Preuve par enregistrement vidéo et droit des employés à la vie privée

La plupart du temps, les arbitres qui doivent décider de la recevabilité des preuves obtenues par la surveillance clandestine des employés appliquent des critères qui visent à pondérer le droit des employés à la vie privée et le droit des employeurs de faire enquête lorsqu’ils soupçonnent la présence d’abus. Un tribunal de la Colombie-Britannique vient de se prononcer sur la question et sa décision s’est attirée les louanges des employeurs.

La décision, Richardson v. Davis Wire Industries Ltd. (21 avril 1997), portait sur une affaire de renvoi injustifié intentée par un contremaître qui avait été congédié parce qu’il avait dormi au travail et l’avait subséquemment nié. Deux semaines sur trois, M. Richardson était affecté au poste de nuit, de minuit à 7h30. Depuis un certain temps avant le renvoi, l’employeur avait su par d’autres employés que M. Richardson dormait pendant les heures de travail. Plutôt que de confronter M. Richardson directement, l’employeur a préféré faire enquête en installant une caméra cachée dans la salle où les employés prenaient leurs repas.

L’examen de bandes vidéos enregistrées sur une période de plusieurs jours a permis au directeur général de conclure que M. Richardson dormait effectivement au travail. Après avoir encore une fois observé à l’écran que M. Richardson semblait endormi, le directeur général est entré dans la salle et a réveillé M. Richardson brusquement en allumant la lumière. M. Richardson, avant d’être informé de la caméra de surveillance, a nié avoir dormi à d’autres occasions. Il a été congédié sur le champ.

LA PREUVE EST RECEVABLE SI ELLE EST PERTINENTE ET N’ENTRE PAS DANS UNE CATÉGORIE D’EXCLUSION

Lors du procès, l’avocat de M. Richardson a tenté de faire exclure la preuve enregistrée, en soutenant que la décision de faire de la surveillance et la manière d’exécuter cette surveillance étaient toutes deux abusives, et que l’employeur disposait d’autres moyens d’obtenir des preuves contre son employé. L’avocat a également invoqué la Privacy Act de la province, qui déclare illicite les violations de la vie privée. L’avocat a concédé le droit de l’employeur de faire enquête, mais ce droit devait être pondéré par l’attente de l’employé qu’il aurait droit à une certaine mesure d’intimité dans la salle des repas.

La décision du tribunal a été défavorable à M. Richardson. Le tribunal a jugé qu’on devait recevoir tout élément de preuve pertinent qui n’entrait pas dans une catégorie d’exclusion. En l’occurrence, la pertinence des éléments de preuve n’était pas en cause puisqu’ils établissaient plusieurs faits importants de l’affaire. On ne pouvait non plus alléguer qu’il fallait exclure les bandes du fait de la violation de la vie privée de l’employé : dans les circonstances, M. Richardson ne pouvait raisonnablement espérer bénéficier d’un droit à la vie privée; néanmoins, même si une telle attente existait, une violation de la Privacy Act ne peut quand même pas justifier l’exclusion d’un élément de preuve pertinent :

[TRADUCTION]

« …[M]ême si M. Richardson pouvait s’attendre à voir respecter sa vie privée, une violation de la vie privée n’entraîne pas, dans cette affaire, une exclusion des éléments de preuve. La Privacy Act ne peut servir que comme fondement à une action en dommages pour délit civil et n’interdit pas la réception d’un élément de preuve, même si cette preuve a été obtenue contrairement à la loi.

M. Richardson ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’on respecte sa vie privée alors qu’il dormait pendant ses heures de travail, dans les locaux de la compagnie, et alors qu’il pouvait s’attendre à ce qu’on l’appelle en cas de besoin. »

Le tribunal a poursuivi en rejetant l’argument que la surveillance exercée par l’employeur n’avait pas de fondement raisonnable : l’employeur avait pris sa décision en se fondant sur un soupçon raisonnable que M. Richardson dormait alors qu’il était en devoir.

SELON LE TRIBUNAL, LES ACTIONS DE L’EMPLOYEUR SONT REGRETTABLES

Après avoir déclaré la preuve recevable, le tribunal a déploré les méthodes utilisées par l’employeur pour faire enquête sur l’inconduite de M. Richardson. Le tribunal a affirmé que le fait de dormir au travail, bien que puéril et irresponsable, ne méritait quand même pas un congédiement sommaire. En tentant de surprendre l’employé en flagrant délit au moyen d’une caméra cachée, plutôt que d’aborder franchement la question avec lui, l’employeur risquait de miner ses rapports avec ses autres employés :

[TRADUCTION]

« …[L]a surveillance…est, en elle-même, une pratique qui met en danger les rapports de confiance qui sont tellement essentiels à la relation entre l’employeur et ses employés. Il est malheureux que la compagnie Davis Wire n’ait pas tenté de régler ce problème en confrontant honnêtement M. Richardson avec ses soupçons pour lui dire qu’il était inacceptable de dormir au travail. »

Notre point de vue

Les critères de pondération qu’appliquent les arbitres reviennent, en gros, à ceux que le demandeur a invoqués dans la présente affaire : pour qu’on reçoive un élément de preuve obtenu au moyen d’une surveillance, la décision de surveiller et la manière d’effectuer la surveillance doivent être raisonnables; de plus, l’employeur doit avoir considéré les autres solutions de rechange. Dans la présente affaire, au contraire, le tribunal a élargi la règle de recevabilité de ce type de preuve en exigeant uniquement qu’elle soit pertinente et qu’elle n’entre pas dans une catégorie d’exclusion. Notons qu’au moins un arbitre ontarien a adopté la règle formulée par le tribunal.

Les employeurs ont applaudi cette décision, estimant qu’elle proposait un fondement solide à la détermination de la recevabilité. On a déclaré, notamment, que la décision avait bien saisi le problème essentiel, à savoir celui du caractère raisonnable des attentes d’intimité d’un employé qui, dans les locaux de la compagnie, dort pendant son service. (Voir aussi « La surveillance vidéo : invasion de la vie privée ou réponse raisonnable à l’inconduite? » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

Related Articles

La CSPAAT impose désormais un délai de 3 jours ouvrables pour la déclaration initiale d’un accident par les employeurs

Le 29 septembre 2023, la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (« CSPAAT ») a…

Le gouvernement de l’Ontario propose d’importantes modifications à diverses lois dans le secteur de l’éducation

En avril, le gouvernement de l’Ontario a déposé le projet de loi 98, Loi de 2023 sur l’amélioration des écoles et…

La Cour supérieure de justice de l’Ontario déclare la Loi 124 nulle et sans effet

Le 29 novembre 2022, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a publié une décision très attendue sur dix demandes…