La Cour Suprême du Canada annule l’octroi de dommages-intérêts punitifs de 100 000 $ dans une affaire de congédiement injustifié et expose de nouveau le droit relatif aux dommages-intérêts dans le domaine de l’emploi

Les lecteurs d’Au Point se rappelleront le montant record des dommages-intérêts punitifs accordés dans l’affaire Keays c. Honda où l’employé congédié avait obtenu, en plus du préavis de 24 mois (dont 9 équivalant à des dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace), la somme incroyable de 500 000 $ en dommages-intérêts punitifs (voir « Une “claque retentissante” : Honda doit payer des dommages-intérêts records pour “complot d’entreprise” dans son congédiement d’un employé atteint du syndrome de fatigue chronique » à notre page Publications). La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé les décisions du juge de première instance en ce qui concerne la durée du préavis et les dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace. Cependant, elle a abaissé le montant des dommages-intérêts punitifs à 100 000 $ en soutenant que le montant original de 500 000 $ était disproportionné (voir « Hors de proportion : la Cour d’appel réduit les dommages-intérêts punitifs accordés à un employé congédié pour syndrome de fatigue chronique » à notre page Publications). Depuis ces jugements, on a assisté devant les tribunaux à une augmentation spectaculaire des actions où les demandeurs cherchent à obtenir des dommages-intérêts punitifs en sus des dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace. Pendant ce temps, les juristes et les spécialistes des ressources humaines attendaient impatiemment la réaction de la Cour suprême du Canada : allait-elle rétablir ou réduire encore plus ces dommages-intérêts énormes?

Le 27 juin, la Cour suprême du Canada a rendu publique sa décision dans l’affaire Honda c. Keays (27 juin 2008), en profitant pour exposer de nouveau le droit sur les dommages-intérêts dans les cas de congédiements injustifiés. Même si la Cour a maintenu le jugement de congédiement injustifié de même que le préavis de 15 mois accordé par le juge de première instance, elle a annulé entièrement les dommages-intérêts punitifs qui, à 100 000 $, avaient déjà fait l’objet d’une réduction. La Cour a soutenu qu’un comportement discriminatoire ne constitue par une « faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action » et a précisé clairement que le critère d’octroi de dommages-intérêts punitifs est très exigeant et qu’il ne peut y être satisfait que dans des cas exceptionnels. L’octroi de dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace, sous forme d’un préavis de 9 mois, a aussi été annulé et la Cour suprême a pris le temps de modifier la façon dont ces dommages-intérêts seront accordés – non plus par le prolongement du préavis, mais plutôt par l’octroi de sommes d’argent calculées selon les dommages réels subis. La Cour a aussi reconnu que les décisions des tribunaux inférieurs faisaient ressortir la confusion entre les dommages-intérêts visant le comportement d’un employeur dans un cas de congédiement (c’est-à-dire les dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace) et les dommages-intérêts punitifs. La Cour a souligné que la double indemnisation/punition imposée dans cette affaire devrait être évitée.

À titre d’information, précisons que M. Keays, avant d’être congédié, avait été à l’emploi de Honda pendant 14 ans. Il souffrait du syndrome de fatigue chronique qui l’avait amené à s’absenter souvent du travail. Honda lui a offert certains accommodements, tout en exigeant de M. Keays qu’il consulte un médecin de l’employeur. M. Keays a refusé cette offre et il a par la suite été congédié (pour prendre connaissance de toute l’information relative à cette affaire, voir « Une “claque retentissante” : Honda doit payer des dommages-intérêts records pour “complot d’entreprise” dans son congédiement d’un employé atteint du syndrome de fatigue chronique » à notre page Publications).

Au procès, le tribunal a statué que M. Keays avait été congédié injustement et lui a accordé un préavis de 15 mois. Étant donné le comportement de Honda qui, selon le juge, était discriminatoire aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario, le préavis a été prolongé de 9 mois. À cause de la même violation du Code des droits de la personne, Honda a été sanctionnée encore par l’octroi de dommages-intérêts punitifs de 500 000 $. En appel, les décisions du juge de première instance concernant le préavis approprié et les dommages établis selon l’arrêt Wallace ont été maintenues. Cependant, la Cour d’appel a réduit le montant des dommages-intérêts punitifs à 100 000 $. Honda s’est adressée à la Cour suprême soutenant que le préavis de 15 mois était excessif et que son comportement dans le cadre du congédiement de M. Keays ne justifiait ni l’octroi de dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace ni l’octroi de dommages-intérêts punitifs.

