La Cour suprême du Canada refuse de déduire les prestations de retraite des dommages-intérêts pour congédiement injustifié

Dans IBM Canada Limitée c. Waterman (décembre 2013) la Cour supreme du Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et a refusé de déduire des dommages-intérets pour congédiement injustifié un montant correspondant aux prestations de retraite reçues par l’employé apres son congédiement et pendant la période de préavis raisonnable selon la common law. Meme si les tribunaux de l’Ontario refusent généralement de déduire les prestations de retraite des dommages-intérets pour congédiement injustifié, la décision précise la méthode que les tribunaux doivent appliquer pour déterminer quels avantages accessoires reçus pendant la période de préavis sont déductibles.

M. Waterman était âgé de 65 ans lorsqu’il a été congédié apres plus de 40 ans de service comme spécialiste en logiciels. Son congédiement était injustifié et il a reçu un préavis de deux mois, apres lequel IBM a considéré qu’il était a la retraite. Apres le congédiement, M. Waterman a commencé a recevoir des prestations en vertu du régime de retraite a prestations déterminées de l’employeur. M. Waterman n’avait nullement l’intention de prendre sa retraite au moment de son congédiement et a poursuivi IBM pour congédiement injustifié. Au proces, il s’est fait accorder des dommages-intérets pour une période additionnelle de 18 mois de préavis, sans déduction pour le montant des prestations de retraite reçues lors de la période de préavis. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé cette décision, et IBM a interjeté appel aupres de la Cour supreme du Canada. Selon IBM, si les prestations de retraite reçues par l’employé n’étaient pas déduites, l’employé se retrouverait dans une meilleure situation que s’il avait conservé son emploi et avait seulement reçu son salaire régulier. Ce résultat serait contraire au droit contractuel en matiere de dommages-intérets, qui vise généralement a replacer la partie lésée dans l’état ou elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté.

Dans un jugement majoritaire de 7 contre 2, la Cour supreme a confirmé la décision de la Cour d’appel et a rejeté l’appel d’IBM. L’analyse des juges majoritaires reposait sur la question de savoir s’il y existait un avantage « accessoire » ou « compensatoire » qui devrait etre déduit des dommages-intérets pour congédiement injustifié. Un « avantage compensatoire » est décrit comme un revenu d’une source autre que le défendeur, mais qui atténue les dommages causés par le manquement du défendeur. Il n’y a pas de regle stricte permettant de déterminer les cas ou un avantage compensatoire doit etre soustrait des dommages-intérets payables par le défendeur, mais les juges majoritaires ont énoncé les facteurs suivants qui doivent etre pris en considération :

  • le lien entre l’avantage compensatoire et le type de perte causé par le manquement du défendeur;
  • la nature et l’objet de l’avantage compensatoire, notamment s’il s’apparente a un dédommagement du type de perte causée par le manquement du défendeur;
  • la question de savoir si le demandeur a versé des cotisations afin d’obtenir l’avantage compensatoire;
  • les autres considérations de principe, comme le fait qu’il soit souhaitable que toutes les personnes dans des situations semblables reçoivent un traitement équivalent, l’offre d’avantages pour une conduite socialement souhaitable et la nécessité de regles claires qui puissent facilement s’appliquer

En l’espece, les juges majoritaires estimaient que ces facteurs appuyaient les décisions des tribunaux d’instance inférieure selon lesquelles les prestations de retraite ne doivent pas etre déduites des dommages-intérets pour congédiement injustifié. Meme si les prestations de retraite découlaient du congédiement de M. Waterman, il ne s’agissait pas d’une indemnité pour perte de salaire, mais plutôt d’une forme d’épargne-retraite. En outre, meme si l’employeur avait versé toutes les cotisations nécessaires pour financer le régime, M. Waterman a acquis son droit aux prestations grâce a ses années de service. Sur le plan des considérations de principe générales, les juges majoritaires ont énoncé que la loi ne devrait pas avoir pour effet d’inciter les employeurs a congédier, pour des raisons économiques, les employés admissibles a la retraite plutôt que les autres en permettant la déduction des prestations de retraite des dommages-intérets pour congédiement injustifié.

En rendant leur décision, les juges majoritaires ont analysé la décision qu’a rendue en 1997 la Cour dans Sylvester c. Colombie-Britannique, ou elle avait conclu que les prestations d’invalidité devaient etre déduites des dommages-intérets pour congédiement injustifié dans une affaire ou l’employé n’avait pas cotisé au régime d’invalidité. Dans Sylvester, l’employé avait été congédié pendant qu’il était en congé de maladie et recevait des prestations d’invalidité. La Cour supreme a établi une distinction d’avec l’arret Sylvester au motif que les prestations d’invalidité en cause dans cette affaire visaient a indemniser l’employé de son incapacité de travailler. De plus, le contrat d’emploi en cause dans Sylvester ne prévoyait pas que l’employé pouvait toucher a la fois son salaire et des prestations d’invalidité. Par opposition, les prestations de retraite dans Waterman n’étaient manifestement pas une indemnité pour perte de salaire et se rapprochaient davantage d’un droit de propriété que l’employé acquiert au fil du temps. En outre, le contrat d’emploi dans Waterman ne comportait aucune disposition relative a la question de savoir si les prestations de retraite devaient etre déduites des dommages-intérets pour congédiement injustifié. Les juges majoritaires de la Cour supreme ont donc rejeté l’appel interjeté par IBM.

A notre avis

Les tribunaux ontariens refusent généralement de déduire les prestations de retraite, et meme les prestations d’invalidité, des dommages-intérets pour congédiement injustifié lorsque l’employé a cotisé au régime, meme lorsque la cotisation est faible. Néanmoins, l’arret Waterman précise la méthode que les tribunaux doivent suivre pour déterminer si les prestations reçues par un employé pendant la période de préavis peuvent etre déduites des dommages-intérets pour congédiement injustifié. Les employeurs peuvent s’en assurer d’avantage en intégrant a leurs contrats d’emploi des dispositions prévoyant expressément la déduction de ces prestations.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Sophie Gagnier au (613) 940-2756.

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