L’obligation d’accommoder : son application

Bien que l’obligation d’accommoder les employés handicapés soit maintenant un fait établi en milieu de travail, nombre de questions demeurent problématiques. Dans notre présentation en trois parties sur l’accommodement des employés handicapés, nous dégageons les grandes tendances de la jurisprudence actuelle. Le numéro d’avril d’AU POINT portait sur les regles juridiques qui encadrent une allégation de discrimination fondée sur l’incapacité. (Voir « L’accommodement des employés handicapés – survol des perspectives juridiques » sous la rubrique « Publications ») Dans le présent numéro, nous étudions comment l’accommodement des employés handicapés se réalise en milieu de travail et comment cette notion est interprétée par les arbitres et autres tribunaux administratifs. Nous considérons, dans notre survol de la jurisprudence, quel est le niveau de rendement auquel l’employeur est en droit de s’attendre d’un employé accommodé. Nous examinons également les types d’accommodement que les employeurs sont tenus ou ne sont pas tenus d’offrir aux employés handicapés.

FONCTIONS ESSENTIELLES DU POSTE

L’obligation d’accommodement ne veut pas dire qu’on garantit un emploi a l’employé handicapé. Si une personne ne peut remplir les exigences et les fonctions essentielles de son poste, une fois qu’il y a eu accommodement, on ne peut conclure a la discrimination. Cependant, si le droit ne confere pas a l’employé handicapé un droit absolu a l’emploi, il a quand meme évolué depuis l’époque ou, comme le disait un arbitre, [TRADUCTION] « l’employé handicapé prenait tel quel l’emploi qu’on lui donnait, et les droits des deux parties…étaient évalués en fonction de la capacité de l’employé d’exécuter de façon habituelle ses fonctions, sans accommodement spécial. » L’employeur ne peut plus refuser d’adapter le milieu de travail, a moins que cela ne constitue une contrainte excessive, si l’adaptation permet a l’employé d’exécuter les fonctions essentielles de son poste. Il n’existe pas de liste définitive des types d’accommodement que l’employeur doit envisager, mais les options comprennent notamment le réaménagement du lieu de travail, l’élimination de fonctions non essentielles, l’obtention de l’aide des autres employés et la modification des horaires de travail.

Les décisions divergent quelque peu quant a savoir si les employés doivent etre capables d’exécuter toutes les fonctions essentielles du poste ou seulement certaines fonctions, s’ils peuvent etre accommodés sans contrainte excessive. L’employeur ne peut s’appuyer sur le libellé de la description de tâches pour soutenir qu’un employé est incapable d’exécuter les fonctions essentielles du poste. Dans un cas, on a ordonné la réintégration d’un plaignant qui, sur papier, avait toute une gamme de fonctions et qui désormais n’exécuterait qu’une seule de ces fonctions. L’arbitre a conclu qu’a cette seule tâche, l’employé serait pleinement occupé, sans que cela ne constitue une contrainte excessive pour l’employeur. En outre, les décisions dans plusieurs affaires concernant des infirmieres handicapées laissent entendre que meme si les fonctions « de base » d’une infirmiere sont généralement liées aux soins directs, l’employeur est tenu d’accommoder les infirmieres en leur accordant un poste ou les fonctions sont allégées et ou les soins directs sont limités, lorsque cela peut se faire sans causer de contrainte excessive.

TRAVAIL PRODUCTIF ET UTILE

Que l’employé soit tenu d’etre capable d’exécuter toutes les fonctions essentielles ou seulement certaines fonctions de son poste, il est clair qu’il doit effectuer un travail productif et utile. Lorsque l’employeur peut démontrer que l’accommodement ne permettra que l’exécution d’un travail de qualité inférieure, ou d’un travail sans utilité réelle pour l’employeur, le refus d’accommodement ne constitue pas de la discrimination.

A cet égard, une Commission d’enquete nommée en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario a déclaré que l’employeur n’était pas obligé de prolonger la période de probation d’un employé souffrant d’épisodes de dépression pour lui permettre d’accumuler 12 mois « sans symptômes » de façon a ce que son rendement puisse etre évalué. Les besoins qui doivent etre accommodés, selon la Commission d’enquete, sont les besoins qui, une fois comblés, permettraient effectivement a l’employé d’exécuter le travail. Le fait de prolonger la période de probation ne permettrait évidemment pas a l’employé d’effectuer le travail dans la période de probation normale, et ne garantirait pas sa capacité d’effectuer le travail ultérieurement. La Commission a déclaré en outre qu’un employeur n’est pas obligé de garder a son emploi quelqu’un dont le handicap l’empeche de travailler habituellement avec compétence, ni de tolérer un rendement inférieur simplement parce qu’il dispose des ressources qui lui permettent d’assumer une telle charge.