LA COUR SUPRÊME DU CANADA – FACTEURS DE DÉTERMINATION D’UN PRÉAVIS RAISONNABLE

La Cour suprême du Canada a commencé son analyse en cherchant à établir si le préavis de 15 mois était approprié dans les circonstances. Elle a précisé les facteurs qu’un tribunal doit prendre en compte lorsqu’il fixe le préavis approprié en citant l’arrêt Bardal c. Globe and Mail Ltd. (1960), qui fait autorité en la matière. Dans l’arrêt Bardal, il a été établi que les facteurs suivants doivent être pris en compte :

  • la nature de l’emploi,
  • l’ancienneté de l’employé,
  • l’âge de l’employé et
  • la possibilité de trouver un nouvel emploi semblable.

La Cour a statué que les facteurs ci-dessus doivent être appliqués au cas par cas et qu’il ne faut accorder à aucun facteur en particulier un poids disproportionné. À cet égard, la Cour suprême a estimé que les tribunaux inférieurs ont erré en accordant trop d’attention à la structure de gestion peu hiérarchisée de Honda et en prolongeant le préavis sur la foi de ce dernier critère. La Cour suprême a souligné que la structure de gestion peu hiérarchisée « ne permet pas de définir la fonction de M. Keays » et que les tribunaux doivent s’attacher aux fonctions réelles de l’employé afin de déterminer la nature de l’emploi et, par conséquent, la durée du préavis approprié.

Malgré cette erreur des tribunaux inférieurs, la Cour suprême n’a pas annulé le préavis de 15 mois. En effet, la Cour a tenu compte du fait que M. Keays était un des premiers employés embauchés à l’usine de Honda et qu’il avait passé toute sa vie adulte à l’emploi de Honda. De plus, il ne possédait aucune éducation formelle et souffrait d’une maladie. La Cour suprême a statué que tous ces facteurs réduiraient considérablement les possibilités qu’avait l’employé de se trouver un autre emploi et a par conséquent estimé que le préavis de 15 mois était approprié.

LA COUR EXPOSE DE NOUVEAU LA DOCTRINE DES DOMMAGES-INTÉRÊTS SELON L’ARRÊT WALLACE

La Cour suprême du Canada s’est ensuite penchée sur les déterminations des tribunaux inférieurs relatives aux comportements des employeurs dans le cadre de congédiements et a cherché à établir si ces comportements justifiaient l’octroi de dommages-intérêts supplémentaires. La Cour a commencé son analyse en affirmant que tous les dommages-intérêts compensatoires résultant d’une rupture de contrat devaient être évalués selon les attentes raisonnables des parties. Dans le contexte de l’emploi, du moins depuis l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd. (1997), l’employeur comme l’employé s’attendent à ce que l’employeur agisse de bonne foi en matière de congédiement. Parce que cette obligation de bonne foi est acceptée par les parties, si l’employeur ne satisfait pas à cette obligation par son comportement, il en résulte des dommages prévisibles qui doivent faire l’objet d’une indemnisation.

La Cour a ensuite examiné la façon dont ces dommages-intérêts sont accordés, c’est-à-dire par la prolongation de la période de préavis; elle a énoncé ce qui suit :

« … il n’y a pas lieu d’allonger le préavis pour déterminer le juste montant de l’indemnité. Le montant de l’indemnisation est calculé en appliquant les mêmes principes et de la même manière que pour les autres préjudices moraux… l’indemnisation se fera non pas par l’allongement arbitraire du préavis, mais bien par l’octroi d’une somme dont le montant reflète le préjudice réel. »

Après avoir modifié la façon dont ces dommages-intérêts sont octroyés, la Cour a poursuivi en fournissant des exemples de comportements qui déboucheraient sur des dommages pouvant faire l’objet d’une indemnisation. Ces comportements comprennent nuire à la réputation de l’employé au moment du congédiement, faire de fausses représentations au sujet des motifs du congédiement et, bien sûr, le comportement décrit dans l’arrêt Wallace. Elle a statué que le comportement de Honda ne pouvait être assimilé aux exemples ci-dessus et qu’il n’équivalait pas à la violation par cette société de son obligation de bonne foi. Par conséquent, l’octroi d’un préavis supplémentaire de 9 mois a été annulé.

DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS ET DÉTERMINATION DE LA QUESTION DE SAVOIR SI LA DISCRIMINATION EST UNE FAUTE DONNANT ELLE-MÊME OUVERTURE À UN DROIT D’ACTION

Compte tenu du fait que la Cour a établi que le comportement de l’employeur relativement au congédiement ne justifiait pas l’octroi de dommages-intérêts compensatoires, il n’est pas surprenant qu’elle ait aussi annulé le montant déjà réduit à 100 000 $ de dommages-intérêts punitifs. La Cour suprême a précisé clairement que l’octroi de dommages-intérêts punitifs est réservé aux fautes délibérées tellement manifestes qu’elles exigent une punition particulière. Ces actions ou comportements doivent être durs, vengeurs, répréhensibles et malicieux. La Cour a établi que le comportement de Honda dans le cadre du congédiement ne correspondait pas à ces critères.

