LPRPDÉ et surveillance vidéo : la suite

Comme nombre de nos lecteurs l’auront déjà constaté, nous avons récemment traité des répercussions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDÉ) sur la preuve par surveillance vidéo dans le contexte des relations de travail. (Voir « La surveillance vidéo des employés et la nouvelle loi fédérale sur la protection de la vie privée » sous la rubrique « Nouveautés ».) Un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a maintenant rendu une décision sur l’effet de la nouvelle loi fédérale en matière de protection de la vie privée dans le contexte d’une poursuite pour faute professionnelle médicale. La décision indique dans une certaine mesure comment les tribunaux judiciaires et administratifs pourraient interpréter ce que la Cour a qualifié de loi « [TRADUCTION] complexe, avec un libellé large ».

La demanderesse dans Ferenczy v. MCI Medical Clinics (14 avril 2004) a intenté une poursuite contre son médecin pour négligence dans le traitement du kyste qu’elle avait au poignet. Au procès, elle a témoigné qu’elle avait beaucoup de difficulté à tenir une tasse dans sa main gauche. La défense a alors tenté de faire admettre en preuve un extrait de huit minutes d’une bande vidéo de surveillance qui montrait la demanderesse qui tenait dans sa main gauche, sans relâche, une tasse de café Tim Horton.

La Cour a admis la preuve dans le but d’évaluer la crédibilité de la demanderesse, mais l’avocat de celle-ci a alors soulevé l’argument que la preuve ne pouvait être admise parce que recueillie contrairement aux dispositions de la LPRPDÉ. L’avocat a affirmé que la surveillance vidéo constituait des renseignements personnels recueillis dans le cadre d’activités commerciales, sans le consentement de la plaignante, de sorte que la collecte de ces renseignements était interdite par la LPRPDÉ.

LA LPRPDÉ N’EMPÊCHE PAS L’ADMISSION DE LA PREUVE

La Cour a jugé que la valeur probante de la preuve l’emportait sur son effet préjudiciable, et qu’elle devrait être admise. En outre, la Cour a jugé que la LPRPDÉ n’avait aucune pertinence pour déterminer la question d’admissibilité :

    « [TRADUCTION] La Loi ne comprend pas une disposition qui interdit l’admission de renseignements personnels recueillis ou enregistrés contrairement à la Loi. La Loi prévoit plutôt que l’intéressé ou le Commissaire à la protection de la vie privée peut porter plainte, ce qui a pour effet de déclencher une enquête et un rapport aux termes de la Loi.  … Par conséquent, si on allègue dans la présente affaire que la collecte de renseignements par surveillance vidéo est une violation de la Loi, il est possible de porter plainte selon la procédure prévue par la Loi. Cela, toutefois, n’a aucune incidence sur la question de l’admissibilité de la preuve dans le présent procès. »

LA DÉFENSE DANS UNE ACTION CIVILE N’A AUCUNE FIN COMMERCIALE

La conclusion de la Cour sur l’admissibilité suffisait pour régler cette question. La Cour a ensuite traité de la façon dont la LPRPDÉ s’appliquait aux faits de l’affaire. La Cour a noté que la Loi réglementait la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales, mais a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la surveillance vidéo menée par un détective privé sans le consentement de la demanderesse enfreignait la Loi.

La Cour a jugé que selon l’interprétation correcte de la LPRPDÉ, le détective privé était l’agent du médecin qui, d’après la Cour, recueillait des renseignements personnels sur la demanderesse pour se défendre contre une poursuite en justice, et non dans le cadre d’activités commerciales. Puisque la LPRPDÉ ne s’applique pas à la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels « à des fins personnelles ou domestiques », la Cour a jugé qu’elle ne s’appliquait pas en l’espèce à la collecte de preuves par surveillance vidéo.

L’ACTION EN JUSTICE IMPLIQUE LE CONSENTEMENT

La Cour a en outre jugé qu’en intentant la poursuite et en mettant en litige la gravité de la blessure à sa main et l’effet de cette lésion sur sa vie, la demanderesse avait donné son consentement implicite à la collecte et à l’utilisation de renseignements personnels à son sujet pour éprouver la véracité de sa demande. Un demandeur doit savoir que les parties à une action auront des droits et des obligations de poursuivre et de se défendre. La Cour a signalé que le consentement n’est pas défini dans la LPRPDÉ, et qu’il n’y a aucune indication dans la Loi qui laisserait croire que le consentement ne peut pas être implicite.

LA SURVEILLANCE VIDÉO DANS LES ACTIONS EN DÉLIT CIVIL EST EXEMPTÉ DE L’EXIGENCE DE CONSENTEMENT

Enfin, la Cour a jugé que même si ses autres conclusions s’avéraient erronées, elle jugerait que l’exemption légale à l’exigence de consentement s’appliquerait. L’alinéa 7(1)(b) de la Loi prévoit que les renseignements personnels peuvent être recueillis à l’insu de la personne intéressée si « il est raisonnable de s’attendre à ce que la collecte effectuée au su ou avec le consentement de l’intéressé puisse compromettre l’exactitude du renseignement ou l’accès à celui-ci, et la collecte est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d’un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial … .»

La Cour a jugé que cette disposition s’appliquait en l’espèce, et a conclu que le « droit fédéral ou provincial » comprenait la common law :

    « [TRADUCTION] Il me semble que l’application de ces dispositions va de soi. Pour ce qui est de l’alinéa 7(1)(b), je ne vois aucune raison pour que le droit fédéral ou provincial ne comprenne pas la common law, y compris le droit en matière de délits civils. La surveillance ici est sûrement liée à l’enquête sur ce que réclame la demanderesse du défendeur. Il ne fait aucun doute que la divulgation des efforts de surveillance du détective ou l’obtention du consentement de la demanderesse pourrait « compromettre l’exactitude du renseignement ou l’accès à celui-ci ».

Par conséquent, la Cour a jugé que la surveillance sans le consentement de la demanderesse n’était pas une violation de la LPRPDÉ et que, de toutes façons, la preuve devrait être admise parce qu’elle était pertinente et que sa valeur probante l’emportait sur son effet préjudiciable. Pour conclure, la Cour a exprimé l’opinion que le libellé de la LPRPDÉ « [TRADUCTION] laissait beaucoup à désirer en termes de clarté et d’utilité », et qu’elle était particulièrement mal adaptée au monde des litiges.

Notre point de vue

Il convient de souligner que les employeurs dans le secteur sous réglementation provinciale – la grande majorité des employeurs – pourraient soutenir que les règles de la LPRPDÉ ne s’appliquent pas aux litiges touchant leurs employés, devant un juge ou un arbitre. En effet, la LPRPDÉ s’applique aux renseignements personnels recueillis dans le cadre d’activités commerciales et aux renseignements personnels des employés du secteur sous réglementation fédérale.

Outre la question de l’application de la Loi aux renseignements personnels des employés, la décision dans cette affaire, si elle crée jurisprudence, limitera certains des effets plus pernicieux de la LPRPDÉ dans le contexte des poursuites judiciaires. Les décisions de la Cour à l’effet que la preuve peut être admise même si elle est recueillie contrairement à la LPRPDÉ, que le justiciable dans la position du médecin n’agit pas dans le cadre d’activités commerciales, que le « droit fédéral ou provincial » comprend la common law, et que les personnes qui intentent une poursuite ont implicitement donné leur consentement à la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels pour certaines fins de la poursuite seront sans doute bien accueillies par tous ceux qui tentent de jauger l’effet de la Loi sur le processus judiciaire.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Lynne Poirier au (613) 940-2741.

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