourrait-on contester une politique obligatoire sur la COVID-19 ?

Même lorsqu’un employeur détermine que la mise en œuvre d’une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 est justifiée dans son milieu de travail, la nouvelle politique peut soulever des préoccupations légitimes, surtout dans un milieu syndiqué.

Dans les milieux syndiqués, les syndicats pourront présenter des griefs individuels concernant des allégations de discrimination ou de mesures disciplinaires injustifiées, ainsi que des griefs de principe contestant la règle de vaccination obligatoire ou la politique dans son ensemble.

Dans les milieux non syndiqués, un employé congédié pour motif valable après son refus de se faire vacciner pourrait poursuivre l’employeur devant les tribunaux pour dommages-intérêts découlant d’un congédiement injustifié. Un employé qui n’a pas été expressément licencié, mais qui estime que l’obligation de se faire vacciner modifie les fondements de la relation d’emploi, peut également prétendre avoir été congédié de façon déguisée et demander des dommages-intérêts à l’employeur.

En ce qui concerne les droits de la personne, toute exigence de vaccination obligatoire doit exempter les travailleurs qui font valoir une revendication crédible en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans le cas de la vaccination contre la COVID-19, ces allégations seraient probablement fondées sur des motifs religieux ou médicaux. Bien que les employeurs aient le droit de poser des questions afin de vérifier la légitimité d’une telle demande, si la preuve est faite, l’employeur sera tenu d’accommoder l’employé jusqu’à la contrainte excessive. Des mesures disciplinaires ou tout autre traitement défavorable ou différencié d’un employé qui a affirmé que son refus de se faire vacciner est lié à un motif protégé lié aux droits de la personne peuvent donc entraîner une demande au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario ou au Tribunal canadien des droits de la personne.

Le fait de rendre obligatoire un traitement médical potentiellement invasif comme la vaccination, surtout en l’absence de données à long terme sur l’efficacité et les effets secondaires, et d’exiger la divulgation subséquente du statut vaccinal de l’employé pourrait également être considéré comme une violation grave du droit à la vie privée des employés.

En outre, lorsqu’un employeur est une institution publique, la règle ou la politique peut être contestée en invoquant l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), qui garantit la sécurité de la personne. La jurisprudence a toujours soutenu que le consentement à un traitement médical invasif comme la vaccination est une décision intrinsèquement personnelle que chacun devrait pouvoir prendre soi-même. Il convient toutefois de noter que, dans les milieux de soins de santé syndiqués, une telle atteinte a toujours été sauvée par l’application de l’article 1 de la Charte, où les arbitres ont conclu que la limitation des droits individuels d’un employé était justifiée afin d’assurer l’objectif impérieux de la sécurité des patients. Il n’est toujours pas clair si l’article 1 pourrait entrer en jeu dans d’autres contextes et pour d’autres raisons stratégiques tout aussi importantes.

 

d) Alors, les employeurs peuvent-ils exiger que les employés se fassent vacciner contre la COVID-19 ou non ?

À la lumière de ce qui précède, les employeurs devront être prêts à défendre une décision concernant la vaccination obligatoire contre de nombreuses contestations judiciaires possibles et avec des résultats incertains. Compte tenu de la façon dont les arbitres ont tranché la question de la vaccination contre la grippe, ainsi que des risques importants pour la santé et la sécurité créés par la COVID-19, il est probable que les employeurs, du moins dans certains secteurs, seront autorisés à mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19, sous réserve des limites susmentionnées. Dans le secteur des soins de santé, par exemple, où les employés interagissent souvent directement avec les populations les plus vulnérables, une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 pourrait être justifiée. Les employeurs d’autres secteurs, par contre, devraient s’attendre à une lutte plus ardue pour imposer la vaccination contre la COVID-19.

Dans tous les cas, la politique doit être raisonnable dans les circonstances. Elle doit donc être fondée sur des faits et des preuves vérifiables et tenir compte de certains facteurs comme la nature du milieu de travail, le niveau de risque et les droits et intérêts concurrents en jeu.

 

Comment mettre en œuvre une politique efficace de vaccination obligatoire contre la COVID-19 dans mon milieu de travail ?

Les employeurs qui décident d’exiger la vaccination contre la COVID-19 dans leur milieu de travail doivent d’abord s’assurer qu’une telle mesure est conforme aux contrats d’emploi pertinents dans le cas d’un milieu non syndiqué ou aux conventions collectives applicables dans le cas d’un milieu syndiqué.

Lors de la rédaction de la nouvelle politique, les employeurs doivent au minimum indiquer clairement et sans équivoque l’objet de la politique, la façon dont la conformité à la politique sera déterminée (p. ex., Quel est l’échéancier en matière de conformité ? Un document justificatif de vaccination sera-t-il exigé ou l’autodéclaration sera-t-elle suffisante ?), s’il y a des conséquences en cas de non-respect de la politique et quelles sont ces conséquences.

La politique doit indiquer clairement que le statut vaccinal d’un employé n’aura aucune incidence sur son emploi continu auprès de l’employeur, car les politiques de « vaccination ou congédiement » ont toujours été jugées comme un exercice déraisonnable des droits de gestion du point de vue du droit du travail et sont potentiellement problématiques du point de vue de la Charte. La politique doit plutôt inclure une solution de rechange raisonnable et non disciplinaire à la vaccination. Les solutions de rechange peuvent comprendre, par exemple, l’option de continuer à porter un masque ou l’option de prendre un congé sans solde pendant les périodes de transmission élevée (comme pendant une éclosion en milieu de travail).

