La Cour suprême rend son premier jugement en matière de congédiement implicite

Les employeurs qui restructurent leurs opérations ont parfois a envisager une modification des conditions d’emploi de certains employés. Si ces changements sont suffisamment importants, les employés peuvent etre en mesure de réclamer des dommages-intérets pour congédiement implicite. Dans un arret du 27 mars 1997, Farber c. Royal Trust Company, la Cour supreme du Canada vient de se prononcer pour la premiere fois sur une affaire de congédiement implicite.

En 1983, Farber était directeur régional pour l’ouest du Québec, chargé de superviser 400 agents immobiliers dans 21 bureaux. Il gagnait 150 000 dollars, dont 48 800 comme salaire de base. Tout a changé en 1984 lorsque son employeur a supprimé la plupart des postes de directeur régional. On a offert a Farber un poste comme directeur de la succursale de Dollard, l’une des moins profitables de la province, poste qu’il avait d’ailleurs occupé huit ans auparavant, avant d’etre promu.

En guise de compensation, on lui a offert une allocation de réorientation de 40 000 dollars, une commission a titre de directeur de la succursale qui serait plus élevée qu’a l’ordinaire pour le reste de 1984 et pour 1985, et un montant forfaitaire de 48 000 dollars pour les commissions gagnées en tant que directeur régional pour la premiere moitié de 1984. Désormais, il ne recevrait plus de salaire de base garanti. Selon les estimations de Farber, son revenu global diminuerait de moitié.

Farber a tenté de convaincre l’employeur soit de l’affecter a une succursale plus profitable, soit de lui offrir un salaire de base garanti pendant trois ans. Devant le refus de l’employeur, Farber a refusé d’entrer dans ses nouvelles fonctions, préférant poursuivre l’employeur pour congédiement implicite.

TRIBUNAUX INFÉRIEURS : L’OFFRE DE L’EMPLOYEUR JUGÉE RAISONNABLE

Le tribunal de premiere instance, dont la décision a été maintenue par la Cour d’appel du Québec, a jugé que Farber n’avait pas raison, puisque l’offre était raisonnable tant pour la compensation offerte que pour le prestige du nouveau poste.

Pour comparer l’ancien poste de Farber a celui que lui offrait l’employeur, le juge de premiere instance, passant outre aux objections de Farber, a admis en preuve le chiffre d’affaires de la succursale de Dollard pour la deuxieme moitié de 1984. Ce chiffre d’affaires dépassait largement ce que meme l’employeur anticipait au moment ou il avait fait son offre a Farber. A la lumiere de ce chiffre, a conclu le juge, Farber n’aurait subi aucune baisse de revenu s’il avait accepté le nouveau poste.

COUR SUPREME DU CANADA : LE CONTRAT DE L’EMPLOYÉ ÉTAIT SUBSTANTIELLEMENT MODIFIÉ

Une formation de cinq juges de la Cour supreme a été unanime pour casser les jugements des tribunaux inférieurs, et a accordé l’équivalent d’un an de salaire a Farber, plus intérets depuis 1984, soit une somme d’environ 350 000 dollars.

Pour conclure au congédiement implicite, le tribunal doit établir que l’employeur a substantiellement modifié les conditions essentielles du contrat de travail. Pour ce faire, a déclaré la Cour, le tribunal doit se poser la question suivante : « si, au moment ou l’offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la meme situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail ».

Le fait que l’employé soit pret a accepter certains changements ne constitue pas un élément décisif, puisque l’employé peut avoir d’autres raisons d’accepter moins que ce a quoi il a droit.

Il n’est pas nécessaire non plus de conclure que l’employeur avait l’intention d’obliger l’employé a quitter son emploi, ou qu’il agissait de mauvaise foi, bien qu’une telle conclusion puisse jouer pour la détermination du montant de dommages-intérets accordé a l’employé. Dans le cas de Farber, d’ajouter la Cour supreme, il était clair que l’employeur agissait de bonne foi, en vue de restructurer ses opérations.

La Cour souligne que dans les cas de congédiement implicite, la rétrogradation, qui entraîne, regle générale, une perte de statut et de prestige, équivaut a un changement substantiel des conditions du contrat de travail. Une conclusion semblable s’impose lorsque la méthode de calcul de la rémunération de l’employé est modifiée, ou lorsque le revenu de l’employé est considérablement réduit.

En l’espece, a jugé la Cour, l’offre de l’employeur modifiait substantiellement le contrat de Farber. Le nouveau poste représentait une rétrogradation majeure, avec des responsabilités considérablement diminuées et, par conséquent, une perte de statut et de prestige. En outre, la perte du salaire garanti était préjudiciable a la sécurité financiere de Farber.

En ce qui concerne le niveau salarial, la Cour a déclaré que Farber avait tout lieu de conclure que son revenu serait diminué de moitié. Le juge de premiere instance avait erré en admettant « la preuve de faits subséquents », c’est-a-dire le chiffre d’affaires de la succursale de Dollard pour la deuxieme moitié de 1984, puisque cet accroissement des ventes n’aurait pu raisonnablement etre prévu par Farber au moment ou l’employeur a fait son offre. En s’appuyant principalement sur la preuve de faits subséquents et imprévisibles pour conclure que Farber aurait du accepter l’offre, le juge de premiere instance s’était écarté de la véritable question, a savoir, si l’offre modifiait substantiellement les conditions essentielles du contrat de travail de Farber.

NOTRE POINT DE VUE

Meme si la Cour avait admis en preuve le chiffre d’affaires accru, il n’est pas évident qu’elle aurait tranché en faveur de l’employeur. En effet, la Cour a déclaré que la perte du salaire de base garanti et la rétrogradation suffisaient a conclure au congédiement implicite. Cela signifie que les employeurs devraient considérer l’effet des changements qu’ils imposent dans une plus large perspective, plutôt que de ne s’attacher qu’au niveau salarial de l’employé.

Bien sur, tout changement aux modalités d’emploi ne constitue pas nécessairement un changement substantiel. La Cour a déclaré que l’employeur peut apporter tout changement au poste que permet le contrat, notamment dans l’exercice, a sa discrétion, de son autorité de gestion.

(Voir aussi « La Cour d’appel déclare que l’employé qui avait refusé un transfert a été implicitement congédié » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

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