La Cour supérieure du Québec conclut qu’une contravention à la LSST peut étayer le renvoi à procès pour une accusation d’homicide involontaire coupable en vertu du Code criminel

La Cour supérieure du Québec vient de rendre (le 31 octobre) une décision qui nécessite l’attention des superviseurs, des employeurs ainsi que des professionnels de la santé et de la sécurité partout au Canada.

Dans R. c. Fournier, la Cour a conclu qu’un décès au travail découlant d’une contravention à la législation provinciale sur la santé et la sécurité pouvait étayer le renvoi à procès pour une accusation d’homicide involontaire coupable en vertu du Code criminel.

L’affaire est née des événements tragiques qui se sont produits le 3 avril 2012. À cette date, Gilles Lévesque est décédé au travail lorsque les parois d’une tranchée dans laquelle il travaillait se sont effondrées. L’accusé, Sylvain Fournier, est le propriétaire de l’entreprise d’excavation qui était l’employeur de M. Lévesque.

Selon la preuve produite à l’enquête préliminaire, les parois de la tranchée n’étaient pas étançonnées convenablement comme l’exigeait la législation québécoise sur la santé et la sécurité. De plus, les déblais ont été posés trop près de l’excavation, ce qui a entraîné l’effondrement des parois et le décès de M. Lévesque.

La juge présidant l’enquête préliminaire a renvoyé M. Fournier à son procès pour une accusation de négligence criminelle causant la mort (alinéa 220(b) du Code criminel) de même que pour une accusation d’homicide involontaire coupable en vertu de l’alinéa 222(5)(a) du Code criminel, qui prévoit qu’une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain « au moyen d’un acte illégal ».

Par la suite, devant la Cour supérieure, l’accusé n’a pas contesté son renvoi à procès relativement à la première des accusations, mais l’a contesté quant à la deuxième accusation.

En ce qui concerne la première accusation (négligence criminelle causant la mort), on peut se rappeler que le projet de loi C‑45 a ajouté au Code criminel l’article 217.1, qui impose l’obligation positive suivante à ceux qui dirigent le travail des autres :

Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui.

Lorsqu’il y a contravention à cette obligation, les dispositions de l’article 219 du Code criminel peuvent s’appliquer; cet article prévoit ce qui suit :

219(1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

a) soit en faisant quelque chose;

b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Lorsque les articles 217.1 et 219 s’appliquent tous deux, l’article 220 prévoit que quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité.

Pour une accusation de négligence criminelle au travail causant la mort, il n’est donc pas nécessaire d’aller au-delà du Code criminel pour examiner une contravention à la législation provinciale sur la santé et la sécurité. Il peut suffire pour une telle accusation que l’obligation prévue par l’article 217.1 soit violée.

En ce qui concerne la deuxième accusation, cependant, la question qu’il fallait trancher en l’espèce était de savoir si, et de quelle façon, une contravention à la législation provinciale sur la santé et la sécurité pouvait étayer le renvoi à procès relativement à une accusation d’homicide involontaire coupable.

En révisant le renvoi à procès concernant cette accusation, la Cour supérieure a souligné plusieurs dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail du Québec (articles 51, 236 et 237) ainsi qu’un Règlement pris en application de celle-ci, le Code de sécurité pour les travaux de construction (« Code de sécurité »). Ces derniers avaient collectivement pour effet d’obliger l’employeur à prendre des mesures raisonnables pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs, et, plus précisément, l’article 3.15.3 du Code de sécurité prévoit que l’employeur s’assure que « les parois d’une excavation ou d’une tranchée sont étançonnées solidement, avec des matériaux de qualité et conformément aux plans et devis d’un ingénieur ».

La juge présidant l’enquête préliminaire avait établi que l’article 3.15.3 du Code de sécurité n’avait pas été respecté, ce qui équivalait à un acte illégal au sens de l’alinéa 222(5)(a) du Code criminel. Comme l’a souligné la Cour supérieure :

La juge se dit d’avis que l’acte illégal a contribué de façon appréciable à la mort de la victime et qu’il s’avérait « objectivement dangereux dans le sens qu’une personne raisonnable comprendrait qu’il présente un risque de préjudice ». Elle mentionne également que les témoins ont été clairs et unanimes à l’égard de cette question. Elle affirme « qu’une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé aurait prévu le risque de mort que comportait l’acte illégal » en raison du risque d’effondrement clairement établi.

À la suite d’un examen exhaustif de la jurisprudence et de la doctrine, la Cour supérieure a conclu que la juge présidant l’enquête préliminaire avait renvoyé à juste titre l’accusé à son procès concernant l’accusation d’homicide involontaire coupable.

Toutefois, la Cour supérieure a souligné que lorsque l’acte illégal sur lequel se fonde une accusation d’homicide involontaire coupable est la contravention à une loi provinciale sur la sécurité, la Couronne doit démontrer hors de tout doute raisonnable que le comportement de l’accusé constituait un « écart marqué » par rapport à la conduite d’une personne raisonnable pour qu’il soit tenu responsable au plan criminel.

