Les fêtes et les activités sociales d’employés parrainées par l’employeur sont considérées comme une occasion pour les organisations de démontrer leur appréciation et d’établir de bons rapports avec leurs employés. Malgré ces aspects positifs, une décision rendue récemment par la Cour supérieure de justice de l’Ontario pourrait servir d’avertissement indiquant aux employeurs de se montrer prudents lorsqu’ils tiennent de telles activités.
Dans K.L. c. 1163957799 Quebec Inc., c.o.b. as Calypso Water Park (avril 2015), la demanderesse a poursuivi son employeur en alléguant qu’il était responsable d’une agression sexuelle que lui avait fait subir son superviseur lors d’une fête du personnel parrainée par l’employeur. La fête a eu lieu à un parc aquatique thématique exploité par l’employeur. L’employeur a fourni nourriture, boissons et accès aux lieux, tandis que les employés pouvaient amener leur propre alcool. La demanderesse, qui travaillait au service de l’entretien, a affirmé que pendant la fête, elle a été agressée sexuellement à maintes reprises par son superviseur immédiat, qui avait des antécédents judiciaires de violence conjugale. Elle a poursuivi son agresseur et son employeur, réclamant des dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, agression sexuelle, voies de fait, attaque, séquestration et infliction intentionnelle ou négligente de souffrances psychologiques.
L’employeur a présenté une motion sollicitant la radiation des allégations de la demanderesse au motif qu’elles ne révélaient aucune cause raisonnable d’action et a demandé le rejet de l’action. La cour a rejeté la motion de l’employeur, indiquant clairement que l’employeur pouvait être tenu responsable de l’agression sexuelle commise à la fête. La cour a cependant radié la demande de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, concluant à l’inexistence d’un délit reconnu de harcèlement sexuel en Ontario.
Pour déterminer si les faits plaidés pouvaient soutenir une conclusion de responsabilité du fait d’autrui dans cette affaire, la cour a appliqué le critère à deux étapes établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bazley c. Curry. La première étape du critère exige des tribunaux qu’ils déterminent s’il existe des précédents factuellement similaires qui établissent sans équivoque que la responsabilité du fait d’autrui doit être imposée. À la lumière des précédents évoqués par les parties, la cour a conclu que ces affaires pouvaient être distinguées d’après les faits par rapport aux faits dont elle était saisie. La cour a ensuite abordé la deuxième étape du critère de l’arrêt Bazley, qui l’obligeait à déterminer « s’il existe un lien entre l’entreprise qui procure l’emploi et la [présumée] faute qui justifie l’imputation de la responsabilité du fait d’autrui à l’employeur, en ce qui concerne la dissuasion ou la répartition équitable des conséquences du risque, ou les deux à la fois ». Appliquant ce critère aux faits dont elle était saisie, la cour a examiné la manière dont la fête du personnel de Calypso avait été organisée et a conclu qu’on pouvait soutenir que l’employeur avait accru considérablement le risque couru par les employés. La cour a fait remarquer que la fête avait eu lieu à un grand parc aquatique où la supervision était intrinsèquement difficile et où les employés pouvaient facilement se retrouver isolés et vulnérables. De plus, l’employeur a permis la consommation d’alcool à la fête sans prendre des mesures pour contrôler cette consommation et réduire le risque d’ivresse, par exemple en embauchant un barman professionnel.
Même si la cour a observé que la demanderesse éprouverait peut-être des difficultés à établir ses allégations au procès, elle ne pouvait pas conclure qu’il était manifeste que la demanderesse n’avait aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause, de sorte qu’elle a rejeté la motion de l’employeur, acceptant de radier seulement la demande relative à la responsabilité du fait d’autrui pour harcèlement sexuel.
Les employeurs se font rappeler qu’ils peuvent être tenus responsables des actes des employés et qu’ils devraient toujours prendre des mesures pour assurer une bonne supervision aux fêtes du personnel. Si de l’alcool est offert à une fête du personnel, les employeurs doivent prendre des mesures raisonnables pour en contrôler la consommation et garantir la sécurité des employés.