Nouveau délit de harcèlement sur Internet en Ontario

Dans Caplan v. Atas. 2021 ONSC 670, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu le nouveau délit de « harcèlement dans les communications sur Internet ».

La dĂ©cision a Ă©tĂ© rendue le 28 janvier 2021 par le juge Corbett et dĂ©coule d’une rĂ©union de quatre instances, toutes liĂ©es Ă  une campagne de diffamation, de harcèlement et d’abus perpĂ©trĂ©s en ligne par Mme Atas sur une pĂ©riode de 20 ans. Mme Atas a ciblĂ© jusqu’à 150 victimes, de manière anonyme et sous des pseudonymes. Le harcèlement visait, entre autres, un ancien employeur qui l’avait congĂ©diĂ©e pour un motif valable et son ancien conseiller juridique, ainsi que leurs proches. Les allĂ©gations non fondĂ©es de Mme Atas contre ces personnes laissaient entendre qu’elles avaient fait preuve d’incompĂ©tence, de nĂ©gligence ou d’inconduite professionnelle, ou qu’elles s’étaient livrĂ©es Ă  la fraude et mĂŞme Ă  la pĂ©dophilie et Ă  d’autres formes de prĂ©dation sexuelle. Le premier paragraphe de la dĂ©cision de la Cour est peut-ĂŞtre celui qui dĂ©crit le mieux, dans l’ensemble, la conduite de Mme Atas :

[traduction]
Ces cas concernent d’extraordinaires campagnes de harcèlement malveillant et de diffamation menĂ©es sans entrave, pendant de longues annĂ©es, comme des actes illĂ©gaux de reprĂ©sailles. Nadire Atas a utilisĂ© Internet pour rĂ©pandre des faussetĂ©s vicieuses contre ceux Ă  qui elle porte rancune et contre les membres de leur famille et leurs associĂ©s. Mme Atas est dĂ©munie, et semble-t-il contente de se dĂ©lecter de griefs anciens. Elle se rĂ©jouit du processus judiciaire et des conflits interminables en raison de la misère et des dĂ©penses que cela entraĂ®ne pour ses adversaires.

La Cour a ensuite dĂ©crit le manque d’empathie de Mme Atas pour ses diverses victimes comme relevant de la sociopathie.

Il Ă©tait clair pour la Cour, après qu’elle ait appliquĂ© le critère bien Ă©tabli, que la conduite de Mme Atas constituait de la diffamation sans possibilitĂ© de dĂ©fense juridique. Ce qui Ă©tait tout aussi clair pour la Cour, cependant, c’est que les recours dont dispose un plaignant qui rĂ©ussit Ă  Ă©tablir la diffamation sont insuffisants pour mettre fin au type de conduite adoptĂ©e par Mme Atas, conduite que la Cour a dĂ©crite plus loin comme allant [traduction] « au-delĂ  de la diffamation : elle est destinĂ©e non seulement Ă  harceler, importuner et blesser par des publications rĂ©pĂ©tĂ©es et en sĂ©rie de contenu diffamatoire des victimes primaires, mais aussi Ă  leur causer une dĂ©tresse supplĂ©mentaire en ciblant des personnes qui leur sont chères, de manière Ă  provoquer la peur, l’anxiĂ©tĂ© et la misère ». Dans sa dĂ©cision, la Cour a dĂ©taillĂ© les manières particulières dont la loi avait failli dans sa rĂ©ponse Ă  la conduite de Mme Atas, notant qu’elle avait persistĂ© dans son cyberharcèlement et sa diffamation malgrĂ© le fait qu’elle ait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e plaideuse quĂ©rulente, assignĂ©e en faillite, soumise Ă  plusieurs injonctions, et mĂŞme incarcĂ©rĂ©e pendant 74 jours suite Ă  un constat d’outrage au tribunal.

La Cour a donc conclu que la seule façon de remĂ©dier Ă  une telle conduite Ă©tait de reconnaĂ®tre un nouveau dĂ©lit, qu’elle a appelĂ© le dĂ©lit de harcèlement dans les communications sur Internet. Ce faisant, la Cour a semblĂ© s’écarter du raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario, Ă©noncĂ© moins de deux ans plus tĂ´t dans sa dĂ©cision dans Merrifield v. Canada (Attorney General), 2019 ONCA 205.

Comme les lecteurs de nos bulletins Au Point pourront se rappeler, dans l’affaire Merrifield, la Cour d’appel avait refusé de reconnaître l’existence d’un délit de harcèlement en Ontario au motif que le délit existant d’infliction intentionnelle de souffrances morales était suffisant pour offrir un recours au plaignant dans cette affaire, et qu’il n’y avait aucune autre raison impérieuse de créer un nouveau délit à ce moment-là. La Cour d’appel a toutefois laissé la porte ouverte à la création d’un délit de harcèlement dans une affaire « appropriée ».

