La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDÉ) est une loi fédérale en matière de protection de la vie privée qui s’applique à la collecte, à l’utilisation et à la communication de renseignements personnels dans le cours d’activités commerciales. Elle s’applique également aux renseignements personnels des employés dans les entreprises sous réglementation fédérale (voir « La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques : effet sur les entreprises sous réglementation fédérale et leurs employés » et « Comment assurer la conformité à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques de votre entreprise » sous la rubrique « Publications »). Essentiellement, la Loi exige que les renseignements personnels soient recueillis, utilisés et communiqués uniquement à la connaissance et avec le consentement de la personne intéressée, sous réserve d’exceptions restreintes. Le présent article porte sur la façon dont la Loi a été appliquée dans les cas où l’employeur recueille une preuve vidéo de l’inconduite alléguée d’un employé.
TEAMSTERS LOCAL UNION NO. 419 v. SECURICOR CASH SERVICES (6 FÉVRIER 2004)
Dans cette affaire, le plaignant avait été congédié pour abus du congé de maladie. Le plaignant était responsable de gros montants d’argent pour l’employeur, un service de voitures blindées. Après avoir été informé qu’on le soupçonnait d’avoir volé de l’argent, il s’est absenté du travail pendant deux jours de suite, pour cause de maladie. L’enquêteur de l’employeur s’inquiétait d’une fuite éventuelle du plaignant; il s’est donc rendu chez celui-ci. Il a alors observé le plaignant dans la rue devant chez lui.
L’enquêteur a enregistré la scène sur caméra vidéo. À l’audience, le litige portait sur l’admissibilité de la preuve enregistrée. L’arbitre a souligné qu’il existait trois courants jurisprudentiels sur l’admissibilité d’une telle preuve :
- la preuve de surveillance peut être admise s’il est raisonnable de le faire ;
- la preuve de surveillance est admissible si elle est pertinente et qu’elle a une valeur probante ;
- la preuve de surveillance recueillie dans un lieu public est toujours admissible, puisqu’il n’y a aucune expectative de protection de la vie privée dans un tel lieu.
L’arbitre était d’avis qu’avant de décider de quelle façon aborder la question, il fallait déterminer s’il existait un droit à la protection de la vie privée dans les circonstances et, le cas échéant, si ce droit justifiait l’exclusion d’une preuve pertinente et ayant une valeur probante.
LPRPDÉ – INTERDICTION CONTRE UNE SURVEILLANCE DÉRAISONNABLE
L’arbitre a jugé qu’il existait un droit à la protection de la vie privée en vertu de la common law que les tribunaux ont affirmé, mais qu’en l’espèce, il existait également un droit légal à la protection de la vie privée en raison de l’application de la LPRPDÉ au lieu de travail. Le paragraphe 5(3) de la LPRPDÉ prévoit ce qui suit :
- « L’organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. »
L’alinéa 7(1)(b) de la Loi prévoit que les renseignements personnels peuvent être recueillis à l’insu de la personne intéressée si « il est raisonnable de s’attendre à ce que la collecte effectuée au su ou avec le consentement de l’intéressé puisse compromettre l’exactitude du renseignement ou l’accès à celui-ci, et la collecte est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d’un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial … ».
D’après l’arbitre, ces dispositions signifiaient que dans les lieux de travail visés par la LPRPDÉ, celle-ci interdisait la surveillance déraisonnable des employés.
LES OPINIONS DES ARBITRES SUR LES FOUILLES INTRUSIVES S’APPLIQUENT ÉGALEMENT À LA SURVEILLANCE
Outre la LPRPDÉ et la common law, l’arbitre a noté que « [TRADUCTION] depuis des décennies », les arbitres examinent le caractère raisonnable des enquêtes intrusives sur les employés – telles que les fouilles, les examens médicaux, le dépistage de drogues. Il n’y avait aucune raison, a jugé l’arbitre, de procéder autrement pour la surveillance vidéo :
- « [TRADUCTION] Qu’il s’agisse de dépistage de drogues ou de surveillance, l’employeur mène une enquête pour obtenir des renseignements qu’il croit nécessaires à l’administration de son entreprise. … Dans le cours normal des affaires, on conviendrait que ces renseignements font partie de la sphère de vie privée de l’employé et ne sont d’aucun intérêt légitime pour l’employeur. Pour ces motifs, le même raisonnement qui s’applique aux fouilles ou aux examens médicaux devrait s’appliquer à la surveillance – c’est-à-dire que la convention collective devrait être interprétée comme comprenant une clause implicite à l’effet qu’une telle enquête intrusive n’est permise que si elle est raisonnable dans les circonstances. »
Après avoir conclu que la surveillance déraisonnable était une violation de la convention collective, l’arbitre a jugé que la réparation indiquée pour l’obtention déraisonnable d’une preuve était d’exclure cette preuve. Il a ajouté que même s’il doit exister des raisons « [TRADUCTION] impératives » pour exclure une preuve, dans ces rares circonstances, l’exclusion est la seule réparation qui peut rétablir le plaignant dans la position où il aurait été n’eut été la violation de la convention par l’employeur.
