« Tout est dans le contexte » − Une arbitre interprète l’expression « grave maladie » figurant dans la convention collective de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario

Bon nombre d’employeurs du secteur des soins de santé connaissent bien les dispositions de convention collective qui s’appliquent de manière à convertir la rémunération de vacances en rémunération de congé de maladie lorsque les vacances d’un employé sont interrompues par une « grave maladie ». Ces types de dispositions sont chaudement débattues entre les employeurs et les syndicats depuis plus de vingt ans. La décision récemment rendue dans Peterborough Regional Health Centre and Ontario Nurses’ Association (décembre 2018) représente un pas en avant dans la façon dont de telles dispositions seront interprétées. Il faut souligner que Raquel Chisholm, d’Emond Harnden, a représenté le Centre de soins de santé dans cette instance.

La formulation controversée qui faisait l’objet de l’arbitrage figure à l’article 16.05 de la convention collective centrale de l’Association des infirmière et infirmiers de l’Ontario. Cet article énonce ce qui suit :

Lorsque les vacances prévues d’une employée sont interrompues en raison d’une grave maladie qui a débuté avant la période de vacances prévue et se poursuit pendant ladite période, la durée de cette maladie est considérée comme un congé de maladie.

Lorsque les vacances prévues d’une employée sont interrompues en raison d’une grave maladie qui exige l’hospitalisation de l’employée, la période d’hospitalisation est considérée comme un congé de maladie.

La portion des vacances de l’employée considérée comme un congé de maladie en vertu des dispositions ci‑dessus n’est pas déduite des crédits de vacances de l’employée.

Pour situer brièvement les choses dans leur contexte, le Syndicat a déposé un grief relatif à la politique du Centre de soins de santé portant sur l’application de l’article 16.05. Le Syndicat a aussi déposé plusieurs griefs au nom de différentes employées. Dans chaque grief, la plaignante souffrait d’un problème de santé qui avait débuté avant ses vacances prévues.

Le grief de principe a été résolu dès le début de l’audience lorsque le Centre de soins de santé a retiré unilatéralement la politique. Les parties ont ensuite convenu d’un processus de gestion des cas dans lequel les parties ont accepté d’examiner la documentation relative à chaque plaignante. Même si cela a abouti à la résolution de plusieurs griefs, il en demeurait 15. Pour chaque grief, l’arbitre était chargée de déterminer si l’article 16.05 s’appliquait, ce qui l’obligeait à déterminer d’abord l’interprétation de l’expression « grave maladie ».

En sus de ces tâches, l’arbitre devait également se pencher sur deux arguments supplémentaires avancés par le Syndicat. Le premier reposait sur l’opinion du Syndicat selon laquelle tous les griefs devaient être accueillis au motif que l’examen par le Centre de soins de santé des diverses demandes de conversion avait été « entaché » par le recours à sa politique originale. Le deuxième était la prétention syndicale que les congés compensatoires et les jours fériés pouvaient aussi être convertis en congés de maladie.

L’interprétation de l’expression « grave maladie » figurant à l’article 16.05

En ce qui concerne l’interprétation qu’il y avait lieu de donner à l’expression « grave maladie », le Syndicat a soutenu que cette expression devait être interprétée conformément au seuil d’admissibilité à la rémunération de congé de maladie en vertu du Régime d’assurance-invalidité des hôpitaux de l’Ontario («  RAIHO »), ce qui signifierait qu’une employée souffre d’une « grave maladie » si elle est [traduction] « incapable d’exercer ses fonctions habituelles en raison d’une maladie ou d’une blessure ». Le Syndicat a étoffé cet argument en affirmant qu’il fallait appliquer à l’interprétation de l’expression « grave maladie » une [traduction] « optique de droits de la personne ». En d’autres termes, la question préliminaire consisterait à savoir si une maladie particulière peut être considérée comme une invalidité nécessitant l’accommodement. Le Syndicat a averti que le défaut d’appliquer cette optique de droits de la personne pourrait mener à la création d’une hiérarchie d’invalidités.

