Dans ce qu’on a décrit comme une « transformation fondamentale » des relations de travail au Canada, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont conclu que le droit de grève est constitutionnellement protégé par la liberté d’association garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan (30 janvier 2015), la Cour suprême était saisie de la question de savoir si la loi de la Saskatchewan interdisant aux salariés qui assurent des services essentiels de prendre part à une grève était constitutionnelle. Cinq des sept juges qui siégeaient étaient d’avis que le droit de grève constitue un élément essentiel du droit à la négociation collective et qu’il est protégé par l’alinéa 2d) de la Charte. Selon les juges majoritaires, l’interdiction totale de faire la grève qu’édictait la loi contestée ne portait pas atteinte le moins possible au droit de grève et était donc inconstitutionnelle. Ce précédent renverse près de trois décennies de jurisprudence rejetant l’énoncé selon lequel le droit de grève est protégé par la constitution.
La loi en cause, intitulée The Public Service Essential Services Act, interdisait aux salariés du secteur public de la Saskatchewan qui était désignés comme « salariés qui assurent des services essentiels » de prendre part à une grève. La loi accordait à l’employeur le pouvoir de désigner unilatéralement des salariés comme « essentiels » et, en cas d’impasse à la table de négociation, exigeait que ces salariés continuent d’exercer leurs fonctions conformément à la dernière convention collective. De plus, la loi ne prévoyait pas d’autre moyen véritable de règlement de telles impasses, tel l’arbitrage.
La Saskatchewan Federation of Labour et d’autres syndicats ont contesté la constitutionalité de la loi. En première instance, le juge a conclu que le droit de grève était protégé par la Charte et que la loi contestée entravait substantiellement l’exercice de ce droit. Bien que le juge de première instance ait reconnu que le maintien de services publics essentiels constitue un objectif important ayant un lien rationnel avec la loi, il était néanmoins d’avis que la loi ne portait pas atteinte le moins possible à ce droit (soit n’était pas soigneusement adaptée de façon à minimiser l’atteinte au droit). La Cour d’appel de la Saskatchewan a cependant accueilli l’appel interjeté par la Saskatchewan et a conclu que même si l’état du droit relatif au droit constitutionnel à la liberté d’association avait évolué, il ne l’avait pas fait au point d’entraîner la reconnaissance d’une protection constitutionnelle du droit de grève.
Les juges majoritaires de la Cour suprême étaient en désaccord. Après avoir passé en revue l’historique des relations de travail au Canada de même que l’état du droit international et national, les juges majoritaires ont conclu que l’élimination du droit de grève entravait substantiellement le droit à un processus véritable de négociation collective. De plus, la loi contestée « ne porte pas atteinte le moins possible » à ce droit et va au-delà de ce qui serait considéré nécessaire pour garantir la prestation continue des services essentiels. Les juges majoritaires se sont dits d’accord avec l’observation du juge de première instance selon laquelle au Canada, les lois interdisant la grève prévoient presque toujours un processus indépendant de règlement des différends. Tel n’était pas le cas de la loi de la Saskatchewan. De même, la loi ne prévoyait pas de processus de règlement des différends relatifs au pouvoir de l’employeur de désigner les salariés qui assurent des services « essentiels ». Le fait que la loi obligeait les salariés désignés à exercer leurs fonctions conformément à la dernière convention collective, et non pas seulement les fonctions essentielles, a également été considéré disproportionné et inutile pour la réalisation de l’objectif du gouvernement. Les juges majoritaires ont accueilli l’appel et conclu que la loi contrevenait à la Charte.
