Nouvelles questions dans la gestion de l’assiduité

L’absentéisme involontaire est un des problemes les plus délicats a régler pour les gestionnaires. Outre la difficulté d’en arriver a une mesure corrective et raisonnable qui soit jugée acceptable par l’arbitre, l’employeur doit également tenir compte des droits de la personne lorsqu’il élabore des programmes visant a contrôler l’absentéisme involontaire.

Nombre des facteurs a considérer lorsqu’on tente de contrôler l’absentéisme involontaire dans un milieu de travail syndiqué ont été abordés dans « L’absentéisme involontaire dans un milieu de travail syndiqué » sous la rubrique « Publications ». Dans le présent numéro, nous étudions l’évolution récente du droit en cette matiere. (Voir aussi « L’arbitre juge déficient le programme d’assiduité » sous la rubrique « Publications ».)

LE LICENCIEMENT POUR CAUSE D’ABSENTÉISME INVOLONTAIRE : LA DIMENSION DROITS DE LA PERSONNE

Il est clair que l’employeur, dans ses efforts pour maîtriser une situation d’absentéisme involontaire, doit se conformer a la législation sur les droits de la personne. Cette exigence est particulierement importante lorsqu’on décide de licencier un employé pour ce motif. Il est important de se rappeler que l’absentéisme volontaire peut prendre une de deux formes : dans un cas, l’absentéisme est du a une « déficience » au sens de la loi sur les droits de la personne, dans l’autre cas, il ne l’est pas. Si le probleme tire son origine d’une déficience, l’employeur doit s’assurer que la solution qu’il adopte ne contrevient pas aux dispositions sur les droits de la personne.

L’affaire OPSEU v. Government of Ontario (Blackhall), une décision de la Cour divisionnaire rendue en 1996, illustre bien ce principe. Dans cette affaire, le plaignant souffrait d’un trouble obsessionnel-compulsif, une déficience au sens du Code des droits de la personne de l’Ontario. Il a été congédié pour absentéisme involontaire, puis réintégré aux termes d’une [TRADUCTION] « entente de derniere chance » qui stipulait que son assiduité au travail devait correspondre a l’assiduité moyenne pour son département pour chaque période de six mois pendant les deux ans suivant sa réintégration. En raison de sa déficience, il n’a pu satisfaire a cette exigence, et il a été congédié, congédiement maintenu a l’arbitrage.

Le syndicat a présenté une requete au tribunal pour faire annuler la décision, l’argument étant que l’entente de derniere chance était illégale et inexécutable. Le tribunal a donné raison au syndicat, en signalant que l’entente obligeait le plaignant a se conformer a une norme qui n’était pas imposée a d’autres employés non-handicapés, et que l’employeur s’était appuyé sur des absences liées a la déficience du plaignant pour déterminer qu’il n’avait pas réussi a maintenir un dossier moyen d’assiduité.

Le message ici, comme dans d’autres décision semblables, semble etre le suivant : les employeurs qui envisagent de congédier un employé qui n’a pas respecté les conditions d’assiduité imposées par une entente de derniere chance doivent éviter de fonder le renvoi sur des absences dues a une déficience au sens de la loi sur les droits de la personne. Par ailleurs, si l’absentéisme en cause est attribuable a une déficience, l’employeur doit etre pret a montrer qu’il a accommodé l’employé jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

LES ENTENTES DE DERNIERE CHANCE : UN TYPE D’ACCOMMODEMENT?

On peut se demander si l’entente de derniere chance en elle-meme représente une forme d’accommodement suffisante pour remplir les obligations de l’employeur en matiere de droits de la personne. Bien que la jurisprudence laisse entendre que ces ententes sont dans une certaine mesure un type d’accommodement, il est probable que l’employeur devra montrer qu’on a fait plus que simplement offrir une derniere chance a l’employé avant de le congédier.

Une décision du 7 juillet 2000, Stelco Inc. v. USWA, Local 1005, illustre cette tendance. Il s’agissait d’un cas ou le plaignant souffrait de dépression et de trouble panique. Il avait conclu pas moins de trois ententes de derniere chance en 1997 et 1998, années pendant lesquelles il avait été absent du travail 40 pour cent et 67 pour cent du temps respectivement. Entre autres arguments, le syndicat a affirmé que la compagnie ne l’avait pas accommodé jusqu’au seuil de la contrainte excessive, et que les ententes exerçaient de la discrimination contre le plaignant en l’obligeant a se soumettre a des conditions qui n’étaient pas imposées aux autres employés.

L’arbitre a jugé que les ententes n’étaient pas discriminatoires, et que le plaignant avait été accommodé jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Elle a noté que la compagnie avait accommodé le plaignant de diverses façons, notamment en facilitant sa participation a un programme de traitement résidentiel et en modifiant l’horaire de ses vacances. En outre, l’employeur avait conclu la série d’ententes apres avoir toléré une longue période d’absentéisme intermittent. L’arbitre a donc jugé qu’on ne pouvait s’attendre raisonnablement a ce que l’employeur fasse davantage pour le plaignant.

Certains sont d’avis que les parties a une entente de derniere chance devraient inclure plusieurs clauses types, par exemple, pour énumérer les mesures prises par l’employeur pour aider l’employé avec son probleme d’absentéisme, ou pour indiquer clairement que l’entente et les mesures prises dans le cadre de l’entente remplissent l’obligation des parties d’accommoder le plaignant. Cependant, dans l’affaire Ottawa-Carleton Public Employees’ Union v. Ottawa-Carleton (Regional Municipality), décision rendue le 2 juin 2000, ou l’employeur avait soutenu que si les parties conviennent que l’entente accommode raisonnablement les besoins du client, le syndicat ne peut par la suite remettre en question la légalité de l’entente, l’arbitre a jugé en sens contraire et fait le parallele entre une telle position et les clauses de licenciement automatique :

« [TRADUCTION] Pour ce qui est des parties qui « conviennent » expressément que les mesures prises par l’employeur, y compris de conclure l’entente de « derniere chance », satisfont aux obligations en vertu du Code, une telle stipulation ne semble pas fondamentalement différente (du point de vue d’une annulation éventuelle par le tribunal) d’une entente a l’effet qu’un licenciement futur en vertu de l’entente sera tenu pour valide. Nonobstant une telle clause, la légalité de tout licenciement sera vraisemblablement plutôt déterminée selon que les faits indiquent ou non que l’employeur a effectivement accommodé l’employé qui a un probleme, jusqu’au seuil de la contrainte excessive. »

En d’autres mots, l’employeur doit etre pret a justifier toute décision future de congédier un employé non pas en fonction de l’entente, mais en fonction de l’absentéisme subséquent de l’employé et des efforts globaux de l’employeur d’accommoder l’employé, l’entente n’étant qu’un élément de ces efforts.

L’OBLIGATION DE L’EMPLOYÉ DE COLLABORER AUX EFFORTS D’ACCOMMODEMENT

Lorsqu’il s’agit de déterminer la légalité d’un licenciement pour absentéisme du a une déficience, on examinera également les actions de l’employé. Les tribunaux et les arbitres ont jugé que les employés ont le devoir d’aider l’employeur dans ses efforts d’accommodement. Ce devoir comprend l’obligation de préciser leurs limitations et de tenir l’employeur au courant de leur état de santé et de leur capacité de s’acquitter de leurs tâches. L’employé qui ne coopere pas aux mesures d’accommodement risque de voir le licenciement maintenu, meme si l’accommodement n’a pas atteint le seuil de la contrainte excessive.

C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Toronto Board of Education v. CUPE, Local 4400 (19 avril 2000), ou on a jugé que deux plaignants n’avaient pas rempli leur obligation de faciliter leur accommodement. En ne communiquant pas avec les représentants de l’employeur et en omettant de fournir des renseignements sur leur état de santé, leurs limitations ou l’accommodement nécessaire, ils ont permis a l’employeur de conclure qu’ils devraient etre licenciés.

Comme nous l’indiquons plus haut, un des aspects importants du devoir de collaboration est de fournir des renseignements sur l’état de santé, une réalité assez difficilement conciliable avec le droit de l’employé a la confidentialité de son dossier médical. Le fait est que les employés handicapés qui protegent trop jalousement la confidentialité de leur dossier risquent de compromettre les efforts d’accommodement faits pour composer avec leurs limitations fonctionnelles, et risquent donc d’etre licenciés.

Les employeurs qui cherchent des renseignements sur l’état de santé d’un employé handicapé doivent garder a l’esprit qu’ils n’ont pas le droit de connaître son diagnostic ni le détail des traitements reçus. L’employeur peut toutefois demander légitimement certains renseignements au sujet de l’employé, notamment les suivants :

  • le pronostic quant a un rétablissement total ou partiel;
  • l’aptitude a revenir au travail;
  • l’aptitude a exécuter les tâches précises du poste occupé avant la blessure ou la maladie;
  • la durée probable des limitations ou restrictions physiques apres le retour au travail de l’employé.

Notre point de vue

Comme nous l’avons signalé dans notre article antérieur sur le contrôle de l’absentéisme volontaire, les efforts déployés par l’employeur pour maîtriser ce probleme par des moyens tels que les programmes d’assiduité au travail doivent se conformer aux criteres suivants pour etre jugés acceptables a l’arbitrage :

  • il ne doit y avoir aucun conflit avec la convention collective;
  • les mesures adoptées par l’employeur doivent etre de nature administrative et corrective, et non punitive;
  • les mesures adoptées pour contrôler l’absentéisme involontaire doivent etre raisonnables tant dans leur formulation que dans leur application.

A tout cela il faut ajouter l’exigence que ces mesures n’entrent pas en conflit avec les dispositions législatives sur les droits de la personne, lorsque l’absentéisme involontaire est du a un handicap ou a une déficience au sens de la loi fédérale ou provinciale en matiere de droits de la personne. Pour assurer qu’ils se conforment a cette exigence, les employeurs doivent éviter d’imposer aux employés handicapés des normes qui ne s’appliquent pas aux autres employés, et doivent offrir aux employés handicapés un accommodement raisonnable jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Pour un exposé plus complet sur les types d’accommodement et sur la contrainte excessive, voir « L’obligation d’accommoder : son application » et « L’accommodement des employés handicapés en deça de la contrainte excessive » sous la rubrique « Publications ».

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Carole Piette au (613) 563-7660, poste 227.

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