Comme c’est le cas pour toute politique en milieu de travail, pour limiter les risques de contestation de la politique, il convient d’informer les employés touchés de la nouvelle politique, de son contenu et en particulier des conséquences qui pourraient être imposées. Les employeurs doivent également veiller à l’application uniforme de la politique dès son adoption.

 

Si la vaccination n’est pas obligatoire, les employeurs peuvent-ils au moins imposer les tests de dépistage de la COVID-19 ?

Comme solution de rechange aux politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19, un employeur peut envisager de mettre en place une politique de dépistage obligatoire de la COVID-19. Par exemple, un employeur dont le milieu de travail a fonctionné relativement efficacement avec les exigences de port du masque tout au long de la pandémie peut déterminer que son argument en faveur du caractère raisonnable de l’immunisation obligatoire est affaibli par ces antécédents en matière de santé et de sécurité et pourrait donc plutôt appliquer une politique de dépistage obligatoire.

Au moins un arbitre a déjà été disposé à juger raisonnable une politique de dépistage obligatoire de la COVID-19 imposée dans le secteur des soins de santé. Dans l’affaire Caressant Care Nursing & Retirement Homes et Christian Labour Association, l’arbitre Randall a conclu qu’un programme de tests de surveillance exigeant des tests par prélèvement nasal toutes les deux semaines pour les employés d’un foyer de soins infirmiers constituait un exercice raisonnable des droits de la direction. Après avoir évalué l’intrusion dans la vie privée des employés par rapport aux objectifs de santé et de sécurité que la politique visait à soutenir, notamment la protection des résidents particulièrement vulnérables du foyer de soins infirmiers, il a conclu que la politique était raisonnable – même s’il n’y avait pas encore eu d’éclosion de COVID-19 dans ce foyer – en raison des conséquences potentielles et même probables d’attendre une telle éclosion avant de mener des tests réguliers.

La question de savoir si une politique de dépistage obligatoire de la COVID-19 est réalisable dans un milieu de travail donné dépendra de la disponibilité des tests et, dans de nombreux cas, des lignes directrices en matière de santé publique concernant l’admissibilité aux tests. Par conséquent, ce n’est peut-être pas une option appropriée pour certains employeurs, tandis que d’autres pourraient être attirés par cette approche, surtout par opposition à la mise en œuvre d’une politique de vaccination obligatoire.

 

Quelles sont les autres options pour les employeurs ?

Lorsqu’il est déterminé que la vaccination (ou le dépistage) obligatoire n’est pas raisonnable dans le contexte d’un milieu de travail ou d’un secteur donné, d’autres options s’offrent aux employeurs. Il n’est pas interdit aux employeurs, par exemple, de recommander fortement la vaccination comme mesure pour réduire la propagation de la COVID-19 en milieu de travail. Les employeurs pourraient même encourager la vaccination dans une certaine mesure ; par exemple, ils pourraient décider que les employés dûment vaccinés ne seront plus assujettis à l’exigence de port du masque en milieu de travail (sous réserve, bien sûr, des règlements locaux et des recommandations en matière de santé publique). Les employés qui ont travaillé avec des masques inconfortables pendant la plus grande partie de l’année dernière pourraient simplement être séduits à l’idée d’abandonner le masque une fois pour toutes.

 

À Notre Avis

Nous prévoyons qu’il sera difficile pour de nombreux employeurs d’exiger que leurs employés soient vaccinés contre la COVID-19 pour se rendre sur le lieu de travail, surtout dans des milieux syndiqués. Nous nous attendons toutefois à observer certaines distinctions en fonction du secteur ; par exemple, il est beaucoup plus probable qu’une telle exigence réponde au critère du caractère raisonnable dans des secteurs comme les soins de santé, et peut-être même la vente au détail et l’industrie manufacturière. Des distinctions deviendront probablement évidentes à mesure que les preuves scientifiques entourant l’efficacité et la mécanique des vaccins contre la COVID-19 deviendront plus largement disponibles.

 

Quoi qu’il en soit, les employeurs qui envisagent de rendre obligatoire la vaccination contre la COVID-19 dans leur milieu de travail doivent s’assurer de prendre les mesures importantes suivantes avant d’aller de l’avant :

  • Évaluer la preuve objective concernant le niveau de risque pour la santé et la sécurité par rapport à d’autres intérêts concurrents, notamment en matière de protection de la vie privée des employés ;
  • Déterminer si, compte tenu des circonstances et des données probantes disponibles, une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 constituerait une mesure raisonnable dans ce milieu de travail particulier ;
  • Explorer les solutions de rechange possibles ;
  • Examiner les contrats d’emploi ou les conventions collectives pertinents, ainsi que toute loi applicable en milieu de travail, pour assurer la conformité de la nouvelle politique ;
  • Planifier le traitement des demandes d’accommodement présentées en fonction du handicap, de la religion ou d’autres motifs de protection des droits de la personne ;
  • Veiller à ce que la nouvelle politique soit portée à l’attention de tous les employés touchés, notamment en ce qui concerne toute mesure disciplinaire qui pourrait résulter de la non-conformité ;
  • Assurer l’application uniforme de la nouvelle politique et des conséquences de la non-conformité dès le premier jour.

Emond Harnden demeure prêt et disponible pour conseiller et aider les employeurs qui envisagent d’instaurer une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 dans leur milieu de travail. Pour obtenir de plus amples renseignements ou de l’aide dans le cadre de ce processus, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613-940-2744, Mélissa Lacroix au 613-940-2741 ou Céline Delorme au 613-940-2763.

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