Les juges dissidents ne s’entendaient pas avec les juges majoritaires pour dire que le droit de grève constituait un élément essentiel du droit de négocier collectivement en raison de la liberté d’association. Au contraire, l’obligation légale et constitutionnelle de l’employeur de négocier de bonne foi garantit un processus significatif de négociation collective. Les juges minoritaires estimaient qu’en constitutionnalisant le droit de grève, la Cour s’immisçait dans l’élaboration de politiques, domaine qui relève naturellement des législateurs élus. Il appartient à ces législateurs, et non pas à la Cour, d’établir le juste équilibre entre les intérêts économiques et sociaux qui s’opposent dans le domaine des relations de travail. Selon eux, la décision des juges majoritaires bouleversait à tort et inéquitablement cet équilibre en conférant des droits constitutionnels aux salariés tout en imposant des obligations constitutionnelles aux employeurs. Les juges minoritaires ont également souligné que l’absence de processus de règlement des différends dans la loi était en réalité raisonnable puisque le gouvernement de la Saskatchewan ne pouvait pas s’en remettre à des décisions arbitrales susceptibles de faire en sorte qu’il n’ait plus les moyens de fournir les services nécessaires.
L’issue dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan démontre l’évolution importante de l’état du droit en ce qui concerne le droit constitutionnel à la liberté d’association. Cette évolution se manifeste également dans l’arrêt qu’a récemment rendu la Cour suprême dans Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (« APMO ») (16 janvier 2015). L’arrêt APMO portait sur la contestation de la constitutionnalité du régime de relations de travail imposé aux employées de la GRC. Ces employés étaient exclus du régime de relations de travail régissant la fonction publique fédérale et établi par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, un régime de relations de travail non syndical leur étant plutôt imposé par le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada.
Le Programme de représentants des relations fonctionnelles (PRRF) était au cœur de ce régime. Le PRRF était composé de membres de la GRC ayant comme mandat la tenue de consultations avec la GRC au sujet des initiatives et des politiques relatives aux ressources humaines, même s’il était entendu que la décision finale revenait toujours à la direction. La contestation constitutionnelle a pris naissance lorsque deux associations privées de membres de la GRC, dont l’objectif consistait à représenter les membres de la GRC quant aux questions relatives aux conditions de travail, n’ont pas été reconnues par la direction de la GRC.
La Cour suprême du Canada a conclu que l’exclusion des membres de la GRC du champ d’application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et l’imposition du régime de relations de travail non syndical au moyen du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada violait l’alinéa 2d) de la Charte et ne pouvait pas se justifier au regard de l’article premier. Les juges majoritaires de la Cour ont souligné que la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d) protège l’existence d’un processus véritable de négociation collective qui offre aux employés une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour leur permettre de décider de leurs intérêts collectifs. Le régime imposé aux employés de la GRC fut considéré comme privant les membres de l’indépendance nécessaire pour l’existence d’un processus véritable de négociation collective.
Bien que la Cour suprême dans l’arrêt APMO ait démontré une fois de plus la protection constitutionnelle élargie accordée à la négociation collective, elle a pris soin de souligner que le droit à la négociation collective garantit un processus plutôt qu’un résultat ou même qu’un modèle particulier de relations de travail. La Cour suprême a souligné ce point dans un arrêt connexe, à savoir l’arrêt Meredith c. Canada (Procureur général) (16 janvier 2015). L’arrêt Meredith portait sur la contestation de la constitutionnalité des mesures de restriction des augmentations salariales imposées aux employés de la GRC par la Loi sur le contrôle des dépenses (« LCD »). La LCD limitait tous les employés du secteur public fédéral à une augmentation de 1,5% pour 2008-2010. La Cour suprême a conclu que les mesures de restriction des augmentations salariales prévues par la LCD ne portaient pas atteinte à la liberté d’association des membres puisque les limites imposées par la LCD n’empêchaient pas la consultation relative à d’autres enjeux liés à la rémunération ni la poursuite collective des objectifs liés au travail des membres de la GRC.
À la lumière de l’évolution de l’état du droit manifestée dans les arrêts Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan et APMO, l’arrêt Meredith est très positif pour les employeurs et indique clairement que la protection constitutionnelle se limite à la garantie d’un processus véritable, et non pas d’un résultat donné.
Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613-940-2744.