La Cour divisionnaire casse une décision historique sur la discrimination en matière d’emploi fondée sur la citoyenneté

Les lecteurs d’Au Point se rappelleront qu’en 2018, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le « Tribunal ») a été saisi d’une allégation de discrimination en matière d’emploi fondée sur la citoyenneté. Dans Haseeb c. Imperial Oil Ltd. (« Haseeb »), le Tribunal a déterminé que l’exigence de l’employeur selon laquelle, pour avoir la possibilité d’être embauchés à un poste d’ingénieur de projet, les candidats devaient pouvoir travailler au Canada de façon permanente constituait une discrimination directe fondée sur la citoyenneté. Cependant, dans ce qui sera une bonne nouvelle pour les employeurs ayant des conditions d’emploi semblables, la Cour divisionnaire de l’Ontario a récemment cassé cette décision historique.

 

Contexte

Comme nous l’avons expliqué dans un numéro antérieur d’Au Point, l’employeur dans ce cas, soit Imperial Oil Ltd., avait un programme par lequel il recrutait des diplômés en génie comme « ingénieurs de projet ». Toutefois, pour avoir la possibilité d’être embauchés à un tel poste, les candidats devaient être en mesure de travailler au Canada de façon permanente (l’« exigence de permanence »). Autrement dit, ils devaient avoir la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente.

Au moment des faits, le requérant, M. Haseeb, était un étudiant étranger qui n’avait ni la citoyenneté canadienne ni la résidence permanente. Il participait cependant à un programme d’immigration spécial qui lui a permis d’obtenir un permis de travail postdiplôme pour une durée fixe de trois ans après la fin de ses études. Haseeb a postulé pour un poste d’ingénieur de projet à Imperial Oil. Pendant le processus d’embauche, M. Haseeb a menti au sujet de son incapacité de travailler au Canada de façon permanente. Finalement, M. Haseeb s’est vu offrir un poste d’ingénieur de projet. Toutefois, lorsqu’il n’a pas pu fournir la preuve de son admissibilité à travailler au Canada de façon permanente, l’offre a été annulée et ce, malgré le fait que M. Haseeb aurait obtenu son permis de travail postdiplôme. M. Haseeb a ensuite présenté une requête en matière de droits de la personne à l’encontre d’Imperial Oil alléguant avoir fait l’objet de discrimination fondée sur la citoyenneté.

Dans sa décision, le Tribunal a conclu que l’exigence de permanence constituait de la discrimination fondée sur la citoyenneté, car cela constituait une exigence ou une considération faisant des distinctions fondées sur la citoyenneté canadienne, le statut de résident permanent ou le « domicile au Canada avec l’intention d’obtenir la citoyenneté » qui n’était ni autorisée ni requise selon la loi, et qui ne relevait pas des autres défenses prévues par le Code des droits de la personne de l’Ontario (le « Code »). En fait, le Tribunal a conclu que l’exigence de permanence constituait une violation directe du Code, ce qui signifie que l’intimé n’avait pas accès à la défense d’exigence professionnelle justifiée (« EPJ »). Quoi qu’il en soit, le Tribunal a conclu que même si la défense d’EPJ avait pu être invoquée, les faits démontraient que l’employeur avait renoncé à l’exigence de permanence par le passé. Par conséquent, l’exigence de permanence n’était pas une exigence nécessaire et n’était pas liée à l’exercice des fonctions ou des tâches essentielles liées au poste. Le Tribunal a conclu sa décision en déclarant que l’exigence de permanence de l’employeur constituait une condition discriminatoire interdite par le Code.

 

Décision

Plus tôt cette année, la Cour divisionnaire de l’Ontario (la « Cour ») a reçu et a entendu une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal à l’égard de M. Haseeb. Dans sa décision rendue plus tôt cet été, la Cour a commencé par commenter la nature unique du Tribunal en tant que tribunal administratif :

Comme […] d’autres tribunaux, le TDPO résout des questions qui peuvent avoir une incidence sur les relations entre les individus, mais aussi des préoccupations plus vastes concernant le traitement, par le gouvernement et d’autres, de groupes (certains petits, d’autres grands) de ceux qui composent notre société. L’impact va encore plus loin. À une époque où les mœurs sociales évoluent rapidement, les décisions du TDPO déterminent la mise en œuvre des valeurs fondamentales de notre société. Ce ne sont pas seulement des décisions juridiques, mais des décisions qui témoignent de ce que nous sommes en tant que Canadiens. Elles expriment ce que nous, Canadiens, considérons comme un comportement juste et approprié.

