En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST), les employeurs doivent aviser le ministere du Travail des accidents graves ou mortels. Traditionnellement, il était entendu que l’obligation de l’employeur a cet égard s’appliquait aux accidents graves ou mortels subis par les travailleurs. Pour les employeurs ontariens qui traitent avec le public, ce n’est plus le cas. La Cour divisionnaire a confirmé une décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario selon laquelle l’obligation de l’employeur de donner avis de tous les accidents graves ou mortels dans le lieu de travail s’applique non seulement aux travailleurs, mais aussi aux membres du public lorsque l’incident découle de dangers ou risques potentiels pour les employés.
Dans Blue Mountain Resorts Limited c. Ontario (the Ministry of Labour and the Ontario Labour Relations Board) (mai 2011), la Cour divisionnaire a conclu que pour l’application de l’obligation d’avis prévue a la LSST, le terme « personne » s’applique tant aux travailleurs qu’aux non-travailleurs. La Cour a aussi conclu qu’un « lieu de travail » est tout endroit ou le travailleur travaille, peu importe si un travailleur est présent au moment d’une blessure ou d’un déces.
L’affaire a pris naissance en décembre 2007 lorsqu’un client du Blue Mountain Resort s’est noyé dans une piscine non supervisée du centre de villégiature. Un inspecteur nommé en vertu de la LSST a ordonné a Blue Mountain (l’« employeur ») d’aviser le ministere du Travail (le « Ministere ») du déces en vertu du par. 51(1) de la LSST. Cette disposition prévoit ce qui suit :
51.(1) Si une personne est tuée ou gravement blessée de quelque façon que ce soit dans le lieu de travail, le constructeur, le cas échéant, et l’employeur en avisent immédiatement un inspecteur et le comité, le délégué a la santé et a la sécurité et le syndicat, le cas échéant, par téléphone ou par un autre moyen de communication directe. Au cours des quarante-huit heures qui suivent, l’employeur envoie a un directeur un rapport écrit sur l’événement et lui fournit dans ce rapport les renseignements et les détails que prescrivent les reglements.
L’employeur n’a pas donné avis de l’incident a ce moment-la parce que la personne en cause n’était pas un travailleur. L’inspecteur du Ministere était d’avis contraire. L’inspecteur a conclu que le terme « personne », au sens du par. 51(1), visait un client du centre de villégiature et qu’un « lieu de travail » visait la piscine non supervisée. La Commission des relations de travail de l’Ontario (la « Commission ») a confirmé l’ordre de l’inspecteur. Craignant les effets prononcés de l’interprétation de la Commission, l’employeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de sa décision.
COUR DIVISIONNAIRE
La question en litige dont était saisie la Cour était l’interprétation qu’il convient de donner au par. 51(1) de la LSST et, en particulier, le sens des termes « personne » et « lieu de travail » utilisés dans cette disposition. La Cour a souligné que, dans son ensemble, la LSST manifeste l’intention du législateur de [Traduction] « couvrir énormément de terrain pour que toutes les circonstances entraînant le déces ou des blessures graves dans un lieu de travail soient portées a l’attention du Ministere ». Selon la Cour, la LSST exige que [Traduction] « meme s’il se produit dans des circonstances n’ayant aucun lien potentiel avec la sécurité des travailleurs, tout événement entraînant un déces ou une blessure grave doit faire l’objet d’un avis dans la mesure ou [l’événement se produit] dans un lieu de travail ».
La Cour a donc accepté l’interprétation par la Commission du terme « personne » et a convenu qu’une blessure subie par un non-travailleur est visée par l’obligation d’avis de l’employeur prévue au par. 51(1). Ce sens large était justifié puisque les dangers qui causent la mort de non-travailleurs ou des blessures a ceux-ci peuvent causer un tort similaire aux travailleurs. Selon la Cour, l’obligation large d’avis améliore la protection des travailleurs en exigeant que tous les dangers de la sorte soient portés a l’attention du ministere du Travail.
La Cour a ensuite examiné les observations de l’employeur sur l’interprétation par la Commission du terme « lieu de travail ». L’employeur a soutenu que l’interprétation de la Commission donnait lieu a un résultat absurde en raison du fait que la LSST exige que lorsqu’une blessure se produit dans un lieu de travail, la scene de l’incident soit conservée intacte jusqu’a ce qu’un inspecteur du Ministere l’inspecte et en autorise l’utilisation. Compte tenu du fait que l’employeur exploitait un centre de villégiature dont l’activité prédominante était le ski, si le terme « personne » visait les non-travailleurs comme les clients et que le terme « lieu de travail » visait tout le centre, cela signifie que chaque fois qu’un client se blesse dans un accident de ski, l’employeur devrait protéger les lieux de l’accident. L’employeur a fait valoir que la logistique en découlant serait extremement perturbatrice, potentiellement dangereuse pour les autres clients et couteuse.
