Compétence des tribunaux judiciaires et des arbitres : la Cour suprême du Canada applique l’arrêt Weber

La Cour supreme du Canada vient de rendre deux décisions qui appliquent l’arret de principe Weber c. Ontario Hydro, rendu en 1995. Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer dans quelle mesure un employé syndiqué peut avoir recours aux tribunaux judiciaires – plutôt qu’a l’arbitrage – pour poursuivre son employeur. La Cour a choisi un modele de « compétence exclusive », qui élimine le recours aux tribunaux judiciaires si l’essence du litige découle de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution de la convention collective.

Les deux décisions, Goudie c. Ottawa (Ville) et Allen c. Alberta, rendues toutes deux le 20 mars 2003, illustrent bien comment l’application de l’arret Weber a deux affaires apparemment semblables peut donner lieu a des résultats contraires.

L’ARRET GOUDIE : L’ENTENTE PRÉ-EMPLOI DONNE COMPÉTENCE AUX TRIBUNAUX JUDICIAIRES

Dans l’affaire Goudie, les employés étaient des agents responsables des animaux errants, qui avaient été transférés du service de police d’Ottawa a la Ville d’Ottawa. Les employés ont allégué qu’avant le transfert, une rencontre avait eu lieu entre leurs employeurs et syndicats, actuels et futurs, ou il avait été convenu que les conditions et modalités d’emploi des employés resteraient les memes apres leur transfert.

Une fois le transfert effectué, on a dit aux employés, qui travaillaient une semaine de 35 heures au service de police, qu’ils travailleraient désormais une semaine de 40 heures, comme d’autres employés municipaux. Quelques années plus tard, ces employés ont entamé une poursuite judiciaire en se fondant sur l’entente pré-emploi alléguée. La Ville a nié l’existence d’une telle entente, et a présenté une motion de non-lieu au motif que le tribunal n’avait pas compétence sur une question qui relevait des relations de travail.

La Cour supreme du Canada a donné raison aux employés et a jugé que puisque les droits revendiqués par les employés découlaient de l’entente pré-emploi alléguée, le tribunal avait compétence pour connaître de l’action :

    « Si, comme le prétendent les [employés], les représentants de [la ville] ont conclu une entente de pré-emploi avec eux en septembre 1983, il semble évident qu’un litige portant sur une telle entente, dans son essence, ne pouvait pas découler de la convention collective conclue entre le SCFP et la ville. D’une part, les [employés] n’étaient pas des employés de la ville en septembre 1983. D’autre part, les [employés] ne faisaient pas partie a cette époque de l’unité de négociation et n’étaient pas membres de la section locale 503 du SCFP. Ils étaient des employés du Service de la police d’Ottawa, qui est une entité distincte de la ville d’Ottawa. (…)

    Si une entente de pré-emploi a été conclue en septembre1983, comme le prétendent les intimés, on ne peut pas dire qu’une demande visant a la faire appliquer découle de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution de la convention collective du SCFP. »

L’ARRET ALLEN : LE DROIT A L’INDEMNITÉ DE DÉPART DÉCOULE DE LA CONVENTION COLLECTIVE

Tout comme l’affaire Goudie, l’affaire Allen avait trait a des employés qui avaient été transférés, cette fois en raison de la privatisation de services gouvernementaux, et a une entente qui touchait les droits des employés transférés. En l’espece, le syndicat et le gouvernement avaient signé une lettre d’intention, qui prévoyait que si les employés acceptaient un emploi dans le nouvel organisme privatisé, ils ne recevraient pas l’indemnité de départ a laquelle ils auraient eu droit en vertu de la convention collective avec le gouvernement. La lettre d’intention comprenait une disposition a l’effet qu’elle ne faisait pas partie de la convention collective et qu’elle ne pouvait faire l’objet d’une procédure de grief.

Plusieurs années apres avoir accepté le nouvel emploi, les employés ont intenté une action devant les tribunaux. Ils prétendaient avoir quitté le gouvernement contre leur gré, et cherchaient a obtenir une déclaration qu’ils avaient droit a l’indemnité de départ prévue dans la convention collective. Le gouvernement a présenté une motion de radiation de la demande au motif que la demande était hors de la compétence du tribunal.

Cette fois, la Cour supreme du Canada a donné raison a l’employeur et a déclaré que la demande relevait exclusivement de la compétence d’un arbitre. La Cour a jugé qu’en l’espece, le caractere essentiel du litige avait trait au droit des employés a l’indemnité de départ, une question dont traitait la convention collective. En outre, l’existence de la lettre d’intention ne modifiait en rien cette conclusion :

    « Tout droit a une indemnité de départ repose sur la convention collective. En l’absence de cette disposition, le droit des [employés] a l’indemnité de départ qu’ils réclament n’existe pas. La lettre d’intention n’a rien changé a la situation juridique des parties. Toute prétention a l’extinction du droit a une indemnité de départ par suite des démissions obtenues par la contrainte releve entierement de la compétence de l’arbitre. Dans le cadre de l’arbitrage, l’arbitre aurait examiné et tranché la question de savoir si la lettre d’intention rend la demande irrecevable. Bien qu’elle ne fasse pas officiellement partie de la convention collective, cette lettre constitue a tout le moins une convention qui traite des griefs éventuels et du statut des employés transférés a un nouvel employeur. ».

Notre point de vue

Ces arrets divergents illustrent a quel point il faut faire attention lorsqu’on analyse la question de la compétence. Les deux arrets ont trait a des ententes qui semblent toucher les droits des employés et qui sont extérieures aux dispositions des conventions collectives applicables. Toutefois, dans l’arret Goudie, l’entente alléguée conférait les droits revendiqués, alors que dans l’arret Allen, l’entente visait a mettre fin a un droit attribué par la convention collective. (Voir comme autre exemple de l’application de l’arret Weber, « Précisions sur l’arret Weber : l’employé syndiqué peut intenter une action pour poursuite abusive » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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