SURVEILLANCE VIDÉO ADMISE COMME PREUVE
En l’espèce, toutefois, l’arbitre a jugé que la preuve devrait être admise. L’enquête de l’employeur était légitime et nécessaire, et l’enquêteur avait raison de se rendre chez le plaignant après que celui-ci ait été absent pendant deux jours. La décision de filmer le plaignant n’avait été prise que lorsque l’enquêteur avait vu le plaignant devant chez lui; de plus, il était déraisonnable de supposer qu’il existait un moyen plus opportun d’obtenir les renseignements dont l’enquêteur avait besoin à ce moment-là. En outre, la surveillance n’avait eu lieu qu’une seule fois, brièvement, et dans un lieu public où l’expectative de protection de la vie privée était faible. L’arbitre a résumé ses conclusions comme suit :
- « [TRADUCTION] La preuve par surveillance vidéo a selon moi été obtenue de façon raisonnable, tant pour ce qui est des motifs de l’employeur que pour ce qui est des méthodes utilisées, par rapport aux intérêts de vie privée du plaignant. Parce que menée de façon raisonnable, « l’enquête » de l’employeur ne contrevient pas à la convention collective. Il n’y a donc pas lieu pour moi d’exercer ma discrétion d’exclure ce qui est à tous égards une preuve pertinente ayant une valeur probante. »
ROSS v. ROSEDALE TRANSPORT LTD. (26 MAI 2003)
Il s’agissait dans cette affaire d’un congédiement pour fraude d’un chauffeur de camion avec huit ans de service et aucun antécédent disciplinaire. M. Ross avait subi une blessure au dos en travaillant, lésion pour laquelle il avait été en congé pendant quatre jours et avait reçu des prestations de la Sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail. On lui a ensuite confié des tâches modifiées de bureau et d’administration pendant deux mois, jusqu’à son congédiement.
Au cours de cette période, l’employeur de M. Ross a commencé à se méfier des évaluations menées par le médecin de famille, et à interroger M. Ross pour déterminer s’il était véritablement inapte à exécuter ses tâches habituelles. Lorsque M. Ross a annoncé qu’il prenait un congé pour aider sa famille à déménager, l’employeur a engagé un détective privé pour que celui-ci effectue une surveillance vidéo de M. Ross chez lui.
Le détective privé s’est rendu chez M. Ross et l’a filmé sur caméra vidéo en train de transporter des meubles de la maison jusqu’à une camionnette stationnée à côté. Après avoir visionné l’enregistrement, l’employeur a dit à M. Ross que s’il ne démissionnait pas, il serait congédié et que la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail serait avisée des résultats de la surveillance vidéo. Les efforts pour en arriver à un règlement ont échoué, et M. Ross a finalement déposé une plainte pour congédiement injustifié en vertu du Code canadien du travail.
RAISONNABLE DE FAIRE ENQUÊTE SUR UNE VIOLATION DU CONTRAT DE TRAVAIL ?
À l’audience, M. Ross s’est opposé à l’admission de la preuve sur bande vidéo pour le motif qu’il s’agissait de renseignements personnels recueillis à son insu et sans son consentement, contrairement aux dispositions de la LPRPDÉ. La question en litige était de savoir si l’exception prévue à l’alinéa 7(1)(b) de la Loi s’appliquait à la collecte de renseignements effectuée par l’employeur. Comme nous l’avons vu plus haut, l’alinéa 7(1)(b) prévoit que des renseignements personnels peuvent recueillis à l’insu de l’intéressé et sans son consentement si « il est raisonnable de s’attendre à ce que la collecte effectuée au su ou avec le consentement de l’intéressé puisse compromettre l’exactitude du renseignement ou l’accès à celui-ci, et la collecte est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d’un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial … ».
