La Cour d’appel confirme le congédiement du directeur général d’un « milieu de travail contaminé par le harcèlement sexuel »

La cour de dernier ressort de l’Ontario a encore une fois clairement manifesté sa désapprobation des employés cadres qui n’arrivent pas à contrôler leurs pulsions sexuelles au travail. Comme nous l’avions précisé dans notre article sur l’affaire Bannister v. General Motors of Canada (v. le numéro d’AU POINT de janvier 1999 – « La Cour d’appel donne, à deux reprises, un message clair sur le harcèlement sexuel commis par le personnel cadre »), les superviseurs et les cadres sont tenus à une norme plus sévère que les employés ordinaires lorsqu’il s’agit d’apprécier des allégations de harcèlement sexuel.

L’affaire Simpson v. Consumers’ Association of Canada (21 décembre 2001) porte sur le congédiement, après quatre années de service, du directeur général de l’Association, après qu’on ait allégué plusieurs incidents sexuels ainsi que son traitement inacceptable des employées. L’employé congédié, M. David Simpson, a eu gain de cause en première instance, et a obtenu 12 mois de salaire en dommages-intérêts pour tenir lieu de préavis, ainsi que six mois de salaire pour un congédiement de mauvaise foi.

L’employeur s’était appuyé, pour congédier M. Simpson en janvier 1993, sur six incidents allégués :

  • Un incident en 1989, où M. Simpson aurait fait des avances à son adjointe, beaucoup plus jeune que lui, en lui laissant entendre qu’il pourrait améliorer sa situation au travail si elle convenait d’avoir une [TRADUCTION] « relation personnelle » avec lui. M. Simpson a nié l’allégation, mais le témoignage de l’adjointe n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Le juge de première instance a conclu que M. Simpson [TRADUCTION] « s’était essayé » avec l’adjointe, sans succès.
  • Un incident en 1990 où l’avocate de l’employeur a allégué qu’elle avait été entraînée par M. Simpson à l’accompagner à un club de strip-tease, où il lui avait raconté les aventures lesbiennes de sa femme. M. Simpson a témoigné qu’il avait de bons rapports avec l’avocate, qu’ils avaient souvent des discussions franches sur la sexualité, et que c’est elle qui avait suggéré d’aller au club de strip-tease. Le juge a accepté la version de M. Simpson.
  • Une aventure entre M. Simpson et sa secrétaire au cours du printemps et de l’été 1991. M. Simpson a reconnu que la détérioration de leur relation avait eu des répercussions sur leur relation au travail.
  • Une réunion de plusieurs employés au chalet de M. Simpson en juillet 1991, au cours de laquelle M. Simpson et son adjointe s’étaient baignés nus.
  • Un incident en juin 1992, à la suite d’une réunion du conseil d’administration de l’Association. M. Simpson et plusieurs employés ont consommé de l’alcool, puis se sont retrouvés dans un bain-tourbillon dans une des suites de l’hôtel. M. Simpson était nu, et sa secrétaire avait les seins nus. Trois bénévoles de l’Association l’ont observé un peu plus tard au bar de l’hôtel, habillé d’une simple serviette.
  • Un incident en octobre 1992, à l’assemble générale annuelle, où M. Simpson a pincé le derrière de la teneuse de livres de l’employeur alors qu’elle se penchait pour enlever ses souliers. M. Simpson a témoigné que l’incident découlait d’un malentendu et qu’il avait immédiatement présenté des excuses à l’employée.

PREMIÈRE INSTANCE : CONDUITE CONSENSUELLE, À L’EXTÉRIEUR DU MILIEU DE TRAVAIL

Pour appuyer sa conclusion de congédiement abusif, le juge de première instance a noté que les incidents allégués s’étaient produits à une époque où l’employeur n’avait pas de politique en matière de harcèlement sexuel, [TRADUCTION] « juste avant une prise de conscience sur la question du harcèlement sexuel ». Il a conclu que tous les incidents s’étaient produits à l’extérieur du milieu de travail, et qu’à l’exception du pincement du derrière de la teneuse de livres, il s’agissait d’une conduite consensuelle entre amis. Le juge a blâmé l’employeur de ne pas avoir fait enquête sur les incidents allégués, ce qui lui aurait évité [TRADUCTION] « un litige fort long, et malheureusement fort coûteux ».