Dans l’arrêt Atas, la Cour supérieure de justice a jugé qu’elle avait trouvé une telle affaire appropriée. La Cour a établi une distinction avec l’affaire Merrifield, concluant que, dans l’affaire dont elle était saisie, ni la diffamation, ni l’infliction intentionnelle de souffrances morales, ni l’intrusion dans l’intimité ne décrivaient adéquatement ce que les défendeurs avaient vécu ou n’offraient une réparation suffisante à cet égard. Notant à la fois qu’il s’agit d’un domaine du droit en développement, et le manque de lois en Ontario pour lutter contre le harcèlement en ligne, la Cour a conclu que les faits de l’affaire dont elle était saisie constituaient [traduction] « un appel criant à une réparation ».

Le critère d’application du dĂ©lit de harcèlement dans les communications sur Internet est le mĂŞme que celui utilisĂ© par les tribunaux amĂ©ricains. En vertu de ce critère, le harcèlement en ligne peut ĂŞtre Ă©tabli comme suit :

  1. Lorsque le défendeur se livre avec malveillance ou insouciance à des activités de communication dont la nature, la durée et le degré d’intensité sont si scandaleux qu’ils dépassent toutes les limites possibles de décence et de tolérance ;
  2. Dans l’intention de causer de la peur, de l’anxiété ou des troubles émotifs ou de porter atteinte à la dignité du plaignant ;
  3. Lorsque le plaignant subit un tel préjudice.

Les faits scandaleux dont la Cour supérieure de justice était saisie dans l’affaire Atas répondaient clairement à ce critère.

Après avoir conclu qu’il y avait eu diffamation et harcèlement en ligne, la Cour s’est penchĂ©e sur la question de la rĂ©paration. Il est Ă  noter que, bien que la dĂ©fenderesse ait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© une professionnelle de l’immobilier ayant plusieurs immeubles Ă  revenus, elle Ă©tait dĂ©sormais dĂ©munie et vivait dans des refuges. En d’autres termes, a dĂ©clarĂ© la Cour, elle Ă©tait [traduction] « à l’épreuve de tout jugement ». Ainsi, au lieu d’une indemnisation monĂ©taire, la Cour a ordonnĂ© une injonction permanente pour empĂŞcher Mme Atas de mener une autre campagne de harcèlement contre les dĂ©fendeurs et leurs familles. La Cour a Ă©galement soulignĂ© que si les plaignants l’avaient demandĂ©, elle aurait considĂ©rĂ© une interdiction complète de pratiquement toutes les activitĂ©s en ligne de Mme Atas.

Étant donnĂ© qu’il serait vain d’ordonner Ă  Mme Atas de retirer d’Internet le contenu rĂ©prĂ©hensible qu’elle a créé (en raison, entre autres, de son refus historique de suivre les ordonnances du tribunal et de son incapacitĂ© de payer les frais y affĂ©rents), le tribunal a ordonnĂ© que le titre de propriĂ©tĂ© du contenu en ligne litigieux créé par Mme Atas soit dĂ©volu aux plaignants, leur permettant ainsi de prendre des mesures pour faire retirer eux-mĂŞmes le contenu.

 

Ă€ Notre Avis

L’introduction du délit de harcèlement dans les communications par Internet dans le droit ontarien semble être le moyen par lequel la Cour tente de contrer le harcèlement en ligne en l’absence d’une réponse législative. Puisque le délit a été créé dans le contexte d’un harcèlement extrême, ciblé et généralisé, il reste à voir si et comment le nouveau délit peut s’appliquer dans le contexte d’un harcèlement en ligne moins scandaleux, mais tout de même problématique.

Il semble, du moins au départ, que l’application du nouveau délit dans le contexte du droit du travail sera probablement limitée. Le critère établit un seuil élevé (c.‑à‑d. l’existence d’un harcèlement scandaleux et extrême qui dépasse toutes les limites possibles de la décence) qui ne sera probablement pas respecté dans les cas usuels de harcèlement entre employés, ou même dans les cas où un ancien employé sans scrupules publie des commentaires au sujet de son ancien employeur après avoir été congédié. La décision elle-même dit, d’entrée de jeu, qu’il s’agit d’une [traduction] « solution adaptée […] » pour régler « uniquement le problème immédiat d’un auteur de contenu isolé, motivé par la haine et une maladie mentale profonde, à l’abri des contraintes et (dés)incitatifs financiers, apparemment impossible à contrôler, sauf par […] l’incarcération ».

Il est Ă©galement possible que la dĂ©cision soit portĂ©e en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario. Si un tel recours semble d’autant plus probable Ă©tant donnĂ© la dĂ©cision rĂ©cente de la Cour d’appel dans l’affaire Merrifield que la crĂ©ation d’un nouveau dĂ©lit de harcèlement n’était pas nĂ©cessaire Ă  ce moment, la capacitĂ© de Mme Atas de faire appel pourrait ĂŞtre restreinte dans une certaine mesure par le fait qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e plaideuse quĂ©rulente et qu’elle doit donc obtenir l’autorisation d’un juge de la Cour supĂ©rieure pour pouvoir faire appel.

Emond Harnden tiendra ses lecteurs au courant de l’évolution du nouveau dĂ©lit de harcèlement dans les communications Internet au fil du temps, et particulièrement lorsque seront prises des dĂ©cisions concernant l’application du nouveau dĂ©lit aux parties dans un milieu de travail. Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec SĂ©bastien Huard au 613-940-2744 ou avec Fabienne Lajoie au 613-563-7660 poste 292.

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