Dans Haseeb c. Imperial Oil Ltd. (juillet 2018), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« Tribunal ») était saisi d’une allégation de discrimination en matière d’emploi fondée sur la citoyenneté. La citoyenneté est un motif de discrimination interdit par le Code des droits de la personne de l’Ontario (« Code »), bien qu’elle fasse moins souvent l’objet de litiges. La décision est donc très utile pour les employeurs, car elle analyse la discrimination fondée sur la citoyenneté dans le processus d’embauche en mettant particulièrement l’accent sur les qualifications professionnelles et les conditions préalables à l’emploi.
Les faits donnant lieu à l’affaire peuvent sembler anodins à première vue. Imperial Oil Ltd. avait un programme par lequel elle recrutait des diplômés en génie comme « ingénieurs de projet ». Pour avoir la possibilité d’être embauchés, les candidats devaient pouvoir travailler au Canada de façon permanente (« l’exigence de permanence »), ce qui supposait qu’ils aient la résidence permanente ou la citoyenneté. À titre de condition préalable à l’emploi, l’employeur obligeait les candidats à fournir une preuve de ce statut, au moyen d’un certificat de naissance canadien, d’un certificat de citoyenneté ou d’un certificat de résidence permanente.
L’employeur justifiait l’exigence de permanence notamment par le temps, l’énergie et les dépenses considérables qu’il devait engager pour former les recrues. L’employeur visait à fidéliser les ingénieurs nouvellement embauchés en espérant qu’ils demeurent à la société et occupent des postes importants à l’avenir. L’employeur facilitait l’atteinte de cet objectif en filtrant les recrues en fonction de leur capacité de travailler en permanence au Canada.
Au moment des faits, le demandeur, M. Haseeb, était un étudiant étranger effectuant ses études de génie à l’Université McGill. M. Haseeb était particulièrement intéressé à travailler dans le secteur de l’énergie, de sorte qu’Imperial Oil était un employeur potentiel attrayant. Même si M. Haseeb n’était pas un citoyen du Canada et n’avait pas sa résidence permanente au Canada, il participait à un projet d’immigration spécial et s’attendait à obtenir un permis de travail postdiplôme (« PTPD ») pour une période fixe de trois ans après l’obtention de son diplôme.
Haseeb a postulé pour le poste d’ingénieur de projet à Imperial Oil. Pendant le processus d’embauche, M. Haseeb a menti au sujet de son incapacité de travailler au Canada de façon permanente. Néanmoins, il était l’un des meilleurs candidats et s’est fait offrir le poste. Lorsqu’il n’a pas pu fournir la preuve de son admissibilité à travailler au Canada de façon permanente, l’offre a été annulée, malgré le fait que M. Haseeb aurait obtenu un PTPD de trois ans qui coïnciderait avec la date de début de son emploi auprès d’Imperial Oil. M. Haseeb a présenté une demande en matière de droits de la personne alléguant avoir fait l’objet de discrimination fondée sur la citoyenneté.
Le Tribunal a rapidement conclu que l’exigence de permanence constituait de la discrimination fondée sur la citoyenneté. Selon le Tribunal, il ressortait du Code que toute exigence ou considération faisant des distinctions fondées sur la citoyenneté canadienne, le statut de résident permanent ou le [traduction] « domicile au Canada avec l’intention d’obtenir la citoyenneté » était discriminatoire. Il y avait exception à cette règle générale seulement dans les cas où l’exigence était prescrite ou autorisée par la loi ou relevait des autres moyens de défense prévus par le Code.
Étant donné que l’exigence de permanence n’était pas prescrite par la loi et que les autres moyens de défense prévus par le Code n’étaient pas applicables, elle a été jugée constituer une contravention directe au Code – l’exigence de permanence établissait une distinction entre les candidats admissibles à travailler au Canada en fonction de leur citoyenneté et de leur statut de résident permanent. Cette distinction a eu comme effet d’imposer un désavantage au demandeur et aux autres étudiants étrangers non citoyens.
Le Tribunal a ajouté que la défense d’exigence professionnelle justifiée (« EPJ ») ne pouvait pas être invoquée par l’employeur. Le Tribunal a souligné que la défense d’EPJ peut être invoquée dans les cas où un motif de discrimination interdit n’est pas directement engagé, mais qu’une exigence professionnelle entraîne l’exclusion ou la préférence d’un groupe déterminé par un motif interdit. C’est ce qu’on appelle la discrimination « indirecte ». Puisque l’exigence de permanence de l’employeur touchait directement le motif interdit de citoyenneté, la défense d’EPJ ne pouvait pas être invoquée.
Même si la défense d’EPJ avait pu être invoquée, les faits démontraient que l’employeur avait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, renoncé à l’exigence de permanence par le passé. Par conséquent, l’exigence de permanence n’était pas une exigence nécessaire et n’était pas liée à l’exercice des fonctions ou à des tâches essentielles liées aux fonctions. Le Tribunal a ajouté que l’employeur n’avait pas démontré qu’il ne pouvait pas renoncer à l’exigence de permanence sans causer une contrainte excessive.
Le Tribunal a conclu sa décision en déclarant que l’exigence de permanence de l’employeur constituait une condition discriminatoire interdite par le Code. Le Tribunal a accordé un délai de 45 jours aux parties pour lui indiquer si elles désiraient avoir recours à la médiation, à défaut de quoi une audience de détermination du montant des dommages-intérêts serait fixée.
À notre avis
Il est important que les employeurs comprennent que la question en litige dans cette affaire n’avait pas trait à l’admissibilité du demandeur à travailler au Canada, mais plutôt à son admissibilité à travailler de façon permanente au Canada. Cette distinction est importante, car l’admissibilité à travailler de façon permanente au Canada est fondée sur la citoyenneté ou la résidence permanente. Comme la plupart des lecteurs d’Au point le savent, les employeurs doivent vérifier que les employés peuvent légalement travailler au Canada. Cette décision démontre cependant que l’ajout de critères préalables à l’emploi qui ne peuvent être respectés que par la citoyenneté ou la résidence permanente peut contrevenir au Code.
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