COUR D’APPEL : LA « CULTURE SEXUELLE » DU MILIEU DE TRAVAIL ÉTAIT DUE À M. SIMPSON

La Cour d’appel a jugé que le congédiement de M. Simpson était justifié, et a cassé la décision d’accorder des dommages-intérêts à M. Simpson. La Cour a fait remarquer que même si le juge de première instance avait trouvé M. Simpson un témoin crédible, il avait fait erreur en ne considérant pas si la conduite qu’admettait M. Simpson était acceptable pour un directeur général responsable de tous les employés de l’organisation. La Cour a signalé plusieurs erreurs de fait et de droit dans le jugement de première instance :

  • En concluant que la conduite avait eu lieu à l’extérieur du milieu de travail, le juge de première instance avait omis d’examiner les véritables circonstances de ces incidents. Trois incidents s’étaient manifestement produits dans le cadre de réunions ou de retraites, liées au travail, tenues dans des hôtels. Les incidents n’avaient pas eu lieu dans le milieu de travail comme tel, mais ils se situaient dans le contexte du travail.
  • La Cour d’appel a sévèrement critiqué la conclusion du juge à l’effet que la conduite était principalement consensuelle. Faisant référence à la règle dans l’arrêt Bannister, la Cour a signalé que l’inégalité de pouvoir entre M. Simpson et les employées rendait très difficile la détermination d’un consentement véritable.
  • Il était erroné de dire que vu l’absence d’une politique sur le harcèlement sexuel, M. Simpson ne pouvait être tenu responsable de ses actes. Il n’y avait aucune preuve qu’il existait avant l’arrivée de M. Simpson une atmosphère chargée de préoccupations sexuelles; au contraire, la preuve semblait indiquer que c’est M. Simpson lui-même qui avait introduit cette culture sexuelle dans le milieu de travail. En tant que directeur général, a signalé la Cour, M. Simpson lui-même aurait pu mettre en oeuvre une politique de harcèlement, et il ne devait pas bénéficier de l’absence d’une telle politique.

La Cour a conclu que l’employeur avait un motif raisonnable de congédier M. Simpson, et elle a déclaré que les actions de ce dernier représentaient une conduite de harcèlement sexuel :

    [TRADUCTION]
    « Pris ensemble, les six incidents reprochés et leurs répercussions, plutôt que de susciter une atmosphère de professionnalisme et de bonne entente chez les employés, ont créé un milieu de travail qui […] était, comme l’a décrit le juge de première instance, un lieu de commérages sans bornes qui traduisait un esprit proche de l’hystérie. [Parce que M. Simpson] était le directeur général de l’Association et le superviseur dont relevaient les employés, il devait à l’Association d’assurer un milieu libre de harcèlement sexuel et d’établir des normes qui protégeaient à la fois les employés et l’employeur de toute plainte quant à des conduites déplacées. »

Notre point de vue

Le personnel cadre doit assumer une responsabilité particulière et éviter les conduites sexuelles déplacées au travail, compte tenu de leur position d’autorité par rapport aux autres employés. La décision de la Cour d’appel indique clairement qu’on examinera de près les prétentions selon lesquelles la conduite reprochée était consensuelle, si l’employé est un supérieur hiérarchique.

En outre, même si on établit un élément consensuel dans la conduite, le comportement sexuel d’un superviseur peut avoir un effet négatif sur d’autres personnes qui ne sont pas directement touchées. À cet égard, la Cour a fait référence à la preuve voulant que deux employées avaient été congédiées, l’une dans des circonstances qui laissaient entendre qu’elle avait perdu son poste parce que M. Simpson favorisait celle avec qui il aurait par la suite une aventure, l’autre, parce qu’elle avait protesté contre la conduite de M. Simpson à l’endroit d’autres employées. Ces faits, ainsi que le fait que deux autres femmes avec qui il avait eu des relations ou à qui il avait fait des avances avaient démissionné peu après, comptaient parmi les facteurs sur lesquels s’appuyait la Cour pour conclure que l’employeur avait un motif raisonnable de congédier M. Simpson.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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