« Absence de tout autre recours prĂ©vu Â» : un tribunal ontarien ordonne Ă  l’hĂ´pital de ne pas modifier les horaires avant l’issue du grief

Les lecteurs des avis courriel d’AU POINT connaissent bien l’importance de l’arret Weber c. Hydro Ontario de la Cour supreme du Canada, rendu en 1995. En vertu de la regle énoncée dans l’arret Weber, les tribunaux refusent d’etre saisis d’un différend si l’essentiel de celui-ci découle de l’application d’une convention collective. Toutefois, meme dans un tel cas, un tribunal se jugera compétent si le processus d’arbitrage n’offre aucune réparation adéquate. Cet aspect important mais souvent négligé des principes de l’arret Weber vient d’etre démontré dans l’affaire Aranas v. Toronto East General & Orthopaedic Hospital Inc.(19 janvier 2005), un jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

Dans cette affaire, le syndicat avait dĂ©posĂ© un grief contre la mise en oeuvre par l’employeur d’un « horaire gĂ©nĂ©ral de rotation Â» et l’élimination des horaires permanents dans une des unitĂ©s. Les plaignants avaient spĂ©cifiquement demandĂ© des postes permanents de soirĂ©e et de nuit et avaient Ă©tĂ© engagĂ©s pour ces horaires. Ils voulaient ces arrangements surtout parce qu’ils Ă©levaient de jeunes enfants et qu’ils voulaient qu’un parent soit a la maison pendant que l’autre Ă©tait au travail. La convention collective prĂ©voyait des horaires permanents, et ces horaires constituaient une pratique de longue date qui remontait a trente ans au moins.

L’employeur avait convenu de remettre la mise en oeuvre des nouveaux horaires de septembre 2004 jusqu’a janvier 2005, mais meme avec un arbitrage accéléré, le différend ne pouvait etre résolu avant avril 2005. Lorsque l’employeur a refusé de prolonger le délai, le syndicat a demandé a la Cour d’accorder une injonction provisoire qui interdisait a l’employeur la mise en oeuvre des nouveaux horaires.

LA COUR : « COMPÉTENCE RÉSIDUELLE Â» POUR INTERVENIR

La Cour a noté qu’il était difficile de justifier l’intervention judiciaire dans les différends découlant des relations de travail, mais a néanmoins reconnu que les arbitres ontariens n’avaient pas le pouvoir d’empecher un employeur de prendre une telle mesure en attendant une décision définitive sur la question. Il n’existait pas non plus de mécanisme dans la convention collective qui permettait d’empecher temporairement l’employeur d’agir en attendant une décision définitive sur la légalité du nouvel horaire.

Par consĂ©quent, la Cour a jugĂ© qu’elle avait compĂ©tence pour accorder l’injonction demandĂ©e par le syndicat. Elle a citĂ© l’arret de 1996 de la Cour supreme du Canada, FraternitĂ© des prĂ©posĂ©s a l’entretien des voies c. Canadien Pacifique LtĂ©e, a l’effet qu’en « l’absence de tout autre recours prĂ©vu Â» les cours de justice conservent leur pouvoir discrĂ©tionnaire rĂ©siduel d’accorder un redressement interlocutoire tel qu’une injonction. (Pour plus de dĂ©tails sur l’arret FraternitĂ© des prĂ©posĂ©s, voir « Le tribunal n’est pas compĂ©tent pour empecher les mises a pied en milieu hospitalier Â»).

CONDITION REMPLIES POUR ACCORDER L’INJONCTION

La Cour a ensuite appliquĂ© le critere a trois volets pour l’octroi d’une injonction temporaire en attendant l’issue d’un litige :

  • Question sĂ©rieuse a juger. La Cour a jugĂ© que le syndicat avait une possibilitĂ© raisonnable d’avoir gain de cause et que, malgrĂ© les arguments de l’employeur, il existait des Ă©lĂ©ments de preuve qui appuyaient les prĂ©tentions du syndicat que la mise en oeuvre du nouvel horaire pouvait constituer une violation grave de la convention collective.
  • PrĂ©judice irrĂ©parable. La Cour a soulignĂ© que certains des plaignants avaient fondĂ© leur position sur le bien-etre de leurs enfants. La Cour a conclu que la vie de jeunes enfants pouvait etre affectĂ©e de façon profonde et irrĂ©parable pour une pĂ©riode de temps considĂ©rable. Un tel prĂ©judice ne pouvait etre quantifiĂ© en termes monĂ©taires ni compensĂ© convenablement par l’arbitre au moment de la sentence arbitrale.
  • PrĂ©pondĂ©rance des inconvĂ©nients. La Cour a notĂ© que l’employeur avait dĂ©ja convenu d’une remise et a jugĂ© que le prĂ©judice causĂ© aux plaignants  par la mise en ouvre immĂ©diate l’emportait sur le prĂ©judice causĂ© a l’employeur par un retard assez court dans la mise en oeuvre de l’horaire.

Par conséquent, la Cour a accordé l’injonction.

Notre point de vue

Cette affaire est une exception a la regle bien connue, « obĂ©ir d’abord, se plaindre ensuite Â». Le rĂ©sultat de l’évaluation que fait le tribunal de sa compĂ©tence ainsi que sa dĂ©cision sur le fond de la demande pourrait dĂ©pendre de sa conclusion quant a savoir si le pouvoir de l’arbitre de rendre une ordonnance rĂ©troactive constitue un recours suffisant. (Pour plus de dĂ©tails sur l’application de l’arret Weber, voir « Des « rĂ©parations orphelines » : la Cour divisionnaire juge que les arbitres peuvent accorder des dommages-intĂ©rets majorĂ©s et exemplaire Â»; « Le tribunal juge que l’ex-agent de police doit passer par l’arbitrage Â»; et « CompĂ©tence des tribunaux judiciaires et des arbitres : la Cour supreme du Canada applique l’arret Weber Â». Voir Ă©galement « PrĂ©cisions sur l’arret Weber : l’employĂ© syndiquĂ© peut intenter une action pour poursuite abusive Â»).

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 940-2733.


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