Le Centre de soins de santé a invoqué plusieurs décisions arbitrales pour s’opposer à la prétention du Syndicat selon laquelle l’interprétation de l’expression « grave maladie » doit être compatible avec le seuil de rémunération de congé de maladie et d’invalidité établi dans le RAIHO. Le Centre de soins de santé a avancé que les parties avaient déjà créé une hiérarchie d’invalidités. Toutes les invalidités pouvaient justifier un accommodement ou une rémunération de congé de maladie en vertu du RAIHO si l’employée devait travailler mais était incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure. Cependant, l’article 16.05 indiquait seulement deux cas d’invalidité qui provoquaient la conversion de la rémunération de vacances en rémunération de congé de maladie. Cela se produisait si l’employée avait prévu être en vacances mais que ces vacances étaient interrompues par une « grave maladie » qui avait débuté avant les vacances (16.05a)) ou si l’employée était hospitalisée pendant les vacances en raison d’une « grave maladie » (16.05b)).

En ce qui concerne l’argument du Syndicat en faveur d’une « optique de droits de la personne », le Centre de soins de santé a souligné qu’aucune des plaignantes n’avait été victime de discrimination en raison d’un refus de rémunération ou d’accommodement. Ainsi, aucune revendication de droits de la personne n’était possible. La hiérarchie des invalidités découlait directement de la formulation de la convention que les parties avaient elles-mêmes négociée. Au lieu d’une optique de droits de la personne, le Centre de soins de santé a milité en faveur d’une [traduction] « norme de la personne raisonnable » qui tiendrait compte de nombreux facteurs tirés de la jurisprudence arbitrale. C’est l’approche qu’a finalement acceptée l’arbitre. En fait, l’arbitre a accepté la position du Centre de soins de santé sur chacun des arguments de droit susmentionnés.

En rendant sa décision, l’arbitre a souligné que la norme de la personne raisonnable était en fait difficile à appliquer, mais elle a néanmoins énoncé plusieurs des facteurs qui peuvent être pris en considération pour déterminer si l’employée souffrait d’une « grave maladie », notamment :

  • la nature de la maladie;
  • la nature des soins médicaux en cause;
  • le traitement nécessaire;
  • la durée de la maladie;
  • la question de savoir si l’accommodement était possible, mais non pas de savoir s’il avait été offert;
  • la question de savoir si la prolongation du congé avait été accordée uniquement pour des raisons [traduction] « de prévention » ou « de prudence »;
  • la question de savoir si le retour au travail coïncidait avec la fin des vacances;
  • les recommandations du médecin;
  • l’observation par la patiente des recommandations du médecin;
  • l’intensité de la maladie pendant les vacances;
  • la question de savoir si des prolongations avaient été demandées par l’employée ou prévues par le médecin, en connaissance du fait que des congés de vacances étaient pris;
  • l’effet sur les activités de la vie quotidienne.

L’arbitre a mentionné que les facteurs susmentionnés ne constituaient pas une liste limitative et s’est dit d’accord avec le Centre de soins de santé qu’aucun facteur particulier n’était concluant. Des termes comme « aigu », « sévère » et « majeur » ont été considérés comme indiquant davantage l’existence d’une « grave maladie » que des termes comme « modéré », « mineur » et « un certain inconfort », mais ils n’étaient néanmoins pas déterminants. À cet égard, l’arbitre a simplement déclaré que [traduction] « tout est dans le contexte ».

L’application par le Centre de soins de santé de la norme de la personne raisonnable, entérinée par l’arbitre, a aussi été validée dans la décision de l’arbitre. Sur les griefs individuels qui demeuraient assujettis à l’examen de l’arbitre, sept ont été entièrement rejetés, tandis que seulement quatre ont été pleinement accueillis.

