Les gardiennes à la maison ne sont pas des employées, déclare une Cour divisée

Une formation de trois juges de la Cour divisionnaire de l’Ontario a annulé, par un jugement majoritaire, une décision du Tribunal de l’équité salariale de l’Ontario qui avait jugé que trois fournisseuses de services de garderie étaient des employées au sens de la Loi sur l’équité salariale. La décision du Tribunal était elle aussi partagée, a deux contre un.

L’affaire Wellington (County) v. Butler (31 octobre 2001) mettait en cause trois femmes qui fournissaient des services de garderie, a leur domicile, a des enfants dont les parents étaient subventionnés par le comté. Le régime de garderie était couvert par la Loi sur les garderies et prévoyait des ententes annuelles entre les femmes, désignées comme fournisseuses de services, et le comté, en vertu desquelles les fournisseuses convenaient de fournir des services de garderie [TRADUCTION] « de temps a autre, sur demande ». Ces ententes comprenaient la disposition suivante :

    [TRADUCTION]
    « Je reconnais et conviens…que je suis un entrepreneur indépendant disposée a offrir tout service de garderie pourvu que le moment de prestation me convienne, mais je ne serai dans aucune circonstance réputée etre agent ou employée d’une autre personne… »

En décembre 1994, l’une des fournisseuses s’est adressée au Bureau de l’équité salariale pour demander d’etre considérée employée aux fins de l’équité salariale. La Loi sur l’équité salariale ne définit pas le terme « employé ». En février 1996, un agent de révision a déterminé que les fournisseuses de services étaient des employées et il a ordonné au comté d’inclure la catégorie « fournisseur » dans son régime d’équité salariale. Le comté s’est opposé a cette décision, pour le motif que les fournisseuses étaient des entrepreneurs indépendants, mais il a perdu devant le Tribunal en octobre 1999.

Pour déclarer les fournisseuses des employées, la majorité du Tribunal a appliqué deux criteres de la common law pour déterminer la relation d’emploi : le critere de la relation globale, et le critere de l’intégration organisationnelle. Le Tribunal a conclu qu’en vertu des deux criteres, les fournisseuses devraient etre considérées des employées aux fins de l’équité salariale. Il en est arrivé a cette conclusion malgré plusieurs facteurs qui indiquaient l’indépendance des fournisseuses par rapport au comté :

  • Les fournisseuses de services revendiquaient le statut d’entrepreneur indépendant sur leurs déclarations d’impôt, et se présentaient comme travailleuses autonomes.
  • Elles étaient tenues de se procurer une assurance de responsabilité civile.
  • Elles étaient libres de prendre des enfants de clients privés tout en s’occupant des enfants adressés par le comté.
  • Elles déterminaient le nombre d’heures de garderie qu’elles fourniraient et établissaient leurs propres horaires.
  • Elles pouvaient établir leurs propres regles et politiques, et pouvaient exiger des frais supplémentaires, au-dela des montants versés par le comté.
  • Enfin, elles étaient libres d’embaucher des aides.

En outre, le Tribunal a refusé d’accorder de l’importance au libellé des ententes annuelles relatif au statut des fournisseuses. Le Tribunal n’était pas d’avis que [TRADUCTION] « la caractérisation de la relation imposée unilatéralement par une partie signifiait une expression d’intention commune ». Le comté a demandé la révision judiciaire de la décision du Tribunal.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL EST « MANIFESTEMENT DÉRAISONNABLE »

Dans leurs motifs concordants, les deux juges de la majorité ont annulé la décision du Tribunal et révoqué l’ordonnance de l’agent de révision. Les deux juges ont vivement critiqué la façon dont le Tribunal avait écarté le libellé des ententes, et ont déclaré qu’il n’y avait aucun fondement juridique pour agir ainsi. Selon le juge David Aston,

    [TRADUCTION]
     » [Le Tribunal] n’a donné aucun motif valable en droit pour essentiellement écarter une entente claire et non équivoque d’une page, ou la fournisseuse reconnaissait explicitement qu’elle était entrepreneur indépendant… Il ne fait aucun doute que les parties comprenaient fort bien leur relation juridique, et il aurait fallu accorder un poids important a l’entente. Celle-ci est rédigée en termes clairs, elle est parfaitement lisible, et elle n’est pas, au vu de son contenu, abusive, injuste ou difficile a comprendre ».

