Commission des relations de travail de l’Ontario : le boycott du plan de dotation du conseil scolaire est une grève

Si un syndicat d’enseignants réussit a convaincre ses membres de ne pas postuler pour certains postes, le boycott qui s’ensuit constitue-t-il une « greve »? Dans l’affaire Toronto District School Board v. Ontario Secondary School Teachers’ Federation, District 12 (3 février 2003), la Commission des relations de travail de l’Ontario a répondu par l’affirmative.

Le différend a surgi lorsque le conseil scolaire du district de Toronto a décidé de modifier son modele de postes de responsabilité (PDR) en éliminant le poste de chef de département pour le remplacer par des directeurs de programmes scolaires et des directeurs-adjoints de programmes scolaires. La fédération des enseignants s’opposait a l’idée, et elle a exhorté ses membres a ne pas postuler pour les nouveaux postes ainsi créés.

L’appel a été entendu, et le conseil scolaire a prétendu que l’année scolaire serait menacée s’il ne pouvait nommer des personnes aux nouveaux postes de responsabilité. Le conseil scolaire et la fédération ont tous deux présenté une demande a la Commission, le conseil pour obtenir une déclaration que le boycott constituait une greve illégale, et la fédération pour se plaindre du fait que l’action du conseil contrevenait aux dispositions de gel dans la Loi de 1995 sur les relations de travail (LRT).

DEUX DÉFINITIONS DU MOT « GREVE »

Afin de déterminer si l’action de la fédération constituait une greve, la Commission devait appliquer la définition au paragraphe 277.2(4) de la Loi sur l’éducation, qui a l’époque prévoyait ce qui suit :

    277.2 (1) La Loi de 1995 sur les relations de travail s’applique, avec les adaptations nécessaires, a l’égard des conseils, des agents négociateurs désignés et des enseignants visés par la partie X.1, sauf disposition ou exigence contraire de la présente partie.

    (4) Pour l’application du paragraphe (1) :

      a) la définition de « greve » a l’article 1 de la Loi de 1995 sur les relations de travail ne s’applique pas;

      b) « greve » s’entend en outre d’une action ou d’une activité de la part d’enseignants, comme groupe, de concert ou d’un commun accord, qui vise a restreindre, a limiter ou a gener le fonctionnement d’un ou plusieurs programmes scolaires, y compris des programmes d’activités complémentaires, ou d’une ou de plusieurs des écoles y compris,

        (i) la cessation de services,

        (ii) la greve du zele,

        (iii) le préavis pour mettre fin au contrat d’emploi.

La définition de « greve » a l’article 1 de la LRT, qui ne s’applique pas a la Loi sur l’éducation, se lit comme suit :

    « greve » S’entend en outre de l’arret de travail, du refus de travailler ou de continuer de travailler de la part des employés, comme groupe, de concert ou d’un commun accord, ou d’un ralentissement du travail ou d’une autre action concertée de la part des employés en vue de limiter le rendement.

EFFET OPÉRATIONNEL OU ADMINISTRATIF ?

Le conseil scolaire a soutenu que les deux définitions étaient essentiellement la meme, et que la raison pour laquelle il en existait deux était que la notion de « rendement » ne cadrait pas bien avec le milieu de l’enseignement. Par conséquent, a prétendu le conseil, la Commission devrait interpréter la définition au sens large comme dans les affaires en vertu de la LRT.

La fédération a répliqué que la définition dans la Loi sur l’éducation était plus étroite, et ne s’appliquait que lorsque la conduite des enseignants visait a perturber le fonctionnement d’un programme scolaire ou d’une école. En l’espece, a soutenu la fédération, le boycott du processus de nomination n’avait qu’un effet administratif, et non opérationnel, sur les écoles et les programmes scolaires. Le conseil scolaire n’était pas d’accord, et a déclaré que le boycott genait le fonctionnement des programmes scolaires.

LE FONCTIONNEMENT DU CONSEIL SCOLAIRE SUBIT L’EFFET DE L’ACTION CONCERTÉE

La Commission a donné raison au conseil scolaire, et a jugé que les deux lois envisageaient une définition large du mot « greve ». Dans sa décision, la Commission a rejeté l’argument de la fédération selon lequel, puisqu’il était licite pour des personnes individuelles de refuser de postuler un poste de responsabilité, il était tout aussi licite pour un groupe de ne pas postuler. La Commission a souligné que dans des décisions antérieures, elle avait jugé qu’une action – telle la démission ou le refus des heures supplémentaires – qui pouvait etre licite quand elle était le fait d’une personne pouvait constituer une greve quand elle était une action concertée.

La Commission a noté que bien que l’objectif premier que visait la fédération par son action était d’obliger le conseil scolaire a négocier la question, et non d’avoir un effet néfaste sur le fonctionnement des écoles, le second objectif était de causer des difficultés au conseil scolaire en empechant la mise en oeuvre du nouveau systeme de PDR. En outre, le fait que les classes et les programmes continueraient de se tenir avec ou sans le nouveau systeme de PDR n’empechait pas que la prestation des programmes telle qu’envisagée par le conseil scolaire serait touchée :

    « [TRADUCTION] Le [conseil scolaire] voit l’absence d’un systeme fonctionnel de PDR, tel qu’il l’avait envisagé pour répondre a ses besoins organisationnels ainsi qu’aux besoins pédagogiques des éleves, comme perturbant son organisation des écoles et des programmes scolaires. La fédération signale qu’on enseignera encore dans les salles de classe et que les programmes se poursuivront sans interruption meme si le [conseil scolaire] n’arrive pas a mettre sur pied son nouveau systeme de PDR. Cela peut etre vrai, mais l’enseignement ne se fera pas et les programmes ne se poursuivront pas exactement de la façon dont le [conseil scolaire] l’avait envisagé. L’échec du [conseil scolaire] dans la mise en oeuvre de son nouveau systeme de PDR aura un certain effet, meme s’il est limité, sur la maniere dont les programmes scolaires sont offerts et dont les écoles sont organisées. »

Par conséquent, la Commission a conclu que le boycott visait gener le fonctionnement des écoles et des programmes scolaires et constituait donc une greve.

Notre point de vue

La Commission, dans cette affaire, était saisie de la question assez circonscrite de savoir si le boycott constituait une greve. Elle n’a donc pas accordé de réparation au conseil scolaire, parce que la question de savoir si les actions du conseil scolaire contrevenaient aux dispositions sur le gel dans la LRT n’avait pas été abordée. En outre, la fédération avait déposé un grief contre les actions du conseil scolaire, alléguant une contravention de la convention collective, et cette question n’avait pas été résolue au moment ou la Commission a rendu sa décision. La Commission a signalé que le résultat de ces instances déterminerait si le conseil scolaire avait droit a une déclaration de greve illégale.

En plus de répéter, dans le contexte de la Loi sur l’éducation, que l’action licite d’une personne seule peut devenir illicite quand elle est collective, la décision établit également que lorsque la méthode que choisit un conseil scolaire pour organiser ses programmes et ses écoles est touchée par une action, celle-ci peut etre considérée une greve malgré le fait que les écoles fonctionnent et les cours se donnent. Cela semble indiquer que selon la situation factuelle, la différence entre un effet « administratif » et un effet « opérationnel » peut etre assez mince.

Signalons a nos lecteurs que l’article 277.2 de la Loi sur l’Éducation a depuis été modifié, pour se lire comme suit :

    277.2 (1) La Loi de 1995 sur les relations de travail s’applique, avec les adaptations nécessaires, a l’égard des conseils, des agents négociateurs désignés et des enseignants visés par la partie X.1, sauf disposition ou exigence contraire de la présente partie.

    (4) Pour l’application du paragraphe (1) :

      a) la définition de « greve » a l’article 1 de la Loi de 1995 sur les relations de travail ne s’applique pas;

      b) «greve» s’entend en outre d’une action ou d’une activité de la part d’enseignants, comme groupe, de concert ou d’un commun accord, qui vise a restreindre, a limiter ou a gener ou dont il est raisonnable de s’attendre a ce qu’elle ait pour effet de restreindre, de limiter ou de gener :

        (i) soit les activités normales d’un conseil ou de ses employés,

        (ii) soit le fonctionnement d’une ou de plusieurs des écoles d’un conseil ou d’un ou de plusieurs programmes offerts dans une ou plusieurs des écoles d’un conseil, y compris des programmes d’activités complémentaires,

        (iii) soit l’exercice des fonctions des enseignants énoncées dans la Loi ou ses reglements d’application,

      y compris toute cessation de services ou greve du zele de la part d’enseignants qui agissent comme groupe, de concert ou d’un commun accord.

Cette modification semble élargir la catégorie des effets qui pourraient donner lieu a la conclusion qu’une action concertée donnée équivaut a une greve.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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