La Cour a aussi affirmé que l’octroi de dommages-intérêts punitifs était d’abord tributaire d’une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action. Les tribunaux inférieurs ont constaté l’existence de ce type de faute dans le comportement discriminatoire de Honda et dans la violation du Code des droits de la personne de l’Ontario qui en a résulté. Cependant, la Cour suprême a estimé que les conclusions étayant ces décisions étaient « manifestement erronées » et a annulé l’octroi de dommages-intérêts punitifs pour deux motifs. Premièrement, rien ne démontrait que Honda ait eu un comportement discriminatoire et, par conséquent, qu’il y ait eu violation du Code des droits de la personne de l’Ontario pouvant constituer une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action. Deuxièmement, même si le comportement de Honda avait été discriminatoire au sens du Code des droits de la personne de l’Ontario, selon le droit en vigueur au Canada, une violation d’une disposition du Code n’équivaut pas à une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action. D’ailleurs, le Code prévoit un régime complet de mesures d’application en cas de violation de ses dispositions. La Cour a statué que la reconnaissance d’une violation du Code comme faute indépendante irait à l’encontre de l’intention du législateur.

En statuant que rien ne justifiait l’octroi de dommages-intérêts punitifs, la Cour a aussi souligné le chevauchement apparent dans les décisions des tribunaux entre les dommages visant le comportement de l’employeur dans le cadre du congédiement et les dommages-intérêts punitifs. Les deux chefs de dommages résultent du comportement de l’employeur, mais la Cour a affirmé qu’il faut éviter la double indemnisation. Elle a demandé aux tribunaux de déterminer avec beaucoup de soin si des dommages-intérêts punitifs s’imposent pour atteindre les objectifs de la réprobation, de la dissuasion et de la punition lorsque le comportement de l’employeur a déjà été sanctionné par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires.

Sur la question des dépens, la Cour suprême les a adjugés à Honda pour l’appel et l’appel incident. De plus, à la lumière de ses conclusions concernant la conduite de Honda dans le cadre du congédiement, conduite qui n’équivalait pas à de la mauvaise foi, elle a ordonné que les dépens relatifs aux instances inférieures, adjugés initialement à Keays sur la base d’une indemnisation substantielle, soient adjugés sur la base moindre d’une indemnisation partielle, réduisant ainsi considérablement les frais recouvrés par Keays dans le litige. La prime, initialement fixée à 155 000 $ et réduite à 77 500 $ par la Cour d’appel, a été annulée entièrement par la Cour suprême.

Notre point de vue

Les précisions de la Cour suprême concernant le droit des dommages-intérêts dans les affaires de congédiement injustifié étaient fort attendues, et ce, pour plusieurs raisons. Les craintes suscitées par l’octroi original des dommages-intérêts punitifs de 500 000 $, les possibilités d’octroi de dommages-intérêts gigantesques et de dommages-intérêts punitifs disproportionnés de même que le dédoublement des dommages-intérêts ne sont plus aussi grandes. Par conséquent, le nombre d’actions en justice portant à la fois sur des dommages-intérêts relatifs au comportement des employeurs et des dommages-intérêts punitifs devrait diminuer. Les employeurs seront heureux d’apprendre que cet arrêt précise clairement que le critère d’octroi de dommages-intérêts punitifs demeure très exigeant et que ces derniers ne seront attribués que dans les cas exceptionnels où le comportement de l’employeur est tellement malveillant et répréhensible que le comportement lui-même mérite d’être puni. La Cour suprême a souligné que même dans ce genre de situation, les tribunaux doivent déterminer avec soin si des dommages-intérêts punitifs s’imposent, particulièrement lorsque le comportement de l’employeur a déjà été sanctionné par des dommages-intérêts établis selon l’arrêt Wallace et que, par conséquent, l’octroi de dommages-intérêts supplémentaires risque de déboucher sur un dédoublement. La décision rendue par la Cour suprême confirme aussi de façon importante le pouvoir des employeurs de suivre et de gérer l’assiduité de ses employés et d’établir un dossier d’absentéisme. La Cour suprême a déclaré :

« … j’estime qu’un employeur doit assurer le suivi du dossier des employés qui s’absentent régulièrement, étant donné la nature même du contrat d’emploi et l’obligation qui lui incombe de gérer ses ressources humaines. »

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Sophie Gagnier au 613-940-2756.

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