Dans une poursuite typique en matière d’infraction provinciale, qui vise une « infraction de responsabilité stricte », la Couronne doit généralement démontrer seulement que l’accusé était responsable de l’acte interdit (c.‑à‑d. le défaut d’étançonner les parois de la tranchée), après quoi il y a responsabilité sauf si l’accusé s’acquitte de son fardeau de démontrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable pour se conformer à ses obligations en matière de sécurité. En l’espèce, la Cour supérieure a pris bien soin de souligner que, par opposition, lors d’une poursuite criminelle, il incombe à la Couronne d’établir une preuve hors de tout doute raisonnable à tous les stades de l’analyse.

La Cour supérieure a résumé ainsi le critère applicable :

Lorsque l’infraction sous-jacente sur laquelle se fonde une accusation d’homicide involontaire coupable consiste en une infraction de responsabilité stricte, la poursuite doit établir les éléments suivants : 1) la commission d’une infraction de responsabilité stricte objectivement dangereuse; 2) la conduite de l’accusé constitue un écart marqué à la conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances; et 3) compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu le risque de lésions corporelles.

Ainsi, pour qu’une accusation d’homicide involontaire coupable au travail se traduise par un verdict de culpabilité, en plus de démontrer le décès causé par la contravention à la législation provinciale sur la santé et la sécurité, la Couronne doit aussi démontrer un « écart marqué » par rapport au comportement raisonnable auquel on s’attend ainsi que la prévisibilité raisonnable de lésions corporelles.

Toutefois, même si ce critère semble suggérer que la Couronne doit démontrer davantage que la contravention à une loi provinciale sur la sécurité, la Cour supérieure s’est exprimée ainsi lorsqu’elle a examiné la question de l’« écart marqué » :

La contravention à l’obligation d’étançonner solidement les parois d’une excavation établie à l’article 3.15.3 du Code de sécurité constitue une infraction de responsabilité stricte selon l’article 236 de la LSST.

Cette infraction est objectivement dangereuse.

L’omission de respecter cette obligation est un écart marqué à la conduite d’une personne raisonnable qui aurait dû prévoir le risque que posait l’omission de mettre en place un étançonnement solide.

Il semble donc que la simple contravention à une loi provinciale sur la sécurité suffise pour respecter le critère de l’« écart marqué ».

Bien que l’issue finale dans cette affaire ne soit pas encore établie (le procès au fond ne débute qu’en novembre 2017), il s’agit d’une décision importante qui soulève plusieurs questions au sujet de la portée de la responsabilité criminelle potentielle accrue des employeurs et des superviseurs et au sujet de la façon dont cela se concrétisera en pratique.

Mentionnons parmi les autres questions la place dans l’analyse de la preuve de diligence raisonnable de l’employeur.

Lors d’une poursuite typique en vertu de la législation provinciale sur la santé et la sécurité, la Couronne doit démontrer hors de tout doute raisonnable la perpétration de l’acte interdit. L’accusé peut décider d’invoquer une défense de diligence raisonnable, qui l’oblige à démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la perpétration de l’infraction ou que l’accusé avait une croyance erronée de fait, croyance qui, si elle avait été vraie, aurait rendu son comportement innocent. Si une défense de diligence raisonnable peut être établie, elle réfute entièrement la preuve de la Couronne et l’accusation doit être rejetée. Il est établi en droit que l’accusé qui invoque la défense de diligence raisonnable supporte le fardeau de preuve. Toutefois, dans un contexte criminel, comment cela fonctionne-t-il compte tenu du fait que c’est à la Couronne qu’incombe le fardeau de preuve?

À la lumière de la possibilité de défense de diligence raisonnable lors d’une poursuite provinciale en matière de sécurité, la Couronne devrait vraisemblablement, lors d’une poursuite criminelle, prouver hors de tout doute raisonnable qu’il est impossible qu’une défense de diligence raisonnable soit établie à l’égard de l’infraction provinciale. Autrement, à la lumière des conclusions susmentionnées, comment pourrait‑on dire que l’infraction provinciale a été établie? Tel ne peut être le cas que s’il est impossible de prouver la diligence raisonnable. Et si seule la Couronne supporte le fardeau de preuve, une partie de ce fardeau doit donc consister à réfuter la diligence raisonnable.

Cela soulève d’ailleurs des questions sur la façon dont la Couronne va s’y prendre pour ce faire. Théoriquement, la Couronne devrait faire une enquête et produire des éléments de preuve sur ce qui existait (ou non) sur les plans de choses comme les politiques, la formation et la supervision de l’employeur visant expressément l’infraction provinciale en question.

Par ailleurs, l’accusé pourrait vraisemblablement chercher à susciter des doutes sur la preuve de la Couronne concernant la question de savoir s’il y a eu ou non diligence raisonnable.

Cet article ne porte pas sur l’analyse exhaustive de ces questions, mais il est logique de croire que ces questions devront être examinées par les tribunaux à un certain moment.

Même si la décision R. c. Fournier n’a pas clarifié toutes les questions, elle constitue un pas clair vers l’intégration des infractions provinciales en matière de sécurité dans le processus criminel. Par conséquent, jusqu’à ce que des décisions futures analysent de façon plus exhaustive les rapports entre le droit réglementaire et le droit criminel, les employeurs devraient considérer la décision R. c. Fournier comme une raison de plus pour accroître les mesures de diligence raisonnable en vue de se conformer à la législation provinciale sur la santé et la sécurité.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Kevin MacNeill au 613-940-2767.

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