L’arbitre a appliqué cette disposition et a jugé qu’il ne faisait aucun doute que si l’employeur avait tenté d’obtenir le consentement de M. Ross pour l’enregistrement de la bande, l’exactitude des renseignements aurait été compromise. La seule question, par conséquent, était de savoir s’il était raisonnable de recueillir ces renseignements pour faire enquête sur une violation du contrat de travail.
FACTEURS RELATIFS À L’ADMISSIBILITÉ
L’arbitre a souligné qu’avant l’entrée en vigueur de la LPRPDÉ, les arbitres tenaient compte des facteurs suivants pour pondérer l’intérêt de l’employeur à prévenir les fraudes et l’intérêt de l’employé à protéger sa vie privée :
- Était-il raisonnable, compte tenu des circonstances, d’entreprendre la surveillance vidéo?
- La surveillance avait-elle été menée de façon raisonnable?
- L’employeur avait-il d’autres moyens d’obtenir la preuve recherchée?
Selon l’arbitre, ces principes continuaient de s’appliquer pour déterminer le caractère raisonnable de la collecte de renseignements sans le consentement de l’intéressé. L’arbitre a fait remarquer que l’intérêt de l’employeur n’allait pas jusqu’à permettre la surveillance d’un employé que l’employeur n’avait aucune raison de soupçonner de malhonnêteté, et il a jugé que la surveillance vidéo n’était pas justifiée :
- « [TRADUCTION] En l’espèce, il n’y avait absolument aucune preuve que M. Ross avait jamais été autre chose qu’un employé honnête. … Il existait plusieurs autres moyens à la disposition de l’employeur pour vérifier la véritable envergure des limitations fonctionnelles de M. Ross. … L’employeur aurait pu demander une évaluation médicale indépendante. … Ici, l’employeur, sans aucune preuve que l’employé simulait, faisait de fausses représentations ou communiquait de faux renseignements quant à ses capacités physiques, a ordonné une surveillance vidéo subreptice dans l’espoir de prendre au piège un employé qui ne se méfiait de rien alors qu’il déménageait des meubles chez lui, à la date et au lieu qu’il avait volontairement communiqués à son employeur. »
L’arbitre a jugé qu’il n’était pas raisonnable pour l’employeur de « [TRADUCTION] lancer un filet électronique » pour prendre M. Ross en train de déménager, et que la collecte des renseignements personnels à l’insu et sans le consentement de M. Ross contrevenait à LPRPDÉ; l’arbitre a donc conclu que la bande vidéo n’était pas recevable en preuve.
Notre point de vue
Il semblerait que l’application des règles de la LPRPDÉ au travail pourrait renforcer l’analyse arbitrale traditionnelle quant à l’admission de preuves qui touchent la vie privée de l’employé. Cette façon d’envisager la problématique pondère le droit de l’employé à sa vie privée et l’intérêt de l’employeur à faire enquête sur les infractions soupçonnées. (Pour plus de détails sur la façon dont les arbitres abordent la question, voir « La surveillance vidéo : invasion de la vie privée ou réponse raisonnable à l’inconduite? » sous la rubrique « Publications »). L’analyse traditionnelle est la plus répandue mais elle n’est pas acceptée par tous, puisque certains arbitres admettent la preuve pourvu qu’elle soit pertinente et qu’elle ait une valeur probante. Dans les lieux de travail visés par la LPRPDÉ, il pourrait être plus facile pour les employés d’affirmer qu’il existe en fait un droit à la vie privée contre lequel l’intérêt de l’employeur doit se mesurer.
Une fois qu’on a conclu que le droit à la vie privée existe, il peut également être un peu plus facile d’affirmer que la réparation pour la violation de ce droit est d’exclure la preuve ainsi obtenue. Cette idée a été retenue sans hésitation par l’arbitre dans l’affaire Ross, malgré le fait que la principale réparation offerte aux plaignants qui ont gain de cause en vertu de la LPRPDÉ est une « recommandation » de la part du Commissaire à la protection de la vie privée.
Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Lynne Poirier au (613) 940-2741.