Les tests aléatoires de dépistage d’alcool en milieu de travail constituent un exercice déraisonnable des droits de la direction – Cour suprême du Canada

Le 14 juin 2013, la Cour supreme du Canada a publié sa décision dans Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, concluant que l’application unilatérale par l’employeur d’une politique de tests aléatoires obligatoires de dépistage d’alcool était déraisonnable. Les juges majoritaires du plus haut tribunal du pays ont souscrit a la décision rendue par le conseil d’arbitrage, selon lequel l’employeur n’a pas pu démontrer les préoccupations requises en matiere de sécurité ni de probleme de consommation d’alcool en milieu de travail qui justifieraient l’atteinte a la vie privée des employés découlant des tests aléatoires universels de dépistage d’alcool.

En 2006, sans avoir d’abord négocié avec le syndicat, l’employeur a unilatéralement adopté une « Politique sur la consommation d’alcool et d’autres drogues » a son usine de pâtes au Nouveau-Brunswick. Au moment de l’application de la politique, il y avait eu huit incidents établis de consommation d’alcool ou d’employés aux facultés affaiblies en milieu de travail au cours des 15 années précédentes; il n’y avait aucun cas établi d’accident ou de blessure, réel ou évité de justesse, lié a la consommation d’alcool.

La politique comportait un volet de tests aléatoires universels de dépistage d’alcool, selon lequel 10 % des employés occupant un poste a risque étaient sélectionnés au hasard pour subir l’épreuve de l’éthylometre pendant l’année. Un résultat positif pouvait entraîner des mesures disciplinaires, notamment le congédiement. Le défaut de se soumettre a un test constituait un motif de congédiement immédiat. Le syndicat a déposé un grief suivant le résultat négatif d’un test administré a un employé, contestant seulement l’aspect aléatoire (sans motif) du dépistage d’alcool de la politique.

Le conseil d’arbitrage a conclu qu’en l’absence de preuve de probleme en milieu de travail relativement a la consommation d’alcool, l’employeur ne pouvait pas appliquer unilatéralement une politique de tests aléatoires dans un milieu de travail dangereux. En contrôle judiciaire, la décision du conseil a été annulée au motif qu’elle était déraisonnable. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rejeté l’appel interjeté par le syndicat, estimant que les employeurs peuvent imposer unilatéralement des tests aléatoires de dépistage d’alcool dans un milieu de travail dangereux sans devoir démontrer l’existence d’un motif raisonnable.

Annulant la décision de la Cour d’appel, les juges majoritaires de la Cour supreme ont conclu que les arbitres avaient utilisé une démarche commandant une « mise en balance des intérets » pour la détermination du caractere raisonnable d’une regle ou d’une politique qui porte atteinte a la vie privée des employés : la nature des intérets et des préoccupations de l’employeur sont soupesés par rapport a l’incidence de la politique sur le droit a la vie privée des employés. Cette démarche a amené les arbitres a rejeter généralement l’imposition unilatérale de politiques de dépistage sauf lorsqu’il y a eu un probleme d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail et lorsque l’employeur a épuisé les autres moyens de régler le probleme.

Toutefois, lorsqu’un milieu de travail est dangereux, l’employeur peut généralement faire subir des tests aux employés qui occupent un poste a risque sans épuiser les autres moyens s’il y a un motif raisonnable de croire que l’employé avait les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions, qu’il a été impliqué dans un accident ou un incident grave au travail ou qu’il a repris du service apres avoir suivi un traitement pour combattre l’alcoolisme ou la toxicomanie.

La Cour était d’avis qu’en l’absence de motif raisonnable, la dangerosité du lieu de travail n’est pas déterminante mais fait simplement partie de la « mise en balance » qui doit etre entreprise lorsqu’il y a preuve de risque accru pour la sécurité, comme la preuve d’un probleme généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail.

La Cour supreme était d’accord avec le conseil d’arbitrage pour dire que les huit incidents liés a la consommation d’alcool établis au cours des 15 années précédentes ne révélaient pas de probleme important de consommation d’alcool en milieu de travail. Selon la Cour, les tests de dépistage d’alcool constituaient une atteinte grave a la vie privée, laquelle l’emportait manifestement sur les avantages attendus sur le plan de la sécurité pour l’employeur, lesquels étaient considérés comme incertains ou minimes au mieux.

A notre avis

La décision de la Cour supreme indique que l’employeur peut appliquer des politiques de dépistage d’alcool et de drogue dans les milieux de travail syndiqués dans les cas suivants :

  • l’employeur négocie une telle politique avec le syndicat;
  • l’employé occupe un poste a risque dans un milieu de travail dangereux et
    • il y a un motif raisonnable de croire que l’employé avait les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions;
    • l’employé a été impliqué dans un accident ou un incident grave en milieu de travail;
    • l’employé a repris le travail apres avoir subi un traitement pour combattre l’alcoolisme ou la toxicomanie;
  • il y a un probleme démontré d’alcoolisme ou de toxicomanie dans un milieu de travail dangereux qui suscite une préoccupation légitime relative a la sécurité, et le régime de dépistage qui est appliqué constitue une réponse proportionnelle et raisonnable.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Diane Lazenby au 613-940-2743.

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