La Cour d’appel de l’Ontario a récemment rendu une décision dont devraient prendre connaissance les employeurs non visés par la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (« LSPAAT »). La décision dans l’affaire Fleming c. Massey confirme que les employés de tels employeurs peuvent poursuivre ces derniers lorsqu’ils sont blessés lors d’un accident de travail même s’ils ont signé une renonciation. Les employeurs qui font signer par leurs employés une quittance ou une renonciation en matière de lésions corporelles lors de sorties ou d’activités parrainées par la société ne bénéficient en réalité peut-être d’aucune protection contre les poursuites judiciaires lorsqu’un employé est blessé.
L’arrêt Fleming c. Massey a conclu que les principes d’ordre public qui sous-tendent la LSPAAT empêchaient l’employé de renoncer contractuellement à ses protections. Dans cette affaire, l’employé avait signé une renonciation qui visait à dégager l’employeur de toute responsabilité pour les dommages subis par l’employé dans l’exercice de ses fonctions. Il s’agissait de savoir si l’employé avait renoncé contractuellement à son droit de poursuivre son employeur en vertu de la partie X de la LSPAAT et avait donc volontairement pris en charge les risques liés au milieu de travail. En refusant de donner effet à la renonciation, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué clairement que la LSPAAT constituait un [TRADUCTION] « rejet catégorique » du principe selon lequel les employés prennent volontairement en charge les risques liés au milieu de travail.
En octobre 2010, les défendeurs (intimés à l’appel) Lombardy Karting et le National Capital Kart Club ont tenu une course de go-kart au Lombardy Raceway Park (aussi défendeur/intimé). M. Fleming, demandeur/appelant, était le directeur de course pour l’activité. Avant la course, M. Fleming a signé une renonciation qui dégageait les intimés de toute responsabilité pour les dommages subis par suite de la participation de M. Fleming à l’activité. Pendant la course, l’intimé, M. Massey, a eu un accident avec son go-kart et a blessé M. Fleming.
M. Fleming a introduit une action en dommages-intérêts. Les intimés ont invoqué la renonciation et ont réussi à faire rejeter l’action par jugement sommaire. M. Fleming a interjeté appel, soutenant qu’il était un employé au sens de la LSPAAT et que la renonciation ne devait pas être exécutée car elle était contraire à l’esprit de la LSPAAT.
La Cour d’appel a convenu que M. Fleming était un employé non assuré au sens de la LSPAAT. Cela était dû au fait que la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail considère non couvertes les pistes de go-kart. Pour être assuré en vertu de la LSPAAT, de telles installations doivent solliciter la couverture. Étant donné que le propriétaire intimé de la piste n’a pas sollicité la couverture, la partie X de la LSPAAT (qui s’applique aux employés d’industries non visées) s’appliquait. Le paragraphe 114(1) de la partie X confère aux travailleurs non assurés le droit de poursuivre les employeurs dans certains cas. Il prévoit ce qui suit :
Un travailleur peut intenter une action en dommages-intérêts contre son employeur pour une lésion qui survient dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :
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Le travailleur est blessé par suite d’un défaut dans l’état ou l’aménagement des procédés, installations, machines, usines, bâtiments ou locaux utilisés dans le cadre des activités de l’employeur ou reliés ou destinés à celles-ci.
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Le travailleur est blessé par suite de la négligence de l’employeur.
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Le travailleur est blessé par suite de la négligence d’une personne au service de l’employeur qui agit dans le cadre de son emploi.
Étant donné qu’il était établi que M. Fleming avait le droit, en vertu de la LSPAAT, de poursuivre l’intimé, il fallait ensuite déterminer si M. Fleming avait contractuellement renoncé à ce droit en signant la renonciation. Dans ses motifs, la Cour d’appel a longuement élaboré sur les principes d’ordre public qui sous-tendent la législation en matière d’indemnisation des travailleurs. Elle a souligné qu’avant l’adoption de lois sur l’indemnisation des travailleurs, les employés étaient très peu en mesure de poursuivre leur employeur pour des lésions professionnelles. Cette restriction était causée par l’application des cinq principes juridiques suivants :
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La doctrine de la prise en charge volontaire des risques – la présomption que le travailleur a pris en charge les risques liés au milieu de travail.
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La doctrine de l’« employeur unique » – l’employeur n’est pas responsable des lésions professionnelles découlant de la négligence d’un collègue de travail.
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Le principe voulant que l’employeur ne soit pas responsable des lésions professionnelles causées par des vices de machinerie, d’équipement ou d’outils.
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Le principe de la négligence contributive – le travailleur dont la négligence contribue à quelque niveau à la lésion professionnelle ne peut recevoir d’indemnité de l’employeur.
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L’obligation par l’employé de démontrer que la négligence personnelle de l’employeur était la cause directe de la lésion professionnelle.
La Cour d’appel a ajouté que la législation sur l’indemnisation des travailleurs visait essentiellement à éliminer ces obstacles, y compris la notion selon laquelle les travailleurs prenaient volontairement en charge les risques liés au travail. À la place, un régime d’assurance garantirait que les employés blessés au travail seraient indemnisés, nonobstant la faute. En contrepartie de la couverture d’assurance, les employés ont abandonné le droit en common law de poursuivre leurs employeurs pour de telles lésions. Les quelques employés non couverts par le régime d’assurance se sont vu conférer par la loi un nouveau droit de poursuivre leur employeur pour les lésions professionnelles. Ce droit se manifeste actuellement à la partie X de la LSPAAT.
Compte tenu de l’importance de ce principe, la Cour d’appel a conclu que les employés non assurés ne peuvent pas contractuellement renoncer aux protections que leur confère la LSPAAT. Appliquant ce raisonnement à l’affaire de M. Fleming, la Cour d’appel était d’avis que la LSPAAT interdisait la renonciation et a accueilli l’appel interjeté par M. Fleming.
Les employeurs susceptibles d’être touchés par cette décision jugeront utile de réexaminer la validité des renonciations signées par le passé ou à l’avenir et devraient examiner les couvertures d’assurance existantes pour en vérifier la suffisance. Ils jugeront aussi peut-être utile d’envisager de s’inscrire au régime de la LSPAAT, qui interdirait les poursuites judiciaires pour lésions professionnelles et règleraient les questions d’indemnisation au moyen des dispositions de la LSPAAT.
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