Empêcher le pilotage avec facultés affaiblies : Le Bureau de la sécurité des transports recommande le dépistage d’alcool et de drogue à la suite de l’enquête sur la désintégration en vol d’un aéronef de Carson Air Ltd.

En novembre 2017, le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a publié son rapport d’enquête relatif à la désintégration en vol du vol 66 de Carson Air Ltd. Dans le rapport, bien qu’incapable de déterminer la cause exacte de la désintégration, le BST a conclu que « l’intoxication alcoolique a presque certainement été un facteur dans les événements qui ont mené à l’accident ». Par suite de cette conclusion et de plusieurs incidents récents impliquant des pilotes aux facultés affaiblies, le BST a recommandé « une solution globale à l’abus d’alcool et de drogue dans le secteur de l’aviation ». Selon le BST, le dépistage d’alcool et de drogue pourrait constituer un aspect d’une telle solution.

Pour situer les choses dans leur contexte, mentionnons que le vol 66 était un vol de transport de marchandises en semaine entre Vancouver et Fort St John, en Colombie-Britannique, effectué par Carson Air Ltd. Le 13 avril 2015, le vol 66 a décollé de l’aéroport international de Vancouver à environ 7 h 03. Les seules personnes à bord étaient le commandant de bord et le premier officier. Sept minutes après le décollage, l’aéronef a entamé une descente abrupte de sorte que les forces aérodynamiques ont causé la désintégration structurelle de l’aéronef, ce qu’on appelle une « désintégration en vol ». Le commandant de bord et le premier officier ont péri dans l’écrasement qui s’ensuivit.

Des examens post-mortem et toxicologiques ont été effectués sur les deux pilotes. Les examens toxicologiques post-mortem ont révélé que le commandant de bord avait un taux d’alcoolémie (TA) de 0,24 %, de sorte qu’il avait probablement consommé de l’alcool au cours d’une période de plusieurs heures, jusqu’à peu avant le décollage. Le BST a énoncé les effets typiques d’un TA se situant entre 0,09 et 0,25 % :

  • instabilité émotionnelle
  • perte de jugement critique
  • déficience de la mémoire et de la compréhension
  • réponse sensorielle diminuée
  • légère incoordination musculaire

Le BST a aussi énoncé les effets typiques d’un TA se situant entre 0,18 et 0,30 % :

  • confusion
  • étourdissements
  • émotions exagérées (colère, peine, peur)
  • perception visuelle affaiblie
  • sensation de douleur diminuée
  • altération de l’équilibre
  • démarche chancelante
  • difficultés d’élocution
  • incoordination musculaire modérée

L’enquête du BST a également révélé que plusieurs employés de Carson Air soupçonnaient que le commandant de bord avait un problème de consommation d’alcool et que certains avaient même fait part de leurs préoccupations à des collègues. Le rapport d’autopsie a indiqué une grave athérosclérose de la coronaire ainsi que la stéatose et l’hépatite du foie chez le commandant de bord, ce qui, chez un sujet de 34 ans, indique une consommation excessive d’alcool sur une période prolongée.

Le BST a fini par avancer trois thèses possibles pour expliquer l’écrasement : un blocage du circuit Pitot, l’incapacité du pilote et un geste intentionnel. Le BST n’a pas tiré de conclusion définitive concernant la cause, mais à la lumière de la preuve liée au TA du commandant de bord, il a conclu que « l’intoxication alcoolique a presque certainement été un facteur dans les événements qui ont mené à l’accident. »

La conclusion du BST à cet égard fait suite à plusieurs incidents médiatisés impliquant des pilotes qui se sont présentés au travail avec les facultés affaiblies. Par exemple, vers la fin de 2016, un pilote de Sunwing Air Lines en état d’ébriété a été arrêté après s’être évanoui dans la cabine de pilotage avant le décollage. Ces incidents persistent, malgré le fait que le Règlement de l’aviation canadien prescrit qu’il est interdit à toute personne d’agir en qualité de membre d’équipage d’un aéronef lorsqu’elle est sous l’effet de l’alcool ou de la drogue. De même, le Code criminel du Canada interdit la conduite d’un aéronef par quiconque a les facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue. Néanmoins, le nombre d’incidents impliquant des pilotes aux facultés affaiblies indique une lacune dans l’état actuel du droit.

Dans la foulée de l’incident Sunwing et à la lumière du risque évident pour la sécurité que pose l’ivresse d’un pilote, nous avons suggéré que Transports Canada mette en œuvre des mesures uniformes de redressement et de dépistage visant à prévenir l’usage de drogue et d’alcool avant un vol (voir « Empêcher le pilotage avec facultés affaiblies : que faire maintenant? ». Cette notion de dépistage d’alcool et de drogue est réitérée par la recommandation du BST selon laquelle :

Le ministère des Transports, en collaboration avec l’industrie et les représentants des employés du secteur canadien de l’aviation, élabore et mette en place des exigences relativement à un programme global de lutte contre l’abus de drogues et d’alcool, y compris le dépistage, pour réduire le risque que des personnes aient les facultés affaiblies en assumant des fonctions liées à la sécurité. Ces exigences doivent prendre en compte et concilier la nécessité de respecter les principes des droits de la personne de la Loi canadienne sur les droits de la personne et la responsabilité de protéger la sécurité du public.

Malgré le besoin apparent, la recommandation du BST en faveur du dépistage d’alcool et de drogue pourrait être difficile à mettre en œuvre. Traditionnellement, les représentants des employés s’opposent au dépistage aléatoire. Par ailleurs, les employeurs ont une capacité limitée de mettre en œuvre unilatéralement des politiques de dépistage aléatoire. Dans Pâtes et Papier Irving. (2013), la Cour suprême du Canada a annulé un programme de dépistage obligatoire de l’employeur au motif qu’il portait atteinte au droit à la vie privée des employés. La Cour a conclu que des tests aléatoires de dépistage pouvaient être permis dans les lieux de travail dangereux, dans les circonstances suivantes :

a)    lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un employé a les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions;

b)    lorsque ce dernier a été impliqué directement dans un accident de travail ou un incident grave;

c)    lorsqu’il reprend du service après avoir suivi un traitement pour l’alcoolisme ou la toxicomanie.

Hormis les cas qui précèdent, pour mettre en œuvre un dépistage aléatoire, l’employeur doit démontrer l’existence de risques particuliers au sein du milieu de travail, comme un problème généralisé de toxicomanie.

 

À notre avis

Nous demeurons convaincus que l’exploitation sécuritaire des aéroports et des sociétés aériennes incombe à tous les intervenants, notamment les employeurs, les employés et les syndicats. Nous convenons avec le BST que toutes les parties doivent se concerter pour mettre en œuvre un programme global de toxicomanie comportant de la formation, du soutien aux employés et des interventions de même qu’un régime de dépistage efficace. L’intérêt collectif à l’égard de la sécurité justifie la nécessité d’un tel programme et l’emporte sur l’atteinte au droit à la vie privée.

Plusieurs pays du monde ont adopté le dépistage aléatoire de l’alcool et de la drogue dans l’industrie de l’aviation. Comme le souligne le rapport du BST, l’Australie et les États-Unis ont mis en place des exigences de dépistage pour les employés du secteur de l’aviation exerçant des fonctions liées à la sécurité. Dans chaque cas, le dépistage ne constitue qu’une partie d’un programme plus global. En Australie, le programme comprend de la formation et des interventions de même que le dépistage aléatoire. Aux États-Unis, la réglementation applicable énonce la procédure de dépistage de drogue et d’alcool au travail et indique qui est assujetti au dépistage, quand et dans quels cas. La Civil Aviation Authority du Royaume-Uni oblige tous les porteurs de certificat d’exploitation aérienne et tous les fournisseurs de services de navigation aérienne à avoir une politique sur la drogue et l’alcool dans le cadre de leur système de gestion de la sécurité, lequel doit comprendre des procédures de suivi de l’efficacité des programmes, dont probablement un programme de dépistage. Le Canada peut donc envisager plusieurs approches pour s’attaquer à cette importante question de sécurité.

Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec les membres de l’équipe du droit des ressources humaines – Aviation d’Emond Harnden, Larissa Volinets Schieven au 613-563-7660 ou Justin Dubois au 613-563-7660.

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