Les arbitres ont aussi repris ce principe. Un arbitre a déclaré qu’un employeur n’était pas tenu d’accommoder un plaignant qui, en raison de son syndrome de fatigue chronique, nécessitait un poste ou les journées de travail, les heures de travail et les tâches étaient hautement imprévisibles. Un autre arbitre a rejeté comme étant irréaliste la proposition d’un syndicat qu’un travailleur handicapé en milieu hospitalier, pour lequel on ne pouvait trouver d’autre poste, soit rémunéré pour effectuer les tâches habituellement exécutées par des bénévoles. Dans une autre décision encore, on déclare que l’employeur [TRADUCTION] « n’a pas a colliger plusieurs tâches sédentaires isolées dans le seul but de remplir la journée de l’employé, sans égard aux exigences de production. »

AFFECTATION A UN POSTE DISPONIBLE

Bien qu’il y ait un certain désaccord dans les décisions en la matiere, il semble que l’employeur devrait etre pret, si nécessaire, a accommoder un employé handicapé dans un poste autre que son poste original, lorsque cela peut se faire sans présenter de contrainte excessive pour l’employeur. Reste a savoir jusqu’a quel point le nouveau poste peut etre différent de l’ancien. Dans la mesure du possible, l’employeur pourrait etre obligé d’offrir du travail comparable aux tâches antérieures. Par ailleurs, au moins un arbitre semble indiquer que lorsque les nouvelles tâches sont entierement différentes de celles pour lesquelles l’employé avait d’abord été embauché, l’employeur peut avoir une obligation moindre d’accéder a la demande d’accommodement. En outre, si le fait d’affecter l’employé handicapé a un autre poste pourrait avoir un effet négatif sur la convention collective, un tel accommodement pourrait constituer une contrainte excessive.

Malgré ces exceptions, l’avis général semble etre que s’il est impossible d’offrir un accommodement dans le poste original, l’employeur doit chercher ailleurs dans le lieu de travail d’autres postes que l’employé pourrait combler, et envisager les changements nécessaires pour répondre aux besoins de l’employé. Toutefois, certaines questions demeurent : l’obligation comprend-elle l’offre d’un autre poste permanent ? L’employeur doit-il offrir un nouveau poste au meme salaire que l’ancien ? On présume que la réponse a ces questions dépend du seuil de contrainte excessive.

CRÉATION D’UN POSTE

Certains ont dit que l’obligation d’accommodement ne va pas jusqu’a obliger l’employeur a créer un poste pour l’employé handicapé. Cependant, s’il va sans dire que l’employeur n’a pas a créer un poste dont les tâches n’étaient pas effectuées auparavant, rien n’indique qu’il puisse refuser de redistribuer des tâches existantes, de façon a créer un poste, si cela n’impose pas une contrainte excessive.

Un arbitre a déclaré que le Code des droits de la personne de l’Ontario ne vise pas a obliger l’employeur a une refonte du milieu de travail, et qu’il faut accepter [TRADUCTION] « la façon dont la compagnie et le syndicat ont choisi d’organiser le travail en classifications et postes précis ». Par conséquent, parce qu’il n’existait pas antérieurement de poste que le plaignant pouvait combler, l’employeur n’avait pas a réassigner les tâches afin de créer un tel poste. Par contre, une série de décisions soutiennent que si l’employé handicapé est capable d’exécuter un ensemble de tâches existantes, et qu’il est possible d’en constituer un poste sans contrainte excessive pour l’employeur, celui-ci doit envisager cette possibilité.

Il est difficile de concilier les deux lignes de pensée que traduisent ces décisions. La premiere semble indiquer qu’il ne convient pas d’interpréter les textes législatifs sur les droits de la personne comme permettant l’ingérence dans le mode d’organisation du travail, que cela entraîne ou non une contrainte excessive, tandis que la seconde prétend que la seule limite a l’accommodement par la réaffectation des tâches est la contrainte excessive.

TÂCHES MODIFIÉES SUR UNE BASE TEMPORAIRE ET FORMATION

Nombre d’employeurs offrent des tâches modifiées comme mesure intérimaire, le but étant de réintégrer l’employé dans son poste ordinaire. On comprendra de ce qui a été présenté plus haut que ce programme de « conditionnement au travail » peut ne pas suffire a remplir l’obligation d’accommoder, si l’employeur n’envisage pas une modification permanente du poste de l’employé ou, éventuellement, son affectation a un autre poste.

