Un arbitre des différends a refusé de déroger à un accord de principe non ratifié en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes

La décision rendue concernant l’affaire Syndicat des travailleurs canadiens des aéroports (STCA) c. GardaWorld Security Screening Inc., 2024 CanLII 92092 (CA LA) a confirmé qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes, un arbitre des différends considérera les modalités d’un accord de principe non ratifié comme la meilleure preuve objective d’une entente négociée librement.

Historique des négociations

Le syndicat représente l’ensemble des employés de GardaWorld Sécurité qui fournissent des services de sécurité à l’embarquement en vertu du contrat qu’a conclu GardaWorld avec l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien à l’Aéroport international Toronto Pearson et à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto.

Avant la négociation collective, le syndicat a tenu un vote de grève pour évaluer si l’unité de négociation était prête à faire la grève au besoin, et il a conclu que 99,1 % des votants étaient en faveur de la grève.  

Par la suite, les parties ont participé au processus normal de négociation collective. Elles ont conclu un accord de principe (AP) le 21 juin 2024 concernant les modalités du renouvellement de leur convention collective, sous réserve de la ratification par les membres de l’unité de négociation et l’employeur (le « premier AP »). Cependant, lorsque les membres de l’unité de négociation ont reçu l’accord aux fins de ratification, 95 % des votes exprimaient un rejet du premier AP.

À la suite de ce résultat, les parties se sont réunies pour reprendre la négociation collective. Peu après, soit le 7 juillet 2024, les parties ont conclu un accord de principe révisé, sous réserve encore une fois de la ratification par les membres de l’unité de négociation et l’employeur (le « second AP »). Cependant, les membres du syndicat ont de nouveau voté contre la ratification, avec environ 65 % des votants admissibles ayant déposé un bulletin de vote rejetant le second AP.

À la suite du rejet du second AP, les parties étaient dans une impasse et le différend a été soumis à l’arbitrage en vertu du paragraphe 79(1) du Code canadien du travail.

Décision

Conformément à la pratique établie, l’arbitre Jesse Kugler a expliqué que la tâche d’un arbitre des différends consiste à reproduire le résultat que les parties auraient probablement obtenu dans le cadre de la libre négociation collective. Habituellement, les arbitres étudieraient une variété de facteurs pour appliquer le principe de la reproduction, notamment des conventions ayant fait l’objet d’un processus de négociation ou d’arbitrage comparable, la situation économique générale, le recrutement et le maintien en poste, ainsi que le besoin manifeste, entre autres. De plus, les aspects relatifs à la rémunération totale et à la démarche progressive (« gradualism ») aident à formuler un résultat qui reflète la libre négociation collective.

Toutefois, l’arbitre a expliqué que, lorsque les parties ont conclu un accord de principe qui n’a pas été ratifié, il existe un large consensus selon lequel, en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes, les modalités d’un accord de principe qui a échoué représentent la meilleure preuve objective d’une convention collective négociée librement. L’arbitre a souligné la raison pour laquelle ce principe est logique sur le plan des relations de travail :

Les comités de négociation représentent les intérêts de l’employeur et du syndicat. Ils connaissent très bien les conditions dans le lieu de travail, le contexte et les compromis qui reflètent les priorités des parties. Il n’y a pas de meilleur moyen d’évaluer une convention négociée librement qu’un accord conclu par les représentants désignés des parties. [notre traduction]

L’arbitre souligne que ce principe a été énoncé à maintes reprises dans la jurisprudence.

Par conséquent, l’arbitre a conclu qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes, le second AP peut et doit être utilisé comme preuve de ce dont les parties auraient convenu dans le cadre d’une libre négociation collective.

Dans le cadre de son examen visant à déterminer s’il existait des circonstances exceptionnelles et contraignantes dans cette affaire permettant de justifier un résultat différent, l’arbitre a tenu compte du fait que le syndicat s’appuyait fortement sur la décision rendue dans l’affaire Southbrook, foyer pour personnes âgées c. Service Employees International Union Local 1. Dans cette affaire, l’arbitre Chris Albertyn a refusé de suivre à la lettre les modalités d’un accord de principe non ratifié et il a plutôt accordé certaines améliorations à ses modalités. L’arbitre Chris Albertyn a souligné qu’entre la date à laquelle l’accord de principe a n’a pas été ratifié et celle où le différend a été soumis à l’arbitrage, l’inflation frappait de plein fouet et les décisions relatives à l’arbitrage des différends et les résultats des négociations ont commencé à refléter cette réalité de façon constante par les rajustements accrus des salaires. Cette situation, conjuguée au libellé explicite de l’accord de principe qui a échoué selon lequel ses modalités étaient sans préjudice et qu’elles seraient retirées en cas de rejet, a amené l’arbitre Chris Albertyn à conclure que le respect rigoureux de l’accord de principe non ratifié ne reproduirait pas une convention négociée librement.

Toutefois, l’arbitre Jesse Kugler a établi une distinction entre ces faits et la présente affaire, car aucun libellé dans le second AP ne prévoyait le retrait de ses modalités en cas de rejet. De plus, il n’y avait aucun changement de circonstances qui justifiait de déroger aux modalités strictes du second AP. Il convient de noter que les répercussions de l’inflation se faisaient pleinement sentir à la conclusion du second AP, et que rien n’indiquait que de nouvelles tendances de négociation avaient émergé dans le secteur et qui devraient entraîner un écart par rapport aux modalités du second AP. L’arbitre a ordonné aux parties de s’entendre quant au renouvellement de la convention collective conformément aux modalités prévues dans le second AP.

À notre avis

Cette décision constitue un rappel qu’un arbitre des différends tentera de reproduire le résultat que les parties auraient probablement obtenu dans le cadre d’une libre négociation collective. Dans les situations où un accord de principe est conclu, en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes, un arbitre imposera les modalités de l’accord de principe.

Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613 293-5295 ou Marie Bordeleau au 613 404-5875.

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