Le juge Aston a déclaré que selon lui, le Tribunal avait [TRADUCTION] « tordu la preuve pour aboutir a sa conclusion ». Notant au passage que le Tribunal avait conclu que les fournisseuses étaient sujettes a un niveau de contrôle et de supervision compatible avec une relation d’emploi, le juge Aston a jugé que la conclusion du Tribunal ne se fondait pas sur les faits :

    [TRADUCTION]
     » La possibilité pour les fournisseuses d’imposer directement aux parents des frais et des dépenses supplémentaires, de prendre des enfants additionnels qui ne leur étaient pas adressés par le comté, de refuser de prendre des enfants, et ainsi de suite, auraient du compter comme facteurs importants pour conclure au statut d’entrepreneur indépendant. Le Tribunal n’a donné aucune bonne raison pour minimiser ou écarter entierement ces facteurs ».

DISSIDENCE : LA DÉCISION DU TRIBUNAL N’ÉTAIT PAS DÉRAISONNABLE

Dans sa dissidence, le juge Dennis Lane a souligné le fait qu’en vertu de la Loi sur l’équité salariale, les décisions du Tribunal sont protégées par une clause privative, c’est-a-dire, une clause qui limite l’intervention des tribunaux judiciaires. De plus, bien que le Tribunal n’exerçait aucune compétence particuliere, a l’égard de laquelle un tribunal judiciaire doit faire montre de déférence, en appliquant les criteres de la common law pour déterminer si une personne était une employée, le juge Lane a fait remarquer que le Tribunal faisait la détermination dans le contexte de sa loi habilitante, la Loi sur l’équité salariale. Par conséquent, le Tribunal était tenu d’envisager le terme « employé » de façon compatible avec les fins de la Loi. Selon l’opinion dissidente, en ne définissant pas le terme « employé », la législature avait laissé au Tribunal le soin de déterminer la relation d’emploi a la lumiere des objectifs de la Loi.

Le juge Lane n’était pas d’accord avec l’opinion de la majorité sur l’importance du contrat des fournisseuses avec le comté. Selon lui, le Tribunal avait eu raison de minimiser son importance:

    [TRADUCTION]
    « Il s’agit d’un contrat type, qui n’a donné lieu a aucune négociation réelle. Le Tribunal lui a accordé peu de poids. Il n’a pas accepté que ce document imposé unilatéralement représentait une expression d’intention commune. A mon sens, le Tribunal ne s’est pas trompé et n’a pas été déraisonnable dans cette analyse ».

Notre point de vue

Faire la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est une tâche complexe et incertaine. Non seulement existe-t-il plus d’un critere en common law pour déterminer le statut d’employé, mais ces criteres sont extremement difficiles a appliquer avec certitude aux faits. A preuve, cet énoncé sur le critere de la relation globale que cite le Tribunal dans sa décision:

    [TRADUCTION]
    « Nulle liste exhaustive n’a été compilée, et il se peut qu’on ne puisse dresser une liste complete des facteurs pertinents pour déterminer [si une personne est en affaires pour son propre compte], ni établir des regles strictes quant a la pondération des différents facteurs selon les circonstances. Le plus que l’on puisse dire est qu’il faudra sans doute toujours tenir compte du contrôle, mais qu’on ne peut plus le considérer comme le seul facteur déterminant… »

Les trois fournisseuses ont demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour divisionnaire. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de la suite des événements.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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