Dans le cas ou l’employé revient au travail de façon temporaire ou a l’essai, certains sont d’avis que les criteres de travail productif et utile ne sont pas les memes que lorsqu’il s’agit d’un emploi permanent. Si l’on s’attend a ce que l’employé recouvre pleinement ses capacités, l’employeur devra peut-etre accepter que l’employé n’offre pas, a court terme, beaucoup d’avantages économiques a l’entreprise. Bien sur, le fait qu’un poste soit temporaire a également une incidence sur le calcul de la contrainte excessive, notamment pour des facteurs tels que le cout et les répercussions sur les besoins opérationnels et le moral des employés.

L’employeur pourrait aussi avoir a envisager offrir de la formation dans les cas ou l’employé cherche a etre accommodé pour un autre emploi. On peut supposer que la formation ne sera exigible que si on peut faire la preuve qu’elle permettra a l’employé d’exécuter les tâches nécessaires dans un délai raisonnable. Un arbitre a déclaré que l’employeur n’était pas obligé de fournir la formation s’il fallait deux ans de formation pratique pour l’employé. La formation peut également etre nécessaire pour les autres employés. Dans le cas d’un plaignant épileptique, l’arbitre a suggéré que les parties incluent dans l’entente négociée d’accommodement l’exigence que l’employeur fournisse aux collegues du plaignant une formation en premiers soins.

TRAVAIL A TEMPS PARTIEL OU A L’EXTÉRIEUR DE L’UNITÉ DE NÉGOCIATION

Dans certains cas, l’employeur peut offrir un accommodement sous forme d’un poste a temps partiel. Si cela entraîne une perte économique pour l’employé, et lui est imposé contre son gré, l’employeur pourrait avoir a démontrer que de procéder autrement aurait constitué une contrainte excessive. Inversement, si l’employeur ne peut démontrer une contrainte excessive du fait de permettre a l’employé de travailler a temps partiel tout en maintenant son statut au sein d’une unité de négociation pour les travailleurs a temps complet, l’employeur pourrait ne pas avoir le droit d’exiger de l’employé qu’il travaille a temps complet pour maintenir ce statut.

Les avis des arbitres divergent quant a savoir si les employeurs sont tenus d’offrir un accommodement sous forme d’un poste a l’extérieur de l’unité de négociation. Un arbitre a déclaré que l’obligation d’accommoder n’oblige pas l’employeur a offrir un poste a l’extérieur de l’unité de négociation, tandis qu’un autre était d’avis que lorsque les circonstances le justifient, il pourrait accorder un poste exclu au plaignant qui réclame en vertu du Code des droits de la personne.

Lorsque l’employé reçoit un accommodement sous forme d’un poste exclu, l’employé peut etre en mesure de prétendre que le fait de ne plus appartenir a l’unité de négociation, et la perte conséquente d’avantages, constitue de la discrimination. Dans une affaire ou il avait été déterminé que le transfert dans un poste exclu représentait la seule option viable, l’arbitre a ordonné que l’employée ne perde ni son ancienneté, ni les services et avantages offerts par l’appartenance a l’unité de négociation, mais sans le maintien du statut a d’autres fins. Par contre, si l’employé est transféré a une autre unité de négociation, le syndicat qui représente cette unité pourrait soutenir que d’accorder a l’employé toutes ses années d’ancienneté constituerait une contrainte excessive pour les autres membres du syndicat.

LA SUITE AU PROCHAIN NUMÉRO

Dans le prochain numéro d’AU POINT, nous terminons la présente série sur l’accommodement des personnes handicapées en traitant de la « substantifique moelle » de l’obligation d’accommoder : l’évaluation de la contrainte excessive. Nous verrons que si cette évaluation peut varier selon les circonstances de chaque cas, il est quand meme possible de préciser certains facteurs qui jouent dans la détermination du seuil de la contrainte excessive (voir « L’accommodement des employés handicapés en deça de la contrainte excessive » sous la rubrique « Publications »; voir aussi « L’absentéisme involontaire dans un milieu de travail syndiqué », « Nouvelles questions dans la gestion de l’assiduité », « L’obligation d’accommoder : quelques indications dans le contexte hospitalier », « Le projet de loi S-5 vise la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne« , « Question de comparaison : la Cour d’appel rend une décision sur les limites aux avantages, a l’ancienneté et a l’accumulation des années de service pour les employés invalides » et « L’arbitre n’accorde pas l’accommodement « idéal » au technicien phobique » sous la rubrique « Publications » et « Entrée en vigueur de deux lois fédérales sur les relations de travail » sous la rubrique « Nouveautés »).

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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