Une décision arbitrale rendue récemment confirme que des restrictions extrinsèques peuvent s’appliquer aux avantages sociaux négociés collectivement. Dans l’affaire opposant l’Association des pompiers professionnels d’Ottawa et la Ville d’Ottawa (septembre 2019), l’arbitre Brian Keller a conclu que la convention collective en question ne prévoyait pas un régime complet d’avantages sociaux généraux. Il a plutôt été d’avis que les restrictions et conditions habituelles énoncées dans des documents externes, comme le contrat-cadre signé avec la société d’assurance, peuvent être valables si les employés ne sont pas privés de la couverture d’assurance négociée dans la convention collective, position que soutenait l’employeur. Il vaut la peine de mentionner que dans cet arbitrage, l’employeur a été représenté avec succès par Me Sébastien Huard, Me Lauren Brecher et Me Alanna Twohey du cabinet Emond Harnden.
Cet arbitrage était le résultat de 11 griefs déposés par l’Association des pompiers professionnels d’Ottawa (l’« Association ») alléguant que l’employeur, la Ville d’Ottawa (la « Ville »), avait violé la convention collective en omettant d’offrir certains des avantages sociaux énoncés dans celle-ci. Une conférence de gestion du cas a été tenue, lors de laquelle les parties ont convenu de plusieurs questions préliminaires que l’arbitre devait trancher avant d’étudier le bien-fondé de chacun des 11 griefs.
Parmi ces questions préliminaires a été soulevée la question de savoir si la convention collective visait à établir un régime complet d’avantages sociaux et, d’autre part, si des restrictions pouvaient s’appliquer aux avantages sociaux prévus dans la convention collective outre les conditions explicites de cette convention, comme les restrictions prévues dans le contrat-cadre signé avec la compagnie d’assurance.
Une sentence arbitrale rendue en 2008 dans le cadre d’un arbitrage d’intérêts incluant la question des avantages sociaux a servi de point de départ à la résolution de ces questions préliminaires. Dans cet arbitrage, l’Association souhaitait présenter en détail l’ensemble des avantages sociaux dans la convention collective. La Ville était d’avis que le détail des régimes d’avantages sociaux n’avait pas sa place dans la convention collective. La sentence arbitrale de 2008 comprenait l’ordonnance suivante :
[TRADUCTION] Il est ordonné que la convention collective décrive brièvement chacun des régimes existants [tels que modifiés par la présente sentence arbitrale] et, en outre, que l’Association reçoive chaque année, et à chaque modification, copie du contrat-cadre signé avec l’assureur. Nous laissons aux parties le soin de préciser et de décrire ces régimes d’assurance, mais nous restons saisis de toute question de mise en œuvre.
À la suite de cette sentence arbitrale, les parties ont convenu d’un libellé révisé de la convention collective qui comprenait une liste des dépenses admissibles accompagnée des dispositions suivantes :
[TRADUCTION] L’assureur établit les barèmes des honoraires raisonnables et habituels en comparant et en étudiant l’échelle des honoraires demandés pour des services comparables dans la même région géographique [Ontario]. Les barèmes des honoraires publiés et les réponses obtenues auprès des praticiens servent à établir ces montants. Le barème des honoraires raisonnables et habituels est mis à jour chaque année par l’assureur.
et
[TRADUCTION] Restrictions applicables – Il est entendu que l’obligation de l’employeur en vertu du présent article se limite à souscrire auprès de l’assureur les régimes d’assurance précisés aux présentes en contrepartie de sa part des cotisations nécessaires pour offrir aux employés les avantages sociaux énoncés au présent article.
En définitive cependant, les parties ne se sont pas entendues sur l’interprétation de ces dispositions. Selon l’Association, malgré l’emploi des mots « décrire brièvement » dans la sentence arbitrale de 2008, les dispositions de la convention collective présentaient un tableau exhaustif et complet des régimes offerts. De plus, l’Association soutenait qu’il ne pouvait pas y avoir de restrictions aux avantages sociaux, à moins que la convention collective ne le prévoie de manière explicite.
L’employeur quant à lui soutenait que les parties avaient brièvement décrit les paramètres des avantages sociaux relatifs aux soins de santé dans la convention collective afin de préciser la base sur laquelle la Ville continuerait de négocier avec l’assureur. Il était clair, d’après les dispositions négociées et décidées en arbitrage, que les avantages sociaux négociés collectivement pouvaient être offerts dans le cadre d’un régime extérieur et que ce régime serait pertinent pour l’interprétation des droits garantis aux employés par la convention collective, malgré le fait que la convention collective n’y fasse pas référence.
L’arbitre Keller était entièrement d’accord avec l’employeur. Il a souligné que la sentence arbitrale de 2008 obligeait les parties à décrire brièvement les régimes existants. Si le but de cette sentence arbitrale avait été d’inclure tous les éléments des avantages et couvertures d’assurance, les mots « décrire brièvement » n’auraient pas été utilisés.
L’arbitre a également été influencé par le fait que la Ville était tenue de fournir à l’Association une copie du contrat-cadre signé avec l’assureur chaque année et à chacune de ses modifications. L’arbitre Keller a fait remarquer que cette exigence n’aurait pas été nécessaire si la description faite dans la convention collective était censée être exhaustive.
Il a ajouté ceci :
[TRADUCTION] Je souligne également que les divers documents externes et internes mis à la disposition de l’Association et des employés pendant de nombreuses années prévoient des restrictions clairement exprimées. À aucun moment, les documents ou énoncés de l’employeur n’ont indiqué que les dispositions de la convention collective étaient exhaustives ou qu’aucune restriction ou condition ne s’y appliquait.
L’arbitre a également cité l’article 12.07 de la convention collective, modifié par une sentence arbitrale en mai 2017 afin de prévoir ce qui suit :
[TRADUCTION] L’employeur transmet à l’Association une copie du ou des contrats-cadres signés avec l’assureur chaque année ou à chaque modification, ainsi que tout autre document qui prévoit des restrictions au régime d’assurance.
De l’avis de l’arbitre Keller, cette disposition constituait [TRADUCTION] « une admission claire de l’existence possible de restrictions à la couverture d’assurance ».
Enfin, bien qu’il ait pris en délibéré le jugement sur la validité de restrictions particulières à la couverture d’assurance, l’arbitre Keller a indiqué que cette question devrait être tranchée de manière conforme à la « jurisprudence applicable ». Il a ajouté ceci : [TRADUCTION] « La jurisprudence arbitrale indique clairement qu’il peut y avoir des restrictions raisonnables et coutumières, pourvu qu’elles ne privent pas les employés des avantages sociaux négociés. »
La décision ayant été en faveur de l’employeur sur ces questions, l’arbitre a ordonné aux parties de reprendre leurs discussions afin de tenter de régler les différends subsistants.
Notre opinion
Il s’agit une décision très encourageante pour les employeurs. Il vaut la peine de remarquer que la convention collective faisant l’objet du litige n’indiquait pas explicitement que les avantages sociaux qu’elle prévoyait seraient [TRADUCTION] « sujets aux conditions » du ou des régimes d’avantages sociaux applicables. La décision rendue confirme donc que même en l’absence de disposition en ce sens, les arbitres sont, lorsque les circonstances s’y prêtent, disposés à conclure que des restrictions extrinsèques peuvent s’appliquer à des avantages sociaux négociés collectivement. En effet, pourvu que les employés ne soient pas privés des avantages négociés, il peut exister des restrictions extrinsèques valables aux avantages sociaux négociés collectivement, comme les restrictions raisonnables et habituelles et autres restrictions standards.
Pour plus d’information, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613‑940‑2744.