Pour ce qui est du rejet par l’arbitre de l’application d’une « optique de droits de la personne », l’arbitre a accepté l’argument du Centre de soins de santé selon lequel aucune des plaignantes n’avait fait l’objet de discrimination pour cause de refus d’avantages. En outre, l’arbitre a déclaré ce qui suit :

[traduction]
L’intégration d’une analyse en droits de la personne à un tel scénario revient à faire des distinctions et à créer des groupes de comparaison qui n’ont rien à voir avec la discrimination ou le désavantage. Ainsi, je rejette l’argument fondé sur les droits de la personne et avancé par l’Association pour ce qui est de l’interprétation de l’alinéa 16.05a).

L’examen des griefs par le Centre de soins de santé était‑il « entaché » par la politique qu’il avait retirée?

Comme il a été mentionné, le Syndicat a soutenu que tous les griefs devaient être accueillis au motif que l’examen de l’hôpital était entaché par son recours à sa politique, nonobstant le fait que le Centre de soins de santé l’avait retiré. Encore une fois, le Centre de soins de santé a eu gain de cause sur cette question. L’arbitre a souligné qu’à la suite du retrait volontaire de sa politique, le Centre de soins de santé a accepté un processus de gestion des cas. L’examen de la documentation associée à chaque grief a nécessité beaucoup de temps et de ressources et, en bout de ligne, le Centre de soins de santé a appliqué la norme de la personne raisonnable. Selon l’arbitre, les griefs ayant trait à la politique ont été réglés par le retrait volontaire de cette politique par le Centre de soins de santé.

Les congés compensatoires et les jours fériés peuvent-ils être convertis en congés de maladie en vertu de l’article 16.05?

En avançant sa position sur cette question, le Syndicat a soutenu que l’article 16.05 créait une restriction à un droit général. Ce droit général, selon le Syndicat, était le droit de l’employée aux congés de maladie, aux jours fériés et aux congés compensatoires. Selon le raisonnement suivi par le Syndicat, l’article 16.05 s’applique de manière à restreindre ce droit général en exigeant une « grave maladie » afin de convertir les vacances en congés de maladie. Les jours fériés et les congés compensatoires n’étaient pas restreints de la même façon et pouvaient donc dûment être convertis en congés de maladie.

Le Centre de soins de santé a répliqué à cet argument en invoquant les règles normales d’interprétation – des mots différents signifient des choses différentes. Si les parties avaient eu l’intention de permettre la conversion des congés compensatoires ou des jours fériés en congés de maladie, elles l’auraient indiqué clairement. Le Centre de soins de santé a affirmé que l’article 16.05 créait un avantage, et la mention des « vacances » seulement indiquait clairement l’intention de limiter l’avantage aux vacances. Le Centre de soins de santé a ajouté que pour conférer un avantage financier, les parties doivent l’exprimer très clairement.

Une fois de plus, l’arbitre a accepté la position du Centre de soins de santé sur cette question. Elle a souligné que l’article 16.05 ne faisait pas référence aux congés compensatoires ou aux jours fériés, qui sont des concepts différents et qui sont gagnés et accumulés de façon différente. Elle a aussi convenu avec le Centre de soins de santé que l’article 16.05 créait un avantage, et non pas une restriction contrairement à ce que prétendait le Syndicat, et cet avis était appuyé par la jurisprudence arbitrale. Enfin, elle a souligné que : [traduction] « Il faudrait des termes clairs pour étendre l’avantage de la conversion en congés de maladie ».

 

À notre avis

Cette décision constitue clairement une victoire majeure pour les employeurs dont les conventions collectives renferment le même libellé ou un libellé similaire. Elle donne des indications utiles en confirmant l’application de la norme de la personne raisonnable et en exposant plusieurs des facteurs qui doivent être pris en considération pour la détermination de la question de savoir s’il y a grave maladie. Elle confirme également que les jours fériés et les congés compensatoires ne tombent pas sous la portée de l’article 16.05.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Mélissa Lacroix au 613‑940‑2741.

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