Avant d’aborder le sujet de fond de la discrimination, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable exigeait de la déférence à l’égard de la décision du Tribunal. La Cour a ensuite examiné les conclusions du Tribunal. Elle a souligné que, dans cette affaire, la conclusion de discrimination du Tribunal était fondée sur le motif protégé de « citoyenneté », et que l’attribut allégué de la citoyenneté sur lequel elle s’était fondée en arrivant à cette conclusion était la faillite de M. Haseeb de se voir autoriser la résidence permanente au Canada. De plus, elle a souligné que le Tribunal avait conclu que l’exigence de permanence constituait une discrimination directe. En d’autres termes, le Tribunal avait présumé que, en vertu du Code, le motif protégé de « citoyenneté » protégeait directement contre la discrimination fondée sur la résidence permanente.

Pour sa part, la Cour a souligné qu’une personne peut très bien être citoyenne canadienne et néanmoins déménager sa résidence à l’extérieur du pays. À l’inverse, on peut être résident permanent au Canada sans pour autant avoir la citoyenneté canadienne. Elle a donc conclu que les notions de « citoyenneté » et de « résidence permanente » étaient en fait distinctes et indépendantes l’une de l’autre. Par conséquent, la Cour a jugé que l’interprétation par le Tribunal du motif protégé de « citoyenneté » comme incluant la « résidence permanente » ne faisait pas partie d’une chaine d’analyse cohérente et rationnelle menant à une telle conclusion. En outre, le fait que le Tribunal n’ait pas examiné le sens ordinaire des mots « citoyenneté » et de « résidence permanente » constituait une lacune dans son analyse. Pour ces motifs, la Cour a conclu que le Tribunal avait élargi le sens de « citoyenneté » d’une façon non viable, du moins en ce qui concerne la discrimination directe :

La question soulevée dans cette affaire n’a pas été examinée auparavant et n’a pas été examinée de façon complète ou appropriée dans cette affaire. Le fait de ne pas avoir pris en compte le sens ordinaire des mots, le recours à des moyens de défense particuliers et limités et la référence à Washington et, en ce qui concerne Washington, le recours à des cas qui ne fournissent aucune analyse justifiant cette nouvelle proposition n’est pas suffisant pour répondre à la norme de contrôle établie par Vavilov. Il n’y a pas suffisamment d’éléments sur lesquels fonder une conclusion selon laquelle la « citoyenneté » comme motif de discrimination comprend comme deuxième critère distinct, la « résidence permanente », dont la violation peut soutenir une allégation de discrimination directe. L’analyse effectuée ne représente pas une chaine d’analyse cohérente et rationnelle à l’interne qui peut être suivie et comprise comme justifiant cette conclusion. Le fondement de cette conclusion n’est ni transparent ni intelligible.

Il y a peu ou pas d’explications de fond pour justifier l’acceptation de ce qui devient essentiellement un autre motif de discrimination. Il pourrait y avoir des répercussions sur les politiques qui ne sont pas prises en compte et qui doivent être prises en considération par l’Assemblée législative. Je dis cela pour indiquer que, selon moi, cela irait à l’encontre de la norme de contrôle du « manifestement déraisonnable » si elle s’appliquait.

Pour résumer, la Cour a conclu que la décision du Tribunal a étendu le motif protégé de « citoyenneté » d’une manière qui n’était ni justifiée ni viable selon la norme de contrôle applicable. Elle a donc accueilli la demande de révision judiciaire et annulé la décision du Tribunal. La Cour a choisi de ne pas renvoyer l’affaire au Tribunal pour réexamen parce qu’elle était d’avis qu’il ne pouvait y avoir de conclusion de discrimination directe fondée sur la « résidence permanente » et le fait qu’il n’a pas été suggéré qu’il pourrait même y avoir une conclusion de discrimination indirecte ou constructive fondée sur la preuve.

 

À notre avis

Les employeurs qui ont des conditions d’emploi actuelles ou potentielles semblables à celles en cause dans l’affaire Haseeb seront certainement rassurés par cette décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario. Cela dit, comme l’indique explicitement la décision de la Cour : il est certainement possible qu’il y ait des circonstances où l’exigence de résidence permanente est si étroitement définie qu’elle se manifeste essentiellement comme une exigence de citoyenneté constituant une discrimination indirecte ou constructive. Les employeurs doivent donc toujours faire preuve de prudence lorsqu’ils envisagent de mettre en œuvre de telles exigences.

Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613-940-2744.

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