L’employeur a plutôt suggéré une interprétation qui reconnaîtrait la double nature de ses installations, soit un centre de loisirs et un lieu de travail. Cette double nature signifiait qu’il pouvait y avoir des circonstances ou un client subirait un accident grave ou mortel en exerçant une activité récréative sans qu’il y ait de risque pour un travailleur. L’employeur a soutenu que le terme « lieu de travail » doit etre interprété de maniere a nécessiter la [Traduction] « présence physique d’un travailleur a un endroit ou un travailleur travaille au moment ou est survenu l’incident mettant en cause un client ou une autre personne ». Appliquant cette définition aux faits, l’employeur a déclaré que la piscine aurait été un lieu de travail si un membre du personnel y avait travaillé lorsque l’incident s’est produit.
La Cour a rejeté cette interprétation. Premierement, celle-ci ne tenait pas compte du [Traduction] « lien entre les conditions existantes et le tort qui en a découlé ».
La Cour s’est exprimée ainsi :
[Traduction]
Par exemple, si le nageur avait été blessé gravement par un défaut structurel dans le secteur de la piscine, on pourrait difficilement prétendre que les circonstances ne devraient pas attirer l’attention du Ministere ni entraîner par conséquent l’exécution de l’obligation d’avis. Les travailleurs et les clients sont vulnérables aux memes dangers. L’objet et l’esprit de la loi seraient compromis si un danger susceptible de blesser tant les travailleurs que les non-travailleurs ne devait pas faire l’objet d’un avis et d’une surveillance.
La Cour a aussi invoqué la définition de « lieu de travail » prévue a la LSST pour rejeter l’interprétation de l’employeur. L’article 1 de la LSST définit « lieu de travail » comme « bien-fonds, local ou endroit ou le travailleur est employé ou pres duquel il travaille ou objet sur lequel ou pres duquel il travaille ».
La Cour a souligné que si le législateur avait voulu adopter le sens proposé par l’employeur, il n’aurait pas utilisé de tels termes. On aurait plutôt défini « lieu de travail » comme [Traduction] « bien-fonds […] ou, sur lequel, dans lequel ou pres duquel un travailleur est en train de travailler ». [Soulignement dans l’original]
La Cour a conclu son analyse en déclarant qu’il n’était pas contesté que la piscine était un endroit ou un ou plusieurs travailleurs travaillaient. A son avis, l’absence de travailleurs a la piscine au moment de la noyade n’enlevait rien au fait qu’il s’agissait d’un lieu de travail pour l’application des exigences d’avis de la LSST. Elle a conclu que la décision de la Commission n’était pas déraisonnable et a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’employeur.
A notre avis
La décision de la Cour a des effets importants pour tous les employeurs qui traitent avec le public. Les employeurs doivent donner avis de tous les accidents graves et mortels dans le lieu de travail lorsque ces accidents découlent de dangers ou risques potentiels pour les employés, que la personne blessée soit un travailleur ou un membre du public. Le probleme vient du fait que les employeurs devront analyser en détail chaque situation pour déterminer si un travailleur aurait pu etre blessé en raison du risque ou du danger afin de déterminer s’il y a obligation d’avis dans les circonstances. Lorsqu’il y a lieu de se demander si le risque ou le danger aurait pu causer une blessure au travailleur, les employeurs devraient faire preuve de prudence et donner avis de la blessure.
La décision rendue dans Blue Mountain a été considérablement critiquée. Selon certaines critiques, l’interprétation de la Cour a pour effet de faire passer la LSST d’une loi portant exclusivement sur la santé et la sécurité au travail a une loi de sécurité publique générale – ce que ne voulait pas le législateur. D’autres soulignent que la décision pourrait déclencher une avalanche d’avis au ministere du Travail, qui manque déja de ressources.
Il est possible que Blue Mountain interjette appel de la décision de la Cour divisionnaire. Cependant, rien n’indique a l’heure actuelle qu’un appel sera interjeté. Tant qu’on n’aura pas statué sur un appel, les employeurs devraient revoir leurs politiques d’avis et veiller a ce que les employés concernés connaissent l’obligation élargie d’avis en vertu de la LSST.
Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Sébastien Huard au 613-940-2744.