Une récente décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») fait ressortir les situations complexes qui peuvent survenir dans l’application de la législation sur les accidents du travail aux lésions subies hors de la province et aux employés non résidents. Dans Air Canada c. British Columbia (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) (octobre 2018), la demanderesse, Mme Zechel, était une agente de bord au service d’Air Canada. Même si elle résidait à Winnipeg, ses affectations de vol débutaient et prenaient fin à l’Aéroport international de Vancouver. Mme Zechel passait la plupart de ses heures de travail à bord d’appareils se trouvant dans un espace aérien à l’extérieur de la Colombie-Britannique (la « CB »).
En mai 2012, alors que l’appareil dans lequel elle se trouvait était à l’extérieur de l’espace aérien de la CB, Mme Zechel a détecté une odeur âcre dans la cabine. L’appareil s’est fait accorder une priorité d’atterrissage à Vancouver et on a découvert que l’odeur avait été causée par des fils surchauffés dans le système de divertissement en vol. Mme Zechel a subi une réaction de stress, car elle savait qu’un écrasement aérien mortel avait été causé par des fils surchauffés. Mme Zechel a manqué quelques jours de travail, pour lesquels elle a présenté une réclamation pour perte de salaire en vertu de la loi sur les accidents de travail de la Colombie-Britannique (la « Loi »). Les articles 5 et 5.1 de la Loi énoncent ce qui suit :
[Traduction]
Indemnité pour lésions corporelles
5 (1) Lorsque, dans un secteur visé par la présente partie, un travailleur subit des lésions corporelles ou décède dans l’exercice de ses fonctions, la Commission verse l’indemnité prévue par la présente partie sur la caisse des accidents. […]
Trouble mental
5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), un travailleur a droit à une indemnité pour trouble mental ne découlant pas de lésions pour lesquelles le travailleur a par ailleurs droit à une indemnité, seulement si le trouble mental :
- soit
- (i) est une réaction à un ou plusieurs événements traumatisants survenus dans l’exercice des fonctions du travailleur, soit
- (ii) est causé principalement par un important facteur de stress lié au travail, notamment l’intimidation ou le harcèlement, ou par une série cumulative d’importants facteurs de stress liés au travail, survenus dans l’exercice des fonctions du travailleur;
- est diagnostiqué par un psychiatre ou un psychologue comme problème de santé mentale ou physique décrit dans l’édition la plus récente du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association psychiatrique américaine au moment du diagnostic;
- n’est pas causé par une décision de l’employeur relative à l’emploi du travailleur, notamment la décision de modifier les fonctions ou les conditions de travail, d’imposer des mesures disciplinaires au travailleur ou de mettre fin à son emploi. […]
La Commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique (la « Commission ») a accepté la demande de Mme Zechel. Air Canada a interjeté appel contre la décision de la Commission auprès du Tribunal d’appel des accidents du travail (le « Tribunal » ou « TAAT »), soutenant qu’aucune lésion ouvrant droit à une indemnité n’avait été subie.
De son propre chef, le Tribunal a relevé une question de compétence découlant du paragraphe 8(1) de la Loi, lequel prévoit ce qui suit :
[Traduction]
Lésions subies hors de la province
8 (1) Lorsque les lésions d’un travailleur surviennent pendant que le travailleur travaille ailleurs que dans la province et donneraient droit au travailleur ou à ses personnes à charge à une indemnité en vertu de la présente partie si elles étaient survenues dans la province, la Commission verse une indemnité en vertu de la présente partie si :
- un établissement de l’employeur est situé dans la province;
- la résidence et le lieu de travail usuel du travailleur se trouvent dans la province;
- les fonctions sont telles que le travailleur doit travailler tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la province;
- l’emploi du travailleur hors de la province suit immédiatement son emploi pour le même employeur dans la province et a duré moins de six mois,
mais pas dans les autres cas.
Étant donné que les lésions sont survenues à l’extérieur de la province et que Mme Zechel ne résidait pas en CB, le Tribunal a conclu que Mme Zechel ne pouvait pas présenter une demande en vertu de la Loi. Mme Zechel et Air Canada ont tous deux sollicité le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal.
En contrôle, le juge en cabinet a conclu que le Tribunal n’avait pas entrepris d’interprétation complète de la Loi et des politiques pertinentes. Plus particulièrement, le Tribunal a omis de tenir compte des articles 5 et 5.1 et de déterminer si ces dispositions permettaient la demande nonobstant l’article 8. Le juge a aussi conclu que la façon dont le tribunal avait interprété la Loi avait mené à des résultats « absurdes » puisque deux travailleurs subissant les mêmes lésions dans les mêmes circonstances pourraient être traités différemment en fonction de leur province de résidence. Le juge en cabinet a conclu que la décision rendue par le Tribunal était manifestement déraisonnable. Le Tribunal a interjeté appel.
La CACB a convenu avec le juge en cabinet que la façon dont le Tribunal avait effectué l’interprétation législative était inadéquate. Non seulement avait‑il omis d’examiner l’objet sous-jacent de la Loi dans son ensemble, y compris les articles 5 et 5.1, mais il avait aussi omis de tenir compte de situations analogues que l’on retrouvait dans la jurisprudence et dans les politiques de la Commission.
Nonobstant cette conclusion, la CACB n’a pas convenu que la décision du Tribunal était « absurde ». Elle a souligné que l’article 8 de la Loi était conçu pour s’appliquer à certaines demandes. Lorsqu’il s’appliquait, la province de résidence était un « facteur décisif ». La CACB a reconnu que cela pouvait constituer un choix législatif étrange, mais qu’il s’agissait néanmoins d’un [traduction] « exercice législatif de démarcation ». La CACB a conclu ce qui suit :
[Traduction]
Bien que les motifs prononcés par le TAAT ne résistent pas à l’examen, je ne suis actuellement pas convaincu que le résultat auquel en est venu le Tribunal est manifestement erroné. Par conséquent, je suis incapable d’entériner la directive qu’a donné implicitement le juge en cabinet au Tribunal et selon laquelle ce dernier doit tenir pour acquis que la demande de Mme Zechel, si elle était étayée, lui donnera droit à une indemnité. Par ailleurs, les motifs pour lesquels le juge en cabinet a conclu que Mme Zechel peut présenter une demande en vertu de l’art. 5.1 de la loi sur les accidents de travail constitue une interprétation raisonnable de la loi qu’il est loisible au TAAT d’adopter.
La CACB a renvoyé l’affaire au Tribunal pour que celui‑ci se livre à un exercice convenable d’interprétation législative pour déterminer si Mme Zechel était visée par la Loi.
À notre avis
Cette décision est intéressante non seulement parce qu’elle analyse la question de la résidence et des lésions subies hors de la province dans le contexte de la Loi, mais aussi parce qu’elle illustre la déférence dont bénéficient les tribunaux administratifs dans leur rôle d’interprète de leurs lois habilitantes. Même si la décision du Tribunal ne pouvait pas être maintenue en raison de son raisonnement erroné (l’interprétation de la Loi), la CACB a pris soin de ne pas prescrire une interprétation particulière de la Loi, contrairement à ce que le juge en cabinet avait fait. La CACB a plutôt renvoyé l’affaire au Tribunal pour que celui‑ci interprète convenablement la Loi, en reconnaissant que le Tribunal pourrait en arriver à la même décision.
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