Royaume-Uni: les employeurs peuvent être tenus responsables pour avoir donné des références négligentes

Quelles sont les conséquences lorsqu’un employeur, agissant de bonne foi et d’une maniere honnete, fournit pour un ancien employé une lettre de références qui contient des renseignements erronés et négatifs au sujet du rendement ou de la moralité de l’employé? Les tribunaux canadiens, jusqu’a tout récemment, évitaient, généralement, de trouver les employeurs responsables de références préparées de façon négligente, malgré le grave préjudice que de telles références peuvent causer a l’employé.

Cette position pourrait changer a la suite d’un arret du 7 juillet 1994 de la Chambre des Lords, Spring v. Guardian Assurance. Cet arret amplifie considérablement la responsabilité de l’employeur et, parallelement, augmente la protection juridique des intérets des employés.

L’affaire concerne M. A.P. Spring, directeur des ventes chez Guardian Assurance, une compagnie d’assurance, qui est licencié lors d’une restructuration de l’entreprise. M. Spring cherche a se faire embaucher chez Scottish Amicable, une autre compagnie d’assurance. En vertu des regles dictées par l’organisme régissant l’industrie de l’assurance, une compagnie d’assurance ne peut embaucher quelqu’un a titre de représentant de la compagnie sans obtenir au préalable des références quant a la moralité et l’expérience de cette personne. Scottish Amicable demande donc des références a Guardian.

La lettre de Guardian déclare que M. Spring est [TRADUCTION] « un homme dont l’intégrité est minime sinon inexistante, et qui ne peut etre considéré honnete »; « de façon systématique il se réserve les clients les plus intéressants, sans égard pour l’équipe qu’il est censé diriger ». Il a quitté son emploi « en devant quelque 12 000 livres sterling en avances de fonds qui n’ont toujours pas été remboursées ». Évidemment, Scottish Amicable n’embauche pas M. Spring. Deux autres tentatives pour obtenir un emploi comme représentant de la compagnie échouent également.

M. Spring intente une poursuite contre Guardian. En premiere instance, le juge conclut que les renseignements contenus dans la lettre touchent une affaire ou M. Spring a agi de façon incompétente, mais non malhonnete. Le juge conclut également que les employeurs de M. Spring chez Guardian n’ont pas agi malicieusement en rédigeant la lettre de références, mais qu’ils ont été négligents en ne prenant pas des mesures raisonnables pour déterminer si les allégations portées contre lui étaient vraies. Le juge donne donc raison a M. Spring quant a la négligence. La Cour d’appel casse la décision, et M. Spring porte l’affaire en appel devant la Chambre des Lords.

LES EMPLOYEURS ONT UN DEVOIR DE PRUDENCE A L’ÉGARD DE LEURS EMPLOYÉS

La majorité, qui donne raison a M. Spring, déclare qu’il est juste de conclure qu’un employeur qui fournit des références pour un employé est tenu, a l’égard de ce dernier, au devoir de prudence dans la préparation de la lettre. La Chambre des Lords s’est fondée sur la relation entre les parties découlant de ce que l’employeur avait effectivement assumé une certaine responsabilité a l’endroit de l’employé et que celui-ci s’était fié sur ce que l’employeur s’acquitterait de cette responsabilité de façon compétente et prudente:
[TRADUCTION] « L’employeur a des connaissances spéciales, découlant de son expérience de la moralité, de la compétence et de la diligence de l’employé dans l’exécution de ses fonctions alors qu’il travaillait chez l’employeur… La fourniture de références est un service qu’assure régulierement l’employeur a ses employés; en fait, les références sont monnaie courante dans le marché du travail d’aujourd’hui. En outre, lorsque l’employeur fournit ces références, il est évident que l’employé se fie sur lui pour faire montre de la compétence et de la prudence nécessaires pour préparer ces références avant de les communiquer a un tiers. »
En outre, d’apres la cour, le préjudice subi a la suite de références négligentes est prévisible. En fait, note la cour, [TRADUCTION] « toute la prospérité et tout le bonheur futurs d’une personne qui fait l’objet de références préjudiciables, données de façon négligente mais en toute bonne foi, pourraient etre irrémédiablement compromis ».

LES INTÉRETS DE L’EMPLOYÉ ONT PRÉSÉANCE SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

Guardian avait soutenu, et le juge dissident l’a appuyé, qu’une décision a l’effet que M. Spring pouvait poursuivre pour ces motifs risquait de miner le droit relatif a la diffamation, ou l’on peut invoquer la défense d’immunité relative. Une telle décision, selon eux, augmenterait considérablement le nombre de poursuites pour diffamation, et aurait pour effet de brimer la liberté d’expression.

La majorité a toutefois rejeté cet argument, et a conclu qu’entre les principes en jeu, le droit de l’employé a sa carriere devait avoir préséance:

[TRADUCTION] « Une évolution du droit qui ne ferait que protéger un employé contre la privation d’emploi due a des références négligentes justifierait pleinement une restriction limitée de la liberté d’expression. »
Le cour a reconnu que sa décision pourrait dissuader certains employeurs de donner des références completes et franches, mais a affirmé que l’intéret public exigeait que de telles références ne soient pas le produit d’une enquete négligente:
[TRADUCTION] « On ne demande pas [aux employeurs] de garantir de façon absolue l’exactitude des faits ou la validité incontestable des opinions exprimées, mais bien de prendre des mesures raisonnables pour la préparation et la fourniture de références et pour la vérification des renseignements sur lesquels elles se fondent. »
Cependant, a déclaré la cour, les employeurs qui ne se conforment pas a cette norme devront compenser les anciens employés qui en subissent un préjudice.

NOTRE POINT DE VUE

La majorité a déclaré dans cet arret qu’elle n’exigeait pas des employeurs qu’ils garantissent l’exactitude de leurs références, mais seulement qu’ils fassent montre d’une prudence raisonnable dans leur rédaction. Bien que cette décision n’ait pas encore été adoptée par les tribunaux canadiens, ces derniers pourraient bien décider que les employeurs canadiens ont un devoir de prudence a l’égard de leurs anciens employés lorsqu’ils fournissent des références; les employeurs devraient donc s’assurer que toute lettre de références est véridique et soutenue par des pieces justificatives. (Voir aussi « Références d’employeur